« Quelques objets de curiosités pour ainsi dire » :
Ivoires anciens au Musée canadien des civilisations
Maria Von Finckenstein
Conservatrice de l'art inuit
Service canadien d'ethnologie
Musée canadien des civilisations
Cet article a paru pour la première fois dans Inuit Art Quarterly,
vol. 14, nº 4 (hiver 1999). L'auteure l'a révisé en
mars 2001. Reproduction autorisée.
Dans le domaine de l'art inuit, le terme « ancien »
caractérise la période qui s'étend d'environ
1750 à 1948, c'est-à-dire des premiers contacts soutenus
entre Inuits et visiteurs du Nord (dont la date varie selon les
régions) et le début de l'art commercial, remontant
à 1948 lors du premier voyage de James Houston à Inukjuak.
Le Musée canadien des civilisations (le Musée) possède
environ 360 sculptures de cette période.
Ce corpus d'uvres constitué sur environ deux siècles
a suscité bien peu d'intérêt chez les chercheurs. Jean
Blodgett (1979) et Bernadette Driscoll (1988) ont certes rédigé
des exposés sommaires de cette période, et Charles Martijn
a rapporté les observations d'explorateurs sur la pratique artistique
des différentes régions, mais aucun n'a
détaillé les styles locaux et régionaux
(Martijn, 1964). Pour sa part, Jane Sproull Thompson, dans son
article fouillé intitulé « A Tiny Arctic World
», a fait le point sur une tradition typique de la seconde
moitié du XIXe siècle au Labrador, soit
la création de miniatures en ivoire représentant la
vie quotidienne dans les campements (Thomson, 1992).
À mon tour, je tenterai d'apporter une autre pierre à
l'édifice. Le Musée possède un ensemble d'ivoires
collectionnés par A. P. Low et le chirurgien, L. E. Borden, en
1903-1904, dans le cadre de leur participation à une
expédition gouvernementale à bord du Neptune. Il
s'agissait alors d'explorer les environs de l'île de Southampton
et d'établir un bureau de douane à Port Burwell afin de
contrôler les arrivées et les départs des bateaux de
la baie d'Hudson. Avant cette date, les baleiniers américains et
écossais chassaient à loisir dans les eaux canadiennes;
cette expédition constituaient donc une étape importante
dans la prétention du Canada au territoire de l'Arctique.
Au cours de l'expédition, Low et Borden collectionnaient tous
deux des ivoires. On croit toujours que les sculptures données
par Low (no de cat. IV-B-768 - IV-B-818) datent des années
1880-1890, puisqu'il est censé les avoir collectionnées
lors d'une de ses précédentes missions au Labrador.
Toutefois, je suis persuadée que Low les a recueillies pendant
l'expédition du Neptune de 1903-1904. Le Musée les a
reçues en 1962, mais sans obtenir leur provenance.
En 1943, la famille Low confie cette collection d'ivoires aux Archives
publiques qui, malheureusement, n'en conservent aucune liste
détaillée, sauf la « liste d'objets présentés
aux Archives nationales par Mlle Estelle Low » dans
la correspondance accompagnant la donation. Le deuxième item
de cette liste indique brièvement un « assortiment de
sculptures et un sac perlé fabriqués par des Esquimaux
du Labrador ». Mlle Estelle Low, fille d'Albert P. Low,
ne sait manifestement rien de la provenance des ivoires lorsqu'elle en
fait don aux Archives publiques.
Quant au Dr Borden, décédé en 1963, il
lègue « toutes ses sculptures esquimaudes en ivoire de
morse ainsi que tous ses journaux et notes personnels sur la région
arctique aux Archives du gouvernement du Canada » (Davies, 1963).
Encore une fois, il n'y a aucune liste dévoilant la provenance
des ivoires.
En 1964, l'archiviste fédéral, un dénommé
Lamb, est enchanté de pouvoir réunir les deux collections,
comme il l'écrit à la veuve de Borden :
« Je crois vous avoir mentionné, à
vous et au Dr Borden, que la famille Low avait donné
aux Archives, il y a de ça plusieurs années,
la collection de sculptures rassemblées par M. Low lors
de sa fameuse expédition. Nous les avons transférées
au Musée national il y a deux ans. Elles ressemblent et
s'ajoutent de bien des façons à la collection du
Dr Borden, et je suis ravi de les voir réunies »
(Lamb, 1964; mes italiques).
Il est facile d'établir la date des ivoires de Borden, car il
n'a participé qu'à une seule expédition, celle du
Neptune. Il ne fait donc aucun doute que cette collection remonte à
1903-1904. Comme l'a remarqué avec justesse l'archiviste, Lamb, les
sculptures des deux collections présentent une grande ressemblance
stylistique. Il est donc raisonnable de penser que les ivoires d'A. P. Low
datent de la même période.