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Participation des Autochtones au service militaire canadien : Contextes historique et contemporain

John Moses
Chercheur en histoire autochtone
Service canadien d'ethnologie
Musée canadien des civilisations


Cet article a paru dans The Army Doctrine and Training Bulletin: Canada's Professional Journal on Army Issues, vol. 3, no 3 (automne 2000), pp. 14-18. Reproduction autorisée.


Le présent article vise à décrire le spectre des attitudes manifestées par les collectivités d'Indiens inscrits et les particuliers autochtones du pays en réaction aux défis et occasions perçus qu'a généré la participation du Canada aux Première et Seconde Guerres mondiales. 1 Il est prévu que la connaissance des problèmes autochtones du Canada s'ajoutera aux éléments de connaissances professionnelles requises du personnel des Forces canadiennes (FC). Cet ajout se fera en prévision de futures opérations domestiques au Canada, par exemple dans le cadre d'opérations d'aide au pouvoir civil, et en réponse à l'expansion continue des programmes de la Réserve comme les Rangers du Canada, ainsi qu'en réponse aux projets de recrutement en cours dans la Force régulière, notamment le programme d'enrôlement des Autochtones des FC et le projet de formation militaire Sergeant Tommy Prince. Comme les membres des FC auront des interactions avec des groupes des Premières nations dans ces contextes, il est tout à fait pertinent pour eux de perfectionner leur connaissance des enjeux socio-politiques et historiques des Premières nations se rapportant aux affaires militaires du Canada.

Les collectivités autochtones de nombreuses régions du Canada ont une tradition de service militaire à l'appui de la Couronne en temps de conflit et de guerre. Cependant, ce service militaire n'a jamais été consenti inconditionnellement et ne s'est jamais fait sans complications ou controverses pour les membres et les collectivités intéressés des Premières nations. Pour la population d'Indiens inscrits du Canada, la question de la participation ou de la non-participation aux deux guerres mondiales a été source de division au sein des réserves indiennes et, dans certains cas, au sein d'une même famille. Les conséquences de ces divisions continuent, aujourd'hui encore, à se faire sentir au sein de certaines collectivités.

L'histoire détaillée des rapports entre les Autochtones et les Européens dépasse largement la portée du présent article. Toutefois, les rapports initiaux entre les Premières nations et les Européens dans ce qu'on désigne aujourd'hui comme l'est de l'Amérique du Nord peuvent être qualifiés de rapports de quasi égalité. En temps de paix, les puissances européennes présentes en Amérique du Nord (avant 1664 les Anglais, les Français et les Hollandais) étaient intéressées à maintenir la coopération avec les peuples des Premières nations dans la poursuite de projets économiques conjoints, principalement ceux ayant trait au commerce des fourrures dont le succès dépendait largement de la main-d'œuvre autochtone. En temps de guerre, ces mêmes puissances européennes cherchaient à obtenir l'appui actif des chefs de Premières nations à titre d'alliés militaires ou à obtenir des garanties de neutralité de leur part.

Durant toute cette période, connue historiquement comme la période des traités de paix et d'amitié, les questions de cession et d'abandon de terres n'étaient généralement pas abordées dans les négociations entre les Premières nations et les gouvernements impériaux ou coloniaux. Par exemple, un traité de paix et d'amitié signé le 10 mars 1760 sert de fondement historique à la controversée décision Marshall sur les droits de pêche des Autochtones. Ce traité a été négocié entre la Couronne et les chefs Mi'kmaq au cours des quelques mois qui ont suivi la défaite des Français à Louisbourg (juin 1759) et à Québec (septembre 1759), soit trois années complètes avant la fin des hostilités entre les Anglais et les Français, c'est-à-dire avant la signature du Traité de Paris de 1763. Ce traité de paix et d'amitié de 1760 a donc été conclu à une époque où la Couronne courtisait activement les Mi'kmaq qui étaient anciennement alliés des Français. Le contexte du traité était avant tout et surtout un contexte d'avantages réciproques pour les Mi'kmaq et la Couronne et de conciliation entre les deux parties et ce, précisément à une époque où les Anglais tentaient de consolider et d'asseoir leur hégémonie sur l'ensemble des Maritimes.

En l'absence d'alliances de ce genre, certaines coalitions de Premières nations, sous la direction politique et militaire inspirée de leurs chefs (un leadership souvent incarné en une seule et même personne de grand charisme) étaient disposées à organiser certaines activités susceptibles de catalyser l'apparition de nouvelles circonstances plus favorables à leurs propres intérêts immédiats. Ainsi, le chef de guerre Pontiac, un Odawa anciennement allié des Français, a regroupé plusieurs Premières nations pour faire la guérilla aux postes anglais dans l'est des Grands Lacs et dans la vallée de l'Ohio pendant l'été et l'automne de 1763. Cette guérilla s'est déroulée immédiatement après la défaite du régime de la Nouvelle France et au moment de la signature du Traité de Paris. À cette époque il devenait de plus en plus clair aux yeux des peuples des Premières nations anciennement alliés des Français que les Anglais n'entendaient pas adopter le même libéralisme relatif dans les questions de commerce et de souveraineté des Premières nations. Les gestes posés par Pontiac en conséquence de cette constatation ont donc été en partie responsables de la mise en œuvre par les Anglais de la Proclamation royale du 7 octobre 1763 en vertu de laquelle la Couronne cherchait, entre autres, à établir un mécanisme politique susceptible de permettre l'établissement d'un système formel de négociation des transactions territoriales entre les Premières nations et le représentant de la Couronne.

