Une cause commune :
le programme d'art militaire de Grande-Bretagne
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La collection de peintures de la Seconde Guerre mondiale de
l'Imperial War Museum, acquise grâce au War Artists
Scheme (WAS) du gouvernement britannique et enrichie par la suite
grâce à un collectionnement judicieux, couvre l'ensemble
de l'expérience de la vie civile et militaire, exprimant l'humeur
nationale et les réactions à la guerre et définissant
le souvenir que nous en avons. Elle montre la réalité de la
guerre moderne, les démonstrations de force, mais aussi la crainte
et l'ennui, et comment le familier pouvait se juxtaposer au tout à
fait étrange et au nouveau. Nous voyons des individus
extrêmement vulnérables et courageux, et comment des besoins
exceptionnels et les occupations de tous les jours ont influencé
la vie de tous. Nous voyons l'incidence d'une économie de guerre
totale qui touchait toute la population et l'exposait à toutes ses
conséquences. Savoir comment des artistes britanniques ont pu
travailler pendant la guerre et connaître les préoccupations
particulières qu'ils ont abordées aide à mieux
comprendre leurs peintures et les forces qui les ont
façonnées.
Le WAS, administré par le
War Artists Advisory Committee (WAAC) du ministère de
l'Information, a été conçu, établi et
présidé par Kenneth Clark, directeur de la National
Gallery, qui était alors la figure dominante du monde de
l'art britannique. Pareil mécénat public n'était
pas sans précédent : parmi les exemples récents
figuraient des programmes de la Première Guerre mondiale, notamment
le Fonds de souvenirs de guerre canadiens, dont Clark avait vu des
peintures en 1917 à la Royal Academy of Arts, et le
Federal Art Plan des États-Unis qui fonctionnait toujours
au début de la guerre. Clark avait cependant de graves
réserves sur la qualité de la production de ce dernier.
Il y avait une compréhension générale de la
nécessité et l'ampleur d'un tel projet: «
l'appareil-photo est incapable d'interprétation et une guerre si
épique sur terre, en mer et dans les airs, dont le mécanisme
est si complexe et si détaillé, exige une
interprétation [par des artistes] et une représentation
artistique.»
Clark voulait que le programme appuie et permette la réalisation
et l'achat d'œuvres d'art de grande qualité pour exprimer les
valeurs culturelles des Britanniques qui se situaient à
l'opposé de l'esthétique contrôlée et
centralisée des nazis. En outre, on a organisé des
expositions qui ont été mises en tournée outre-mer,
tout au long de la guerre, notamment en Amérique du Nord et du Sud,
pour influencer les habitants de cet hémisphère et pour
obtenir des appuis pour le combat de la Grande-Bretagne. Clark avait pour
objectif à long terme de favoriser, voire d'exploiter, un
intérêt croissant pour les arts visuels par le biais d'un
programme d'expositions en temps de guerre qui devait avoir une incidence
durable sur la culture visuelle britannique. À la fin de la guerre,
six mille peintures de plus de quatre cents artistes ont été
acquises par le comité et réparties entre des musées
de tout le Royaume-Uni et d'outre-mer, notamment du Canada et
d'Australie.
Le programme faisait signer un contrat aux artistes ou leur commandait
des œuvres spécifiques selon leur méthode de travail,
qu'il s'agisse du style, de la quantité ou du sujet. Bref, on leur
accordait une grande liberté pour déterminer combien
d'œuvres ils réaliseraient et pour choisir leur sujet dans
ces limites définies. On achetait aussi des œuvres d'autres
artistes, dont beaucoup étaient en service actif, et on leur
donnait des permis pour leur permettre de travailler dans des zones
réglementées. En fait, sans le programme, beaucoup
n'auraient pas eu la possibilité de contribuer de manière
significative à l'effort allié.
En Grande-Bretagne, les représentations de sites industriels et
d'ouvriers avaient acquis une importance et un caractère d'urgence
particuliers : le public avait besoin de savoir que la capacité de
produire des armes existait et était pleinement utilisée. Ces
images de cadres de travail, des relations entre les bâtiments et
leurs fonctions, et entre les individus concernés par la technologie
ou visés par elle, nous donnent des indices sur les racines et les
motifs de notre vie d'aujourd'hui et montrent que celle-ci a beaucoup
changé et continue de le faire. Les images d'abris du Blitz,
même très exposés et inconfortables, s'inscrivaient
dans le cadre d'un programme délibéré de commandes
visant à montrer comment le pays faisait face à la
guerre.
Une tension évidente se manifeste quand nous voyons ces tableaux.
Nous admirons le talent technique et peut-être le courage des
artistes, et leur volonté de digérer et interpréter
des évènements stupéfiants. Mais nous ne pouvons pas
nous contenter de cela : il faut tenter de pénétrer dans ces
images, de revivre ce que les artistes ont vu, et de comprendre le
contexte où ils ont cherché à combiner
priorités nationales et vision artistique; de trouver un juste
milieu entre le devoir de représenter et d'interpréter tout
ce qu'ils voyaient et les restrictions qu'imposaient la
sécurité militaire et la dignité de la personne; de
mettre en balance les développements technologiques et la
destruction et le chaos généralisés avec lesquels
ils étaient inextricablement liés; de juger la nouvelle
pratique industrielle en fonction de son incidence sur la
société.
Le WAAC
était un mariage entre les aspirations et les traditions de la
culture visuelle et un conflit complexe, divers et mû par la
technologie; entre le mécénat d'État et une
communauté artistique qui aurait peut-être autrement
lutté pour se définir et se justifier pendant la guerre.
C'était un mécénat d'État qui,
rétrospectivement, semble croître en ambition et en
dimension, au lieu de diminuer. Le projet soigneusement
créé par Kenneth Clark a laissé un legs qui,
soixante ans plus tard, révèle une histoire qui
continue d'être distinctive, troublante et passionnante.
Roger Tolson
Imperial War Museum
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