La Bolduc -- Carrière à la scène
Mary Bolduc commence sa carrière à la scène comme violoniste, jouant de la musique canadienne-française traditionnelle aux Veillées du bon vieux temps, avec la troupe de Conrad Gauthier, au Monument-National de Montréal en 1927 ou 1928. À mesure qu'elle acquiert de l'expérience, elle prend progressivement le centre de la scène et commence à écrire et à enregistrer ses propres paroles comiques sur des airs de danse traditionnels. Certains disques enregistrés avec la Compo Company of Canada de Montréal sont des succès qui font en sorte qu'on l'invite à chanter à Lachute (Québec) en novembre 1930. Son expérience à Lachute, où elle avait charmé son auditoire avec sa musique folklorique, amène Mary Bolduc à concevoir l'idée de présenter des spectacles fondés sur ses propres chansons. Après avril 1931, elle cesse de se produire avec la troupe de Gauthier et accepte une offre lucrative de présenter un spectacle avec une troupe burlesque au théâtre Arlequin de Québec en mars 1931 comme vedette principale. Cet engagement est suivi rapidement d'une offre de Juliette d'Argère (comédienne connue sous le nom de scène de Caroline) de chanter avec sa compagnie dans une tournée de trois mois au Québec. Mme Bolduc se retrouve face à un dilemme. En tant qu'artiste, elle est sans doute heureuse de voir que le public la réclame mais, comme mère de famille, elle se sent coupable de laisser ses enfants derrière elle pour parcourir la province. Toutefois, les temps sont difficiles et le chômage chronique de son mari l'incite à saisir cette occasion pour nourrir et vêtir sa famille. La musique étant le seul moyen qu'elle connaît pour gagner rapidement un revenu convenable, elle décide de tenter l'expérience du spectacle de tournée.
La première tournée de Mme Édouard Bolduc s'amorce en mai 1931 à Hull, au Québec. L'ensemble se produit dans l'ouest du Québec et à Montréal avant de se diriger vers l'est pour terminer sa tournée à Sept-Îles en juillet. Après la tournée avec le groupe de Juliette d'Argère, Mme Bolduc trouve de moins en moins d'occasions d'écrire et d'enregistrer. Au creux de la Crise économique, la Compo de Montréal, comme toutes les autres compagnies de disques, est aux prises avec de sérieuses difficultés financières. Entre juillet 1932 et mars 1935, Mme Bolduc n'effectue aucun enregistrement. Au cours de cette période, les auditoires de Montréal ont à leur portée surtout des spectacles de haut calibre offerts par des artistes tels que Vladimir Horowitz, Henrietta Schumann et Sergei Rachmaninoff. La Compagnie d'opéra canadienne y présente Roméo et Juliette en mai 1931 et la McGill Operatic and Choral Society monte Les Pirates de Penzance. Comme La Bolduc n'appartient pas à ce monde de la musique classique, elle se voit obligée de trouver un créneau qui convient mieux à son style de musique folklorique irlandaise et française. Au cours de ce temps mort de l'industrie du disque, elle se tourne vers les spectacles en personne dans les petites villes du Québec et des autres régions francophones. S'inspirant du modèle de Conrad Gauthier, elle forme sa propre troupe ambulante qu'elle baptise la Troupe du bon vieux temps. Elle confie le poste de directeur de tournée à Jean Grimaldi, avec lequel elle planifie des spectacles combinant vaudeville et musique folklorique. Les répétitions ont lieu chez les Bolduc, sans accessoires, sans scène et sans microphones. Denise Bolduc voyage avec sa mère en qualité de pianiste et de comédienne; parfois, Édouard et leur autre fille, Lucienne, participent aux spectacles également. Au début, la tournée se concentre dans les environs de Montréal pour que Mary et Denise puissent rentrer à la maison chaque soir; la troupe présente 50 spectacles entre août et décembre 1932.
