L'influence musicale de La Bolduc -- La pionnière des chansonniers
À la fin des années 1950, on voit émerger au Québec un nouveau phénomène musical. De jeunes auteurs-compositeurs, appelés chansonniers ou chansonnières, chantent leurs propres compositions dans les petites boîtes de nuit, en s'accompagnant à la guitare. Leurs chansons originales sont engagées et s'inspirent de la musique folklorique; elles s'adressent surtout aux auditeurs québécois, leur parlant de leur vie et de leurs rêves. Les chansonniers et leurs nouveaux moyens d'expression personnelle constituent un important courant musical. Alors que plusieurs historiens musicaux considèrent Félix Leclerc comme le premier chansonnier, d'autres croient plutôt que Mary Bolduc l'a devancé à ce chapitre. (Voir l'article « Chansonniers » dans l'Encyclopédie de la musique au Canada.) Il est difficile d'établir avec certitude que certains aspects du répertoire d'un auteur-compositeur donné découlent de La Bolduc, alors qu'ils proviennent peut-être simplement de la tradition orale populaire. Néanmoins, on peut reconnaître plusieurs traits du répertoire de La Bolduc qui ont influencé les œuvres des chansonniers et des chansonnières, même si c'était de façon indirecte. On pourrait dire que Mary Bolduc a tracé une voie musicale, ouvrant le chemin aux chansonniers et chansonnières pour développer leur art. Points communs entre La Bolduc et les chansonniers
En tant que première auteure-compositrice-interprète vedette au Québec, Mary Bolduc a une influence indéniable sur les genres de musique populaire de ses successeurs québécois. Bien que nombre d'autres musiciens, comme Ovila Légaré, influencés par le folklore, aient enregistré des disques dans les années 1930, Mary Bolduc est de loin la plus connue. Les traits fondamentaux du style de La Bolduc sont devenus des modes d'expression répandus dans la chanson québécoise. Sa fidélité aux traditions de la musique folklorique québécoise est reprise par plusieurs chansonniers, tout comme son penchant pour les descriptions humoristiques de la vie quotidienne. Le réalisme de sa voix, lorsqu'elle dépeint les conditions sociales ou qu'elle fait le portrait satirique de ses personnages, refait surface dans l'œuvre de nombreux chansonniers qui ont suivi, par exemple Robert Charlebois. Un autre point qu'ont en commun La Bolduc et les auteurs-compositeurs-interprètes québécois postérieurs est leur rôle de porte-parole de leur époque. De la même manière, le patriotisme dans les chansons de Mary Bolduc, comme dans « La Gaspésienne pure laine », aurait été attrayant pour la nouvelle génération politisée des années 1960. Alors que la Révolution tranquille et sa recherche d'une identité culturelle prennent de l'ampleur, les Québécois se découvrent une nouvelle assurance -- qualité dont Mme Bolduc et sa musique regorgent. La musique américaine prédomine depuis la Première Guerre mondiale, mais les auditeurs francophones trouvent en Mary Bolduc l'une des leurs, musicalement, dans son utilisation du français, dans les expériences qu'elle relate, dans la géographie et les événements qu'elle met en chansons. Le français familier de La Bolduc, que d'aucuns lui ont reproché, est maintenant reconnu comme un élément riche et réaliste dans la musique de Gilles Vigneault, de Clémence Desrochers et d'autres chansonniers et chansonnières. Écoutez les chansons de Vigneault : son langage, comme celui de La Bolduc, est souvent de l'argot courant et il lance les paroles de ses chansons rapidement, en joignant les mots comme le faisait Mary Bolduc. Sensibilisée et préoccupée par les conditions sociales de ses voisins de la classe ouvrière, Mary Bolduc est la première à exprimer les inquiétudes qu'ont par la suite manifestées les sympathisants du courant folklorique urbain et de la Révolution tranquille plusieurs années après sa mort. Ici encore on peut trouver des points de comparaison avec Gilles Vigneault. Les deux auteurs-compositeurs parlaient de travailleurs, comme le menuisier de Vigneault dans « Quand tu vas chez l'marchand », alors que, dans la vraie vie, le mari de madame Bolduc était plombier. De même, les deux chanteurs racontent des chicanes de couples de façon humoristique, mais réaliste. Plus tard, au début des années 1990, les paroles de La Bolduc dans sa chanson « Ça va venir découragez-vous pas » sont redevenues actuelles lorsque la récession a jeté des travailleurs à la rue. Pour les femmes du Québec, les paroles des chansons et la carrière même de Mary Bolduc ont eu une signification spéciale. Ses personnages féminins indépendants ainsi que son grand succès personnel ont dû plaire aux femmes comme la chansonnière Pauline Julien qui ont pris une part active au mouvement d'émancipation des femmes dans les années 1960 et 1970. Les successeurs de La Bolduc Malgré le passage du temps et l'émergence de nouveaux courants musicaux dans le monde, les traces du style musical de La Bolduc demeurent clairement audibles dans le répertoire des chansonniers et chansonnières. Parmi les auteurs-compositeurs-interprètes et autres musiciens québécois qui ont marché dans la foulée de La Bolduc en s'inspirant de son œuvre, nous retrouvons (par ordre chronologique approximatif) : Roland (Le soldat) Lebrun : Ce porte-parole des soldats de la Seconde Guerre mondiale chantait de la musique country, dans un style dépouillé, à des gens ordinaires ayant des problèmes ordinaires.