Cette Proclamation royale reste à la base de toute discussion sur les droits des Autochtones, leurs revendications territoriales et le droit des Autochtones au Canada. L'ancien juge Bora Laskin de la Cour suprême du Canada, aujourd'hui décédé, a décrit l'importance de cette proclamation de façon plutôt dramatique comme suit : « Cette proclamation était un décret ayant la force exécutoire d'une loi du Parlement et était décrite comme un projet de loi sur les Indiens. La portée législative de la proclamation est analogue à celle de la Grande Charte ... »;2 (Traduction) La dite Proclamation royale a entre-temps été enchâssée dans la Constitution en vertu de la mention qui en est faite à l'article 25 de la Charte des droits et libertés du Canada, laquelle fait partie de la Loi constitutionnelle de 1982. Ses effets continuent donc de se faire sentir à ce jour et représentent, pour certaines Premières nations, un acte historique de reconnaissance de leur statut de nations indépendantes et souveraines posé par la Couronne. Pour les cours canadiennes, elle représente la reconnaissance des obligations fiduciaires et du lien de confiance particulier du Canada à l'égard des intérêts des Premières nations, en sa qualité de successeur moderne de la Couronne britannique en Amérique du Nord.

Ainsi, du milieu du XVIIe siècle jusqu'au début du XIXe siècle, des alliances militaires successives entre certaines Premières nations et leurs contreparties européennes et coloniales respectives ont contribué à la définition d'un équilibre du pouvoir. Éventuellement, ces alliances et rapports ont conditionné la création puis le développement des États-nations modernes que sont le Canada et les États-Unis d'aujourd'hui. Tout au long de cette période, des armées essentiellement constituées de membres des Premières nations sous un leadership des Premières nations pouvaient être mobilisées auprès des forces alliées européennes et coloniales en campagne pour la poursuite d'objectifs militaires et stratégiques conjoints. En l'absence de telles alliances, les Premières nations ont été en mesure, pendant un certain temps, de faire la guerre totale ou de faire une guerre avec objectifs limités en leur propre nom.

Toutefois, les alliances stratégiques entre puissances européennes et coloniales et les Premières nations sous la direction d'un chef autochtone charismatique étaient plus courantes que l'absence d'alliances de ce genre. Le capitaine de bataille Mohawk Thayendanega ou Joseph Brant a été un allié indéfectible des Anglais durant toute la révolution américaine et même après. Le chef Shawnee Tecumseh a organisé et dirigé une vaste coalition de forces des Premières nations qui a combattu aux côtés des Anglais contre les Américains durant la guerre de 1812. John Norton, le successeur désigné par Joseph Brant dans le Territoire des Six nations de la rivière Grand, a dirigé des groupes de guérilleros et de forces irrégulières constitués de guerriers de la rivière Grand dans des opérations au-delà des frontières de Détroit et du Niagara pour appuyer les Anglais durant la période de 1812-1814.

Il importe de noter que de 1755 à 1830, une branche de l'Armée britannique connue comme le département des Indiens était responsable de l'administration des affaires indiennes en Amérique du Nord au nom de la Couronne. À cette époque, l'appui des Premières nations dans l'est de l'Amérique du Nord n'était désormais plus requis dans divers projets comme cela avait été le cas auparavant, qu'il s'agisse de projets militaires ou économiques. Ce changement a fait suite au règlement, en Amérique du Nord, des luttes de pouvoir successives que se sont livrées les divers régimes impériaux et les États qui leur ont succédé. La perte d'importance du commerce des fourrures comme moteur de l'économie de l'Amérique du Nord et un déclin dramatique des populations autochtones combinés à une croissance exponentielle de l'immigration européenne ont également contribué à cette distanciation. En réalité, les Premières nations n'étaient désormais plus considérées comme des alliés militaires en puissance ou des partenaires de commerce potentiels, mais de plus en plus comme un fardeau économique et un obstacle au développement et à l'expansion territoriale. En 1830, l'administration des affaires indiennes en Amérique du Nord britannique est passé du contrôle militaire au pouvoir civil.

C'est à cette époque que l'assimilation des populations autochtones (incluant leur conversion religieuse au christianisme et l'élimination de leurs traits culturels distinctifs) et la prise en charge des terres des Premières nations sont devenues les objectifs des politiques coloniales sur les Indiens et par la suite des politiques du Dominion. S'écartant de l'ancienne pratique des traités de paix et d'amitié, une nouvelle politique a été mise en place en vue de la conclusion de traités de cession et d'abandon de terres. Cette nouvelle politique a été officialisée dès 1850 dans ce qui est aujourd'hui l'Ontario avec la négociation des traités Robinson-Huron et Robinson-Supérieur. À l'ouest des Grands Lacs, elle a été enchâssée en 1871 et de 1871 jusqu'à 1921, les traités numérotés de 1 à 11 ont été conclus dans ce qui correspond aujourd'hui aux provinces des Prairies, et à une grande partie du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Habituellement, ces traités officialisaient la cession et l'abandon par les Premières nations de territoires traditionnels et de terrains de chasse en échange de promesses de réserves et du paiement de certaines compensations, soit sous forme de paiements monétaires forfaitaires ou, dans d'autres cas, de paiements annuels fixes.

Avec la Confédération, l'article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 conférait au gouvernement fédéral l'autorité sur « ... les Indiens et les terres réservées aux Indiens ... ». Ce pouvoir fédéral a été codifié en 1876 avec l'adoption de la première Loi consolidée sur les Indiens. Avant cette date, plusieurs actes législatifs coloniaux distincts servaient de cadre de politique pour l'administration des affaires indiennes dans chaque province. La notion de « statut d'Indien » a été introduite pour la première fois au Bas-Canada (est du Canada) dès 1850 avec l'adoption d'un « Acte ... pour mieux protéger les terres et les propriétés des sauvages dans le Bas-Canada ». C'est dans cette loi qu'on trouve la première définition légale de ce qu'était un « Indien » du point de vue du gouvernement.3

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