Le spectacle change rarement. Élégante et respectable dans sa longue robe de soie noire agrémentée d'un long collier de perles, Mary Bolduc ouvre et ferme la soirée en chantant ses plus nouvelles chansons. Suivent des numéros de l'ensemble musical, des chansons de folklore, un sketch de vaudeville et de comédie, le tout sans microphones ni amplificateurs. Les spectacles donnent souvent lieu à un concours d'amateurs auquel est rattaché un prix en argent offert par Mme Bolduc. (La chanson « Gédéon amateur », enregistrée en 1936, traite de la popularité des concours d'amateurs à la radio.) Au cours des intermèdes, Mary vend le livre des paroles de ses chansons. Elle divertit aussi son auditoire en jouant de l'harmonica et en présentant des chansons d'actualité, notamment « Le Nouveau Gouvernement » et « Si je pouvais tenir Hitler » qu'elle n'a jamais enregistrées. Chaque spectacle dure environ deux heures et demie. Mme Bolduc reconnaît très tôt que plusieurs factions de la société considèrent encore que faire carrière à la scène est inconvenant pour une femme. De plus, il est rare qu'une femme dirige ce genre de spectacles. Pour parer à ces attitudes hostiles, Mme Bolduc a toujours soin de se présenter comme une femme mariée respectable sous le nom de Madame Édouard Bolduc. Comme elle poursuit ses tournées et ses enregistrements, elle fait tout ce qu'elle peut pour inclure les membres de sa famille dans ses activités, tant parce qu'elle veut les avoir à ses côtés que pour faire taire les mauvaises langues. Son mari participe aux tournées de 1932 et de 1934 et, dès 1935, sa fille aînée Denise devient son accompagnatrice au piano. L'organisation de tournées de spectacles constitue une lourde responsabilité pour Mme Bolduc. Avec Jean Grimaldi, elle doit embaucher les musiciens et les acteurs, faire les arrangements pour les engagements, préparer et distribuer les affiches et coordonner la publicité. Il lui faut calculer et payer les frais de déplacement et les salaires des musiciens à même les recettes d'entrée. Le coût d'admission d'un adulte est ordinairement de 50 cents; 20 à 40 pour 100 de cette somme va à la paroisse ou au théâtre (souvent Mme Bolduc fait aussi une offrande aux pauvres de la paroisse). La première tournée de Mme Bolduc est un succès financier, malgré l'inexpérience de la chanteuse en gestion financière à l'extérieur du foyer. Elle touche environ 2 000 $, plus entre 500 $ et 1 000 $ par année en redevances pour ses disques. Les tournées s'avèrent souvent difficiles à d'autres égards. Mary et les musiciens se déplacent dans une automobile conduite par le directeur de la tournée, Mary n'ayant pas son permis de conduire. Leur itinéraire les oblige souvent à voyager par mauvais temps sur des routes de campagne mal entretenues. En septembre 1935, ils se rendent jusque dans le nord de l'Ontario, visitant Kapuskasing et d'autres localités éloignées. Les succès de Mary Bolduc au Québec amènent la chanteuse, à l'automne de 1933, à concevoir l'idée d'une tournée des populations d'expression française du nord-est des États-Unis où elle avait déjà vécu avec son mari. Elle organise la première de plusieurs tournées de spectacles dans le Massachusetts, le Maine et le New Hampshire, qu'elle fera en compagnie de Denise et d'Édouard Bolduc. Ils sont en tournée d'avril à juin 1934. Les Franco-Américains adorent ce spectacle folklorique et Mary et sa troupe retournent en Nouvelle-Angleterre l'automne suivant ainsi qu'en 1937 et en 1939. À mesure qu'elle acquiert de l'expérience dans la gestion de sa carrière, Mme Bolduc devient plus audacieuse. C'est ainsi qu'elle participe à des trucs publicitaires comme la location d'un avion pour survoler un village dans lequel elle devait chanter, avion qui traîne une bannière proclamant « C'est La Bolduc qui passe ». Elle a réalisé d'autres premières aussi, dont un tour de chant dans un cabaret de Montréal, en février 1937, et à un gala présidé par le maire de Montréal.
En juin 1937, au cours d'une des tournées qui avaient permis à La Bolduc de se faire connaître dans toute l'Amérique du Nord francophone, sa carrière est brusquement interrompue. Quittant Rivière-du-Loup après un spectacle pour se rendre au Saguenay puis dans sa Gaspésie natale, elle est victime d'un accident de la route. Mary Bolduc est la personne la plus gravement blessée dans l'accident. Les médecins qui traitent ses fractures et sa commotion cérébrale lui découvrent un cancer. La radiothérapie, la commotion cérébrale et la lenteur de sa guérison l'empêchent de reprendre son calendrier d'engagements. Bien que limitée dans ses activités musicales après l'accident, Mme Bolduc décide de tirer parti de cette mauvaise fortune en écrivant et en enregistrant de nouvelles chansons, notamment une autobiographie comique en chanson intitulée « Les Souffrances de mon accident ». Mary Bolduc fait une courte tournée en Abitibi en 1940, mais une faiblesse générale, de la douleur et des pertes de mémoire résultant de sa commotion cérébrale lui causent des ennuis. En décembre de la même année, elle se produit dans des théâtres de Montréal jusqu'à sa dernière hospitalisation. Constituant au départ une modeste initiative entrepreneuriale, les spectacles ont lancé Mary Bolduc dans une extraordinaire aventure. Malgré la Crise économique, le manque d'expérience en affaires et des responsabilités de mère de famille, elle a réussi, grâce à sa musique traditionnelle, à se tailler un auditoire parmi la population des villages et des régions rurales du Canada français. L'invraisemblable vedette qu'a été La Bolduc a atteint une notoriété qui a survécu longtemps à sa courte carrière de concert. RéférencesLonergan, David. -- La Bolduc : la vie de Mary Travers, 1894-1941 : biographie. -- Bic, Qué. : Isaac-Dion Éditeur, [1992]. -- 212 p. -- No AMICUS 11349098 Montreal music year book 1931. -- Montreal : Montreal Music Year Book Registered, 1931. -- No AMICUS 1139625 Madame Édouard Bolduc (Mary Rose Anne Travers), folkloriste et chansonnière (1894-1941) |