Oscar Thiffault : Thiffault a été le successeur de Mary Bolduc dans les années 1950. La chanteuse lui a inspiré sa voix réaliste, son humour et son contenu folklorique. Les Bozos : Également pionniers musicaux, les Bozos, collectif d'auteurs-compositeurs-interprètes québécois, ont suivi la trace de Félix Leclerc en 1958 et sont devenus des chansonniers très connus.
Gilles Vigneault : Ce poète a commencé à chanter ses textes en 1960 et est devenu un chansonnier acclamé au pays et à l'étranger. Sa musique s'inspire des mêmes chansons folkloriques que privilégiait Mary Bolduc. Au contraire de La Bolduc, cependant, Vigneault ne chantait pas de vieux airs, mais créait plutôt de nouvelles mélodies et paroles dans le style traditionnel, les revêtant d'une instrumentation moderne et d'arrangements soignés. Bien qu'il puise son inspiration dans la chanson française et dans la ballade sentimentale, on peut facilement identifier dans son œuvre des éléments remontant aux enregistrements des années 1930 de La Bolduc et des chanteurs de folklore de son époque. Autre différence importante : les paroles de Vigneault sont de la poésie littéraire et raffinée comme le font les chansonniers, en comparaison des chants rimés et simples de La Bolduc. La chanson de Vigneault « Quand tu vas chez l'marchand », enregistrée en 1992, rappelle, plus de 60 ans plus tard, plusieurs des thèmes et des styles folkloriques chéris par La Bolduc. « Quand tu vas chez l'marchand » est une chanson humoristique du genre que l'on retrouve dans le répertoire de La Bolduc. Sur un ton comique, Vigneault met en garde contre les dangers du crédit (à l'instar de « La Grocerie du coin » de La Bolduc, enregistrée à l'époque de la Crise économique, en décembre 1930). Sous les anecdotes humoristiques des deux chansons se cache une morale visant le consommateur moyen : méfiez-vous des marchands à la langue bien pendue. Dans l'esprit de la chanson folklorique française, Vigneault, tout comme La Bolduc, s'amuse également à faire la nomenclature de tout ce qu'on peut acheter à crédit. On peut aussi entendre dans les autres chansons de Gilles Vigneault un son qui rappelle celui des chansons de La Bolduc. Par exemple, les rythmes de danse folklorique de l'enfance de Vigneault (et de Mary Bolduc) sont clairs dans les chansons « Tam ti delam », « Monsieur Ptitpas » et « Le Reel du portageur ». Pauline Julien : Pauline Julien s'est acquis une renommée nationale comme chanteuse dans les années 1960 et 1970. Comme Mary Bolduc, cette femme franche a chanté ses opinions politiques et ses croyances personnelles, écrivant dans un français de tous les jours. Robert Charlebois : Chansonnier et musicien populaire des plus influents, Charlebois s'est produit au Canada et en France à compter de la fin des années 1960. Sa musique s'inspire des styles français et anglo-saxon, et ses paroles sont écrites dans un argot du quotidien, le « joual ». En suivant les traces de Mary Bolduc, ces artistes et bien d'autres ont à la fois honoré et enrichi leur héritage musical canadien-français. Pour obtenir de plus amples renseignements sur les enregistrements de Mary Bolduc, veuillez consulter la base de données du Gramophone virtuel. RéférencesBaillargeon, Richard ; Côté, Christian. -- Destination ragou : une histoire de la musique populaire au Québec. -- Montréal : Triptyque, c1991. -- 179 p. -- No AMICUS 12788018 « Bolduc, Mary ». -- Encyclopédie de la musique au Canada. -- Sous la direction d'Helmut Kallmann et al. -- 2e éd. rev. et augm. -- [Saint-Laurent, Qué.] : Fides, 1993. -- No AMICUS 13213211 Deyglun, Serge. -- « De La Bolduc aux chansonniers ». -- Châtelaine. -- (Avril 1961). -- P. 30-31, 88-96. -- No AMICUS 89876 Giroux, Robert. -- Le guide de la chanson québécoise. -- Avec la collaboration de Constance Harvard et Rock LaPalme. -- Montréal : Triptyque, c1991. -- 179 p. -- No AMICUS 10736105 Normand, Pascal. -- La chanson québécoise : miroir d'un peuple. -- Montréal : France-Amérique, 1981. -- 281 p. -- No AMICUS 2456064 Vigneault, Gilles. -- Le chant du portageur [enregistrement sonore]. -- [Pointe-Claire, Québec] : Le Nordet : Musicor Distribution, c1992. -- Disque compact. -- No AMICUS 12735222 Madame Édouard Bolduc (Mary Rose Anne Travers), folkloriste et chansonnière (1894-1941) |