<
 
 
 
 
×
>
Vous consultez une page Web conservée, recueillie par Bibliothèque et Archives Canada le 2006-11-28 à 04:09:16. Il se peut que les informations sur cette page Web soient obsolètes, et que les liens hypertextes externes, les formulaires web, les boîtes de recherche et les éléments technologiques dynamiques ne fonctionnent pas. Voir toutes les versions de cette page conservée.
Chargement des informations sur les médias

You are viewing a preserved web page, collected by Library and Archives Canada on 2006-11-28 at 04:09:16. The information on this web page may be out of date and external links, forms, search boxes and dynamic technology elements may not function. See all versions of this preserved page.
Loading media information
X
Sauter les liens de navigation (touche d'accès : Z)Bibliothèque et Archives Canada / Library and Archives Canada
Élément graphique EnglishContactez-nousAideRechercheSite du Canada
AccueilÀ notre sujetQuoi de neuf?À l'affichePublications

Bannière : Le Gramophone virtuel
Élément graphiqueIntroductionÉcouteRecherche dans la collection
  

La Bolduc -- Miroir musical du patrimoine canadien

 
  Mary Bolduc tenant son violon

Les origines des airs de La Bolduc

Mary Bolduc fait la chronique de l'actualité dans ses chansons et reflète en même temps les diverses influences musicales du Québec de son époque. Les caractéristiques des traditions anglaises, irlandaises et françaises qui l'ont vu grandir se fondent l'une dans l'autre pour créer son style unique et animé de chanson populaire quasi traditionnelle.

Une écoute rapide des chansons de La Bolduc révélera, même aux auditeurs peu familiers, que dans presque chaque chanson ses airs s'inspirent de danses folkloriques comme les reels. Le reel, genre de musique de danse folklorique ou country en 2/4 accéléré, provient de l'Écosse et est devenu très populaire en Irlande. On jouait habituellement les reels au violon; au Québec, on les jouait aussi à l'harmonica. Mary Bolduc maîtrisait parfaitement ces deux instruments. En France, il existe aussi une coutume semblable qui consiste à accompagner les quadrilles au violon. À titre de comparaison, le site Web Le Gramophone virtuel offre un pot-pourri de reels traditionnels enregistrés en 1919 par Albert Gerson.

L'explication des similitudes est simple : Mary Bolduc ne « composait » pas de mélodies au sens habituel du terme. Plusieurs, sinon la plupart, de ses chansons sont construites sur des mélodies de chansons ou de danses folkloriques existant déjà; pour d'autres, elle commençait avec une mélodie bien connue, puis créait sa propre variante. Certaines autres chansons reposaient sur des airs populaires américains connus des anglophones et des francophones du Canada.

Les paroles de Mary Bolduc sont toutefois de son cru, bien que certaines, tout comme les airs, soient des parodies ou des adaptations de chansons existantes. La pratique d'emprunter des airs connus et d'y mettre de nouvelles rimes est ancienne et vénérable, et elle est courante dans les traditions britanniques, françaises et nord-américaines. En Grande-Bretagne, cette pratique remonte aux « broadside ballads » anglaises (chansons écrites sur des feuilles de papier journal, dans le sens de la largeur, d'où leur nom) dans les années 1600, et peut-être même avant. En France, on chantait souvent les nouvelles chansons sur des « timbres » ou mélodies bien connues. À mesure que les chansons se transmettaient oralement, les gens ajoutaient leurs propres textes à leurs airs favoris, avec des histoires régionales ou des mots et des phrases de leur coin de pays qu'ils connaissaient bien, donnant ainsi à la chanson sa couleur unique.

Le style de performance de Mary Bolduc doit aussi beaucoup à la tradition orale. Nous parlerons plus loin de l'importance qu'elle accordait au violon et à l'harmonica. Son style vocal nasillard relève également de la tradition, tout comme son attitude relâchée face au ton mélodique utilisé.

Les mélodies empruntées

« Johnny McFellow » : Cette chanson anglaise a servi de base à l'un des premiers enregistrements de Mary Bolduc, « Johnny Monfarleau ».

 

« Yes! We Have No Bananas » [Oui! Nous n'avons pas de bananes] : Cette chanson populaire américaine de 1923, de Frank Silver et d'Irving Cohn, était elle-même inspirée de chansons existant déjà. On peut entendre une partie de la mélodie et du texte dans « Le Commerçant des rues » de Mary Bolduc.

Version originale de « Yes! We Have No Bananas »    

« The Music Goes Round and Around » [La musique tourne et tourne] : Cette chanson populaire américaine a été écrite en 1935 par Red Hodgson, Edward Farley et Michael Riley. L'année suivante, l'air se retrouve dans la chanson « Gédéon amateur » de La Bolduc.

