Le Corps infirmier militaire canadien
Bref historique du service infirmier militaire
Le service infirmier militaire est d'abord redevable aux efforts volontaires d'infirmières qui ont, en quelque sorte, imposé leur présence au fil des guerres en démontrant l'utilité, voire, la nécessité de leur action. Florence Nightingale est considérée, à tort ou à raison, comme la pionnière du nursing moderne et en particulier du nursing militaire. Son service auprès des soldats lors de la guerre de Crimée (1854-1856) ainsi que ses efforts constants afin d'améliorer l'efficacité du travail des infirmières ont convaincu le public, de même que les autorités militaires, qu'il était indispensable d'organiser un corps médical plus complet au sein des forces armées, au lieu d'offrir les services d'un seul officier médical par régiment. Les expériences de Florence Nightingale1 l'ont par ailleurs convaincue qu'un service infirmier efficace devait être indépendant des autorités militaires. En conséquence, le service infirmier britannique établit à partir de 1855 ses structures propres. Bien que rattaché à l'Armée, le corps infirmier constitue une entité indépendante des autorités militaires sur le plan administratif. Le Corps infirmier britannique emprunte certaines règles de fonctionnement aux forces armées, en ce qui concerne notamment le port de l'uniforme, le respect de la hiérarchie, de même que l'obéissance à un code de conduite strict. Au Canada, le Corps infirmier militaire, créé et pris en charge par le ministère de la Milice et de la Défense, s'inspire des traditions britanniques mais s'en démarque rapidement2.
En 1870, la rébellion des Métis, sous la direction de Louis Riel dans le Nord-Ouest canadien, nécessite l'envoi de troupes militaires. Le ministre Adolphe Caron donne au lieutenant-colonel Darby Bergin la tâche d'organiser les services médicaux qui accompagneront les membres de la Gendarmerie royale. Ce dernier a déjà l'intention d'engager une main-d'oeuvre féminine pour son service médical.
Quatre infirmières civiles bénévoles sont alors sélectionnées pour oeuvrer aux soins des blessés pour une période de quelques mois. Ayant rapidement prouvé l'utilité de leurs services, ces infirmières ont été relevées à la fin de leur mandat par des groupes successifs d'infirmières bénévoles, et ce, jusqu'à la fin des hostilités. Les infirmières ont été chaudement applaudies pour leur courage et leur endurance et elles ont reçu, chose rare pour les femmes à l'époque, une décoration militaire en récompense de leurs efforts, soit la médaille du Nord-Ouest3.
Devant le succès de l'organisation des soins médicaux au cours de la rébellion du Nord-Ouest, le lieutenant- colonel Bergin projette la création d'un corps armé médical permanent, lequel serait indépendant des autres corps armés et composé à la fois de médecins et d'infirmières. Mais une fois la paix rétablie, le projet est plus ou moins mis de côté. Cependant, l'idée de maintenir une main-d'oeuvre infirmière régulière au service des soldats commence à s'imposer.
En 1898, le gouvernement fédéral envoie 200 soldats volontaires pour soutenir les efforts de la Gendarmerie royale au Yukon, à la suite de problèmes occasionnés par la ruée vers l'or. Aucun officier médical n'accompagne le contingent. Cependant, quatre infirmières du Victorian Order of Nurses (VON) sont du voyage. Ces dernières s'occupent principalement des besoins médicaux des soldats au cours du long trajet vers la ville de Dawson au Yukon. Elles soignent aussi les habitants des divers villages miniers situés sur la route vers le Nord.
Le périple dure trois mois et, à leur arrivée à Dawson, les quatre infirmières restent sur place pour soigner la population de la région. Leur travail, exécuté dans des conditions difficiles -- édifices inadéquats, manque de matériel, température peu clémente -- , leur vaut les éloges et le respect des autorités militaires canadiennes.
