Qui sont les infirmières militaires canadiennes?, une esquisse
La profession d'infirmière constitue, à l'aube de la Première Guerre mondiale, un secteur d'emplois professionnels féminins en pleine expansion et en pleine structuration. En regard de l'ensemble de la maind'oeuvre féminine, les infirmières ne représentent encore que 2 % des effectifs, une proportion que l'on peut qualifier de négligeable7. Mais la profession est en plein essor, et les écoles de formation s'établissent à un rythme effréné. En 1921, ses effectifs avaient quadruplé. La Première Guerre mondiale semble avoir joué un certain rôle dans l'évolution numérique du métier, entre autres par la création du Corps infirmier militaire canadien.
Peu de statistiques officielles existent à son sujet. Toutefois, même si l'analyse des diverses sources disponibles sur le parcours des infirmières militaires canadiennes ne permet pas de faire des généralisations hâtives sur l'ensemble des infirmières militaires en service lors de la Première Guerre, il est possible d'en extraire quelques informations intéressantes et de dégager des tendances caractéristiques du groupe8.
Les infirmières militaires canadiennes étaient surtout d'origine canadienne ou provenaient des îles Britanniques; la plupart ont été élevées en ville, et avaient donc plus facilement accès à une formation que leurs consoeurs de la campagne, les écoles d'infirmières étant alors concentrées dans les centres urbains. Elles ont grandi en général dans des milieux petit-bourgeois; leurs pères étaient ministres du culte, médecins, comptables, hommes d'affaires. Elles étaient généralement plus instruites que la moyenne des femmes de l'époque. La plupart ont suivi un cours de niveau secondaire, certaines ont même poursuivi des études universitaires. Plusieurs avaient déjà une certaine expérience du travail rémunéré, à titre de gouvernantes, d'institutrices ou de commis, et ce, avant d'entrer à l'école d'infirmières, ces institutions n'acceptant que les candidates âgées de 21 ans et plus.
Les infirmières du Corps expéditionnaire canadien ont été formées dans des écoles de nursing canadiennes, d’autres en Grande-Bretagne; quelques-unes ont choisi les États-Unis pour y effectuer leurs études. La majorité ont joint les rangs du Corps infirmier militaire canadien peu de temps après avoir complété leur formation. En 1914, elles avaient en moyenne 24 ans.
Dès le début du conflit, la plupart des infirmières ont été envoyées en Europe, où l'on a acheminé des convois d'infirmières jusqu'en 1917. Souvent, elles sont restées jusqu'à la fin des hostilités. Toutes démobilisées à la fin de la guerre, plusieurs se sont mariées et ont eu des enfants. Toutefois, une bonne partie d'entre elles sont restées célibataires, ce qui n'était pas fréquent à l'époque. Parmi les célibataires, la majorité sont retournées sur le marché du travail et ont oeuvré sinon à titre d'infirmières, au moins dans le domaine de la santé.
Avant la guerre, les infirmières recrutées pour servir dans le Corps infirmier sont choisies parmi les infirmières civiles. Elles doivent être célibataires et en bonne santé et avoir obtenu un diplôme en études infirmières d'une école de formation reconnue. Une fois sélectionnées, les candidates doivent suivre un entraînement de quatre à six semaines à l'hôpital militaire de Halifax pour y apprendre les rudiments du nursing militaire. Elles doivent ensuite se soumettre à un examen oral et écrit, après quoi elles peuvent être admises officiellement comme membre du Corps infirmier militaire et recevoir le grade de lieutenant ainsi que tous les avantages liés à ce titre : salaire, permissions, régime de retraite. Cependant, leur autorité en tant qu'officier est limitée aux fonctions qu'elles exercent dans les hôpitaux. Elles n'ont aucun pouvoir décisionnel sur le plan militaire, contrairement aux officiers médecins. De plus, bien qu'elles soient lieutenants, elles sont simplement connues et appelées « nursing sisters », un titre qui rappelle la vie religieuse à laquelle sont souvent associées les tâches de soins, l'administration des soins étant aussi perçue comme une vocation.
De toutes les infirmières en service commandé au cours de la Première Guerre mondiale, seules les infirmières canadiennes sont sous le contrôle direct de l'Armée et détiennent un rang militaire. Par comparaison, les services infirmiers britanniques, bien qu'affiliés à l'Armée, n'en font pas partie intégrante. Le statut plus élevé accordé à la profession d'infirmière au Canada qu'en Grande-Bretagne peut expliquer, tout au moins en partie, ce bouleversement de la tradition par les autorités militaires canadiennes. La plupart des infirmières diplômées canadiennes ont effectué des études secondaires et, au Canada, la formation dans une école d'infirmières est perçue comme une marque de prestige9.
Margaret MacDonald, qui a succédé à Miss Fane Pope comme « matrone » en chef du Corps infirmier, s'est montrée quelque peu critique en ce qui a trait au mode de recrutement des membres. Le processus de sélection constitue, selon elle, une entrave à l'établissement rapide d'un corps nombreux d'infirmières. Pour résoudre ce problème, elle suggère que des cours de nursing militaire soient donnés dans divers hôpitaux du Canada et que les infirmières soient autorisées à se rendre dans les camps d'entraînement des soldats pour qu'elles puissent mettre en pratique les notions de nursing militaire acquises, qui diffèrent, à son avis, de celles du nursing civil. De plus, Margaret MacDonald, après maintes pressions auprès du ministre de la Défense, se rend en Grande-Bretagne en 1911 afin d'étudier l'administration et l'organisation des corps infirmiers militaires britanniques, dont veut s'inspirer le Corps infirmier canadien. Le but du voyage est d'apprendre les méthodes des infirmières militaires britanniques, plus nombreuses et mieux organisées, afin de les appliquer au Corps infirmier canadien, que l'on souhaite rendre plus fonctionnel en cas de conflit armé10.
Malgré ces efforts, en 1914, le Corps infirmier militaire, tout comme le reste du Corps expéditionnaire canadien, est fort peu préparé aux défis qui l'attendent. Toutefois, le manque d'organisation ne signifie pas manque d'effectifs. Tout au long de la guerre, le nombre de demandes d'enrôlement de la part des infirmières a toujours dépassé le nombre de places disponibles dans le Corps infirmier militaire.
- Statistique compilée à partir des chiffres tirés de l’ouvrage suivant : Department of Trade and Commerce (Census and Statistics Office) Fifth Census of Canada, 1911, Ottawa, L. Taché Printer, 1912. Retour
- Ces informations ont été extraites de 25 entrevues réalisées avec des infirmières militaires du Corps expéditionnaire canadien entre les années 1977-1979 par madame Margaret Allemang, dans le cadre du projet Canadian Nursing Sisters of World War I Oral History Program, Toronto, Faculté de nursing, Université de Toronto, 1977-1979. Retour
- Nicholson, Canada’s Nursing Sisters, op. cit., p. 52. Retour
- Ibid., p. 46. Retour