 
  Musique en feuille de la populaire chanson américaine « The Music Goes Round and Around », vers 1935  
 

« Red River Valley » [Vallée de la rivière Rouge] : Ce célèbre air anglais vient d'une chanson folklorique canadienne traditionnelle qui fait allusion à la rivière Rouge, au Manitoba. Mary Bolduc a emprunté cet air pour sa chanson « Les Belles-mères ».

Musique en feuille de « Red River Valley », chanson folklorique dont La Bolduc a utilisé la mélodie  

« Little Brown Jug » [Petite cruche brune] : La chanson humoristique de Mary Bolduc « Les Cinq Jumelles », sur les quintuplées Dionne, est construite sur ce célèbre air à boire écrit en 1869 et popularisé en Amérique du Nord vers 1911.

« La Légende des flots bleus » : Cet air, écrit par Christiné et Dalbret, a inspiré « L'Enfant volé », chanson qui raconte l'enlèvement de l'enfant Lindberg, que Lucienne, la fille de madame Bolduc, a enregistrée à sa place. On peut aussi entendre l'enregistrement de la chanson originale, interprétée par Hector Pellerin, sur le site Web Le Gramophone virtuel.

Les caractéristiques intéressantes des chansons de La Bolduc

Le langage

Le langage dans les chansons de La Bolduc reflète la coexistence du français et de l'anglais, aussi bien à Montréal que dans sa Gaspésie natale. Ses chansons sont presque toutes en français, quoiqu'on y retrouve souvent quelques mots ou phrases en anglais. Ses publics auraient aisément compris ces anglicismes, qui reflétaient leurs vrais modes d'expression. On a critiqué Mary Bolduc pour avoir inséré des anglicismes dans ses chansons, alors qu'en fait le mélange des langues dans les chansons était en usage depuis des siècles. On peut observer ce phénomène particulièrement au sein des cultures comme celle du Canada, où se côtoient différents groupes linguistiques.

Parmi les chansons de La Bolduc qui comprennent des mots et des phrases en anglais, on retrouve « Les Cinq Jumelles », « Roosevelt est un peu là » (qui contient la phrase « We do our part » [On fait notre part]) et « Chanson de la bourgeoise » (qui contient le terme « watchait », conjugaison à la française d'un verbe anglais).

Les chansons énumératives

Énumérer des éléments tels que la nourriture, les corvées ou les traits physiques de ses personnages est une technique qu'aimait Mary Bolduc, sans doute autant pour la valeur comique et rythmique que pour le genre traditionnel. Les chansons énumératives, que le Québec doit à la France, constituent une importante catégorie de la chanson folklorique canadienne-française.

Parmi les nombreuses chansons de La Bolduc qui énumèrent des éléments, mentionnons « Je m'en vais au marché », « Si vous avez une fille qui veut se marier » et « La Servante ».

Les chansons-dialogues

Un autre genre traditionnel de chanson folklorique française, la chanson-dialogue, est souvent présenté sous forme de conversation ou de différend entre une femme et un homme. Mary Bolduc a enregistré une chanson-dialogue humoristique avec Ovila Légaré intitulée « Mademoiselle, dites-moi donc », dans laquelle un homme et une femme badinent et flirtent -- thème comique familier et toujours populaire.

La forme de ballade

Écrire des chansons sur l'actualité, comme l'a fait Mary Bolduc, remonte au moins aussi loin qu'aux années 1600, époque où les imprimeurs engageaient des poètes irlandais et anglais pour écrire des chansons sur les événements du jour, qu'ils publiaient ensuite sur des feuilles de papier journal appelé « broadside ». Ces « broadside ballads » étaient ordinairement chantées sur un air déjà bien connu. Plusieurs de ces ballades continuent de se transmettre par tradition orale, et on les chante encore aujourd'hui en Amérique du Nord. Généralement, la « broadside ballad » se distingue par la narration à la première personne, avec l'introduction typique interpellant l'auditeur au sujet de l'histoire qui va suivre (par exemple, « Come all ye, listen to my story… » [Venez, écoutez mon histoire…]). On retrouve cette introduction à la première personne dans la chanson de La Bolduc « La Chanson du bavard » : « Écoutez mes bons amis, la chanson que je vas vous chanter… »

Les anecdotes locales et les événements historiques existent également dans la chanson traditionnelle de France.

