La femme derrière la Charte
par Don Butler, The Ottawa Citizen
OTTAWA—Grâce à elle, la Charte canadienne des
droits et libertés ne contient aucun pronom. Grâce à
elle, nos dirigeants politiques ont trouvé les mots qu’il
fallait pour exprimer l’identité distincte du Québec
dans l’Accord du Lac Meech.
Elle a rédigé l’accord constitutionnel de Charlottetown,
elle a rédigé des textes législatifs aussi importants
que la Loi canadienne sur la santé, la Loi sur la
clarté, la Loi sur les jeunes contrevenants, la Loi
sur l’accès à l’information, la Loi
sur la protection des renseignements personnels, ainsi que la refonte,
dans les années 80, de la Loi sur les langues officielles.
Et même si elle n’a pas rédigé le projet de
loi mettant en vigueur l’Accord de libre-échange avec les
États-Unis, elle a élaboré une grande partie du cadre
de cette loi.
Elle s’appelle Mary Dawson et si vous n’avez jamais entendu
parler d’elle, c’est sans doute parce que nous oublions que
des hommes et des femmes de chair et de sang doivent traduire les initiatives,
politiques et caprices de nos dirigeants politiques en un texte vivant
qui respire.
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Mary Dawson
(Photo: Patrick Walton) |
Durant le dernier quart de siècle, ce travail a été
confié le plus souvent à Mary Dawson.
« Elle a laissé sa marque dans tout le Ministère »,
a déclaré le ministre de la Justice, Irwin Cotler.
« Elle est l’incarnation de la Constitution. Si vous
examinez tous les grands moments constitutionnels historiques des vingt-cinq
dernières années, vous vous rendrez compte qu’elle
a été présente à tous et en a été
souvent le pivot. »
Mme Dawson, l’une des expertes canadiennes de premier
plan en droit constitutionnel, a pris sa retraite le mois dernier à
son 63e anniversaire, après une carrière de 36 ans dans
la fonction publique, en tant que sous-ministre déléguée
de la Justice durant les 25 dernières années.
Parfaitement coiffée, au rire facile et très affable,
Mme Dawson a été également une pionnière
de son sexe – première femme à occuper un poste de
cadre supérieur au ministère fédéral de la
Justice, et première avocate à prendre un congé de
maternité.
Sa carrière sensationnelle, à l’épicentre
de notre histoire politique récente, a commencé en 1980,
lorsqu’elle a été nommée avocate législative
adjointe principale.
À ce poste, elle a touché le dossier constitutionnel du
gouvernement, qui percolait depuis les années 60. Cela tombait
pile; Pierre Trudeau allait lancer l’initiative historique qui culminerait
avec la Loi constitutionnelle de 1982 et son document d’accompagnement
essentiel, la Charte canadienne des droits et libertés.
Il est incontestable que Mary Dawson a rédigé
l’ébauche finale. Et elle admet que « la personne
qui tient la plume détient un certain pouvoir de persuasion. »
Mme Dawson ne fait pas grand cas de son rôle dans la
rédaction de la Charte et d’autres dispositions
constitutionnelles. « Je suis simplement devenue la personne
qui a tenu la plume à la fin de l’été 1981,
proteste-t-elle. Je suis simplement arrivée au bon moment. »
Il est incontestable que Mary Dawson a rédigé l’ébauche
finale. Et elle admet que « la personne qui tient la plume
détient un certain pouvoir de persuasion. »
Lorsque Mme Dawson a hérité du dossier constitutionnel,
par exemple, il y avait dans la Charte quatre références
précises relatives aux sexes – « elle »
et « sa. »
« Je n’aimais pas cette formulation », se
remémore-t-elle au milieu d’une pile de dossiers, dans son
bureau fort modeste du quatrième étage de l’Édifice
commémoratif de l’Est.
Pendant les six mois suivants, elle a réussi à extirper
tous les mots offensants. « Je m’en suis débarrassée
en utilisant des substantifs – il n’y a pas de pronoms dans
la Charte. C’est un détail amusant, mais cela illustre
le contrôle que l’on peut exercer. »
Mme Dawson a participé aux réunions si importantes
de novembre 1981 qui ont donné « l’accord des
cuisines », accord constitutionnel conclu parmi les casseroles
du restaurant Mama Theresa.
Alors que les politiciens bavardaient, Mme Dawson s’évertuait
durant toute la nuit à rédiger une nouvelle formule pour
modifier la Constitution qui serait déposée le lendemain.
« En fait, dit-elle, je suis allée chez moi prendre
une douche, et je suis revenue avec ce projet de formule modificatrice
et ils m’ont dit : Oh, nous avons changé d’avis –
ce n’est pas tout à fait ce que nous allons faire. »
Alors que les politiciens célébraient devant les caméras
de télévision, Mme Dawson et son personnel ont
dû travailler d’arrache-pied pour insérer l’accord
des cuisines dans le texte juridique. « À la fin de
l’après-midi, dit-elle triomphante, nous avions une version
finale. »
La pression devait sûrement être terrible? « Pas
vraiment, dit-elle, toujours professionnelle. Il fallait faire le travail,
et le faire correctement. On ne s’attachait pas à la pression. »
En 1986, Mme Dawson a été nommée sous-ministre
adjointe au droit public, ce qui fit d’elle une conseillère
clé en politique. (Brian Mulroney la nomma sous-ministre déléguée
en 1988.) Mais elle conserva son rôle de rédactrice législative.