Toutefois, les Forces armées canadiennes n'ont pas encore intégré les infirmières à leurs structures permanentes. Lors de la déclaration de la guerre des Boers en 1899, le Service de santé de l'Armée canadienne, organisé au début des hostilités entre Britanniques et Sud-Africains, ne possède pas de corps infirmier militaire. Néanmoins, les autorités militaires canadiennes prennent la décision de joindre un groupe d'infirmières au convoi de soldats envoyés au front. En Afrique du Sud, contrairement aux infirmières envoyées au Yukon sous la bannière du VON, les infirmières portent un uniforme fourni par l'Armée canadienne. Huit infirmières au total sont sélectionnées pour accompagner les quelque 1 000 volontaires canadiens4.
À la suite de cette guerre, en 1899, le directeur général des services médicaux des Forces armées canadiennes recommande l'instauration d'un corps infirmier militaire officiel. Appuyée par le commandant de la milice canadienne, impressionné une fois de plus par le travail des infirmières en situation d'urgence, la recommandation est acceptée et la création du Corps infirmier militaire canadien s'amorce en 1901. Avant même que la structure administrative de ce corps ne soit établie, la Grande-Bretagne se trouve face à une reprise des hostilités en Afrique du Sud. Huit infirmières, dont quatre ayant déjà servi pendant le premier épisode de la guerre, se rendent une fois de plus en Afrique du Sud, cette fois en tant que membres à part entière du nouveau service infirmier militaire canadien5.
En 1904, les Forces armées canadiennes entreprennent une réforme complète de leurs services médicaux. Celle-ci se traduit par une restructuration administrative : il est décidé que le Corps infirmier fera partie de la Réserve, une section des Forces armées composée de membres semi-permanents, qui, comme le nom l'indique, a pour fonction suppléer aux sections régulières en cas de conflit armé. Vingt-cinq infirmières sont sélectionnées pour en faire partie.
Ce n'est toutefois qu'en 1908, lorsque Georgina Fane Pope devient la première « matrone » en chef du Corps infirmier militaire et, par conséquent, le premier membre permanent de cette unité, que ce corps commence son existence officielle. Parmi les fonctions de cette pionnière, il faut compter son apport dans l'établissement des règles de fonctionnement et de recrutement des membres du Corps infirmier. Au cours de son mandat, Miss Fane Pope s'occupe principalement de la direction des hôpitaux militaires et du recrutement de nouvelles infirmières. De plus, elle est responsable de l'uniforme des infirmières. Celui-ci passe du kaki au bleu marine et on y ajoute tous les insignes militaires6.
- Pour en savoir plus long sur la vie et l’oeuvre de Florence Nightingale, consultez les ouvrages suivants : F. B. Smith, Florence Nightingale: Reputation and Power, London, Croom Helm, 1982; et Vern L. Bullough, Bonnie Bullough et Marietta P. Stanton, Florence Nightingale and her Era: A Collection of New Scholarship, New York, Garland Publishing Inc., 1990. Retour
- Peu d’ouvrages ont été consacrés uniquement à l’histoire des infirmières militaires au Canada. John Gibbon et Mary Matthewson leur consacrent un chapitre dans leur étude Three Centuries of Canadian Nursing, Toronto, Macmillan, 1974 (1947). Les études de G. W. L. Nicholson, Seventy Years of Service, Ottawa, Borealis Press, 1977, et Canada’s Nursing Sisters, Toronto, Samuel Stevens, Hakkert & Co., 1975, sur les services médicaux dans les Forces armées canadiennes sont plus explicites. Pour une excellente bibliographie et revue récente de l’historiographie sur les infirmières militaires au Canada, consultez l’introduction et la bibliographie de l’ouvrage de Susan Mann, The War Diary of Clare Gass 1915-1918, Montréal, McGill-Queens University Press, 2000. Retour
- Nicholson, Canada’s Nursing Sisters, op. cit., p. 27. Retour
- Ibid., p. 33-34. Retour
- Ibid., p. 44. Retour
- Ibid., p. 44-45. Retour