La turlute

La turlute était la signature de La Bolduc qui démarquait ses enregistrements de ceux des autres musiciens folkloriques. La technique de sa musique ne laisse aucun doute quant à ses origines irlandaise et écossaise. La « turlute » adapte une mélodie instrumentale pour l'expression vocale. La chanteuse crée un refrain à partir de vocables (ou de « syllabes saugrenues »), utilisant une technique qui remonte aux vieilles ballades des Îles britanniques. La turlute ressemble beaucoup au « fa-la-la » ou au « hey diddly-diddly-dee » des refrains associés aux chansons irlandaises ou anglaises. Dans la musique écossaise, on l'appelle « musique buccale ». Elle est souvent improvisée, comme le scat dans le jazz. Mary Bolduc turlutait souvent pour remplacer le solo d'harmonica entre les couplets chantés ou vice versa. Ses turlutes trouvent leur place surtout dans les reels, comme le « Reel turluté ».

Les instruments

 
Mary Bolduc et ses collègues jouant d'instruments de musique du folklore traditionnel, en 1928  

Des photographies de La Bolduc arrivées jusqu'à nous la montrent habituellement jouant de l'harmonica, instrument qui avait la place d'honneur dans ses enregistrements. L'harmonica (ou plus familièrement la « musique à bouche ») était et continue d'être très utilisé par les musiciens folkloriques traditionnels du Québec (et par les musiciens cajuns de la Louisiane), en partie à cause de sa portabilité, pour les danses comme les reels et les gigues. Seul le violon est plus utilisé que l'harmonica chez les musiciens folkloriques du Québec. La Bolduc était reconnue pour sa grande maîtrise des deux instruments, dont elle avait appris à jouer d'oreille sur les genoux de son père irlandais. L'accordéon complète le trio des instruments folkloriques traditionnels qui caractérise les enregistrements de La Bolduc.

Un mot sur les nouvelles tendances

 
  Bûcherons faisant de la musique dans un camp près de Gatineau, au Québec, en 1946

Un grand nombre de musiciens populaires, d'hier et d'aujourd'hui, ont adopté volontiers les nouvelles tendances pour rajeunir le son de leur musique. Toutefois, Mary Bolduc ne s'est pas éloignée de son style folklorique irlandais-français traditionnel, malgré la baisse de l'intérêt du public et la diminution des ventes de ses disques. Les « chansonnettes » françaises (chansons courtes), les sonorités du jazz américain et même la musique country du sud des États-Unis gagnaient en popularité, mais n'ont influencé que très peu le répertoire de La Bolduc. À nos oreilles, par conséquent, ses chansons peuvent sembler musicalement immuables et dénuées de complexité. Mais pour Mary Bolduc et ses inconditionnels, les chansons exprimaient un aspect de leur patrimoine qui existait en soi, sans qu'on doive le changer.

Une analyse de « La Cuisinière »

 
Portée de La Cuisinière  

Mélodie : La structure mélodique de « La Cuisinière » comporte quatre phrases musicales totalisant seize mesures. La première (phrase « A ») a quatre mesures qui se répètent immédiatement, pour un total de huit mesures. Vient ensuite une phrase « B », également de quatre mesures, puis une phrase « C » de quatre mesures qui répète un motif de la phrase « B ». Le refrain instrumental répète ces phrases, avec des variantes, une octave plus haut. Ce modèle AABC de seize mesures est fréquent dans les chansons folkloriques et populaires canadiennes. Il semble qu'il ait servi de structure aux airs chantés dans les camps de bûcherons disséminés dans la Gaspésie natale de Mary Bolduc.

 
  Tessiture : portée de musique à la clé de sol ayant comme étendue le la sous le do central et le si au-dessus du do central

La mélodie de La Bolduc dans « La Cuisinière » s'inspire d'un air folklorique particulièrement connu en Acadie. Elle utilise l'étendue de ton d'une neuvième (une octave plus une note -- du la sous le do moyen au si sous le do aigu). On retrouve souvent cette étendue dans les chansons folkloriques et populaires. L'air comporte des intervalles d'une seconde, d'une tierce et d'une quarte, avec une quinte diminuée, celle-ci étant réservée au refrain à la phrase « Hourra pour la cuisinière ». Les notes répétées et les triades (par exemple, do-mi-sol) prédominent, tout comme les brefs motifs mélodiques répétés. La chanteuse insère parfois des notes de passage et d'autres petites enjolivures improvisées dans différents couplets, méthode courante dans la chanson folklorique.

Texte : Cette chanson parle des rencontres humoristiques d'une domestique avec ses prétendants. Les chansons comiques sont une catégorie commune aux traditions de chansons folkloriques françaises et britanniques. Les chansons comiques françaises ont plus tendance à dépeindre des soupirants éconduits.

« La Cuisinière » comporte cinq couplets -- chacun de quatre lignes --, y compris le refrain. Le texte est construit en syllabes et utilise peu ou n'utilise pas de notes soutenues. Les lignes des textes de La Bolduc correspondent généralement une à une aux phrases mélodiques, autre caractéristique typique de la chanson folklorique anglaise.