« J’ai, dit-elle en riant, combiné les deux rôles
et je suis devenue une sorte de gourou en droit constitutionnel. »
Une de ses premières réunions portait sur ce qu’on
appelait alors « la ronde du Québec ». C’était
le début du processus qui devait devenir le Lac Meech.
Comme tout le monde, elle a été abasourdie lorsque les
premiers ministres ont rapidement accepté les conditions du Québec
pour la signature de la Constitution au Lac Meech en 1987.
À un moment donné, dit-elle, les politiciens étaient
aux prises avec la formulation de la disposition sur la société
distincte, l’une des exigences du Québec. Pourrait-elle trouver
un moyen d’y arriver, lui ont-ils demandé.
« J’ai répondu oui, envoyez-moi cela. Et c’est
ainsi que nous avons réussi. Un vrai plaisir. »
Quelques semaines plus tard, alors que les politiciens essayaient de
s’entendre sur le texte de Mme Dawson mettant en vigueur
l’Accord du Lac Meech, elle a encore passé toute la nuit
à travailler, et a pris un taxi pour rentrer chez elle, dès
qu’elle eut fini, à environ 6 h du matin.
« Une semaine ou deux après, quelqu’un du Ministère
ma envoyé une note disant que je ne pouvais pas prendre un taxi
à 6 h et le facturer. Et j’ai répondu, eh bien, avez-vous
remarqué qu’il était 6 h du matin et non pas 6 h du
soir – et que c’était pour rentrer à la maison? »
Lorsque l’Accord du Lac Meech a expiré en 1990, dit Mme
Dawson, « j’étais vraiment bouleversée.
Je pensais que c’était un bon arrangement et un arrangement
simple ».
« Tout le débat sur la disposition concernant la société
distincte était absolument ridicule. Je veux dire que si le Québec
n’est pas distinct, je ne vois pas du tout ce qu’il peut bien
être d’autre. »
L’entente suivante, soit l’Accord de Charlottetown, est
également son œuvre. Mais sa rédaction a été
« affreuse », dit-elle. Il s’agissait d’un
accord énorme et tortueux qui cherchait à traiter une multitude
de doléances constitutionnelles en un seul document.
« Il était quasi impossible, pour une rédactrice
de tenir compte de manière suivie de tous les éléments. »
Mme Dawson a passé l’automne de 1992 à
essayer de peaufiner le document pour que la population canadienne puisse
l’étudier avant de voter à son sujet.
« Je suis sûre, dit-elle sans rancune, que personne
ne l’a lu. Mais il représente un énorme travail ».
Après le référendum du Québec en 1995, Mme
Dawson a dirigé une équipe qui a préparé le
renvoi à la Cour suprême qui définissait les conditions
de la sécession du Québec du Canada.
À l’aide de cet arrêt, elle a rédigé
la Loi sur la clarté, qui énonce la façon
dont le gouvernement fédéral devrait agir si une majorité
claire de Québécois votaient oui à une question claire
sur la souveraineté.
Bien entendu, la Cour suprême a préféré ne
pas définir ce que pourrait constituer une question claire ou une
majorité claire. D’ailleurs, la Loi sur la clarté
ne le fait pas non plus.
« C’est ce que j’ai toujours soutenu et je devais
pourtant empêcher les gens de le faire », a souligné
Mme Dawson.
« Il n’est pas possible d’aller trop loin pour
définir quelque chose que la cour a laissé délibérément
de côté. »
Bien avant qu’on pense qu’elle était l’incarnation
même de la Constitution, Mme Dawson avait fait œuvre
de pionnière dans un autre domaine en devenant la première
avocate du ministère de la Justice à prendre un congé
de maternité.
C’était en 1973, et les avocates étaient alors bien
peu nombreuses.
« Il y en avait bien quelques-unes, mais on pouvait les compter
sur les doigts au début », souligne-t-elle.
À cette époque, les femmes en congé de maternité
avaient droit à 13 semaines d’assurance chômage, mais
devaient prendre les 8 premières semaines avant la naissance de
l’enfant. Lorsqu’elle est revenue travailler, elle a prôné
une modification à la loi pour éliminer cette exigence.
Et cette modification a été dûment adoptée
et mise en vigueur dans la loi.
Mme Dawson n’a pas eu une préretraite facile.
Ses dernières tâches ont englobé le projet de loi
controversé sur le mariage de conjoints de même sexe –
« je n’ai pas de mots pour décrire ce rôle
d’importance majeure que Mme Dawson a rempli, souligne
M. Cotler – ni celui dans le cadre de l’accord historique
avec l’Assemblée des Premières nations sur les pensionnats. »
Réimprimé avec la permission du Ottawa Citizen.
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