La quatrième et dernière ligne de chaque couplet possède des traits intéressants en eux-mêmes. Il s'agit d'une brève ligne de texte de deux mesures, suivie d'un refrain de deux mesures (« Hourra pour la cuisinière »). De même, une rime interne (ou assonance) se produit à la syllabe finale de chaque phrase française courte; par exemple, dans le troisième couplet, « prendre un coup » rime avec « trouver ça doux ». Ces traits contrastent de façon intéressante avec la régularité des lignes un à trois, en plus de souligner la conclusion du couplet.

Refrain : Le refrain « Hourra pour la cuisinière » se répète à la fin de chaque couplet. Les phrases de l'harmonica (qui sont une répétition de la mélodie et qui sont jouées à l'octave) servent de refrain instrumental et d'introduction musicale à la chanson.

Caractéristiques traditionnelles : « La Cuisinière » emprunte plusieurs caractéristiques notables aux chansons françaises et irlandaises-anglaises. Certains aspects des « broadside ballads », que la jeune Mary avait sûrement entendues, sont ici présents. Les paroles et la musique de la chanson sont d'une forme très régulière, qui consiste en des couplets de quatre lignes et en une mélodie de huit mesures répétées, totalisant seize mesures de musique. Le texte débute par l'annonce du narrateur à la première personne (« Je vais vous dire quelques mots… »), à l'image de l'introduction traditionnelle des « broadside ballads », « O come ye listen to my story » [Venez écouter mon histoire]. De la chanson folklorique française viennent l'emploi de l'énumération et l'assonance.

Rimes : Le schéma des rimes dans « La Cuisinière » se traduit généralement par des couplets rimés (un arrangement aa/bb), bien que dans le dernier couplet les deux dernières lignes ne riment plus.

Temps : La chanson commence avec un battement préparatoire, caractéristique de plusieurs airs de Mary Bolduc. Même si dans l'ensemble le rythme est prévisible et régulier, la poétesse divise ou répète à l'occasion des notes afin de loger les syllabes supplémentaires du texte, créant ainsi de petites variations mélodiques d'un couplet à l'autre. L'ajout d'une mesure musicale dans le premier couplet, quatrième ligne, pour loger une phrase très longue du texte en est un bon exemple.

Métrique : La chanson est en 6/8, temps très utilisé dans les chansons folkloriques. Notez que Mary Bolduc ajoute une mesure de 3/8 pour permettre un battement au début du refrain instrumental.

Tempo : Le tempo animé contribue à la nature joyeuse de la chanson.

Langage : Certains traits de langage de cette chanson sont dignes d'intérêt. À titre d'exemple, nous retrouvons le mot anglais flask dans le troisième couplet, et des prononciations françaises argotiques ou régionales (par exemple, « vas » pour « vais »). Les chansons canadiennes mélangent souvent les langues, spécialement dans des endroits comme Montréal où cohabitent des groupes linguistiques différents.


Références

Bolduc, Édouard, Mme ; Joyal, Jean-Pierre ; Remon, Lina. -- Madame Bolduc [musique] : paroles et musiques. -- [Compilées par] Lina Remon avec la collaboration de Jean-Pierre Joyal. -- Montréal : Guérin, c1993. -- 244 p. -- No AMICUS 13434595

« France -- traditional music ». -- The new Grove dictionary of music and musicians. -- Edited by Stanley Sadie. -- London : Macmillan, 1980. -- 20 v. : ill. -- No AMICUS 973438

The great song thesaurus. -- Edited by Roger Lax and Frederick Smith. -- 2nd ed. -- New York : Oxford University Press, 1989. -- 774 p. -- No AMICUS 8384394

« Harmonica ». -- Encyclopédie de la musique au Canada. -- Sous la direction de Helmut Kallmann et al. -- 2e éd. rev. et augm. -- [Saint-Laurent, Qué.] : Fides, 1993. -- No AMICUS 13213211

Ives, Edward D. -- « Lumbercamp singing and the two traditions ». -- Canadian folk music journal. -- Vol. 5 (1977). -- P. 17-23. -- No AMICUS 24967603

« Laisse ». -- The new Grove dictionary of music and musicians. -- Sous la direction de Stanley Sadie. -- London : Macmillan, 1980. -- 20 v. : ill. -- No AMICUS 973438

« Musique folklorique canadienne-française ». -- Encyclopédie de la musique au Canada. -- Sous la direction d'Helmut Kallmann et al. -- 2e éd. rev. et augm. -- [Saint-Laurent, Qué.] : Fides, 1993. -- No AMICUS 13213211

Orenstein, Lisa. -- « Instrumental folk music of Quebec ». -- Canadian folk music journal. -- Vol. 10 (1982). -- P. 3-11. -- No AMICUS 123254

Madame Édouard Bolduc (Mary Rose Anne Travers), folkloriste et chansonnière (1894-1941)

Précédent  Suivant