Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean
Discours à l’occasion du « Dîner des Amis du Canada »
Alger (Algérie), le mardi 21 novembre 2006
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
J’aimerais remercier d’emblée M. l’Ambassadeur Robert Peck d’offrir ce dîner à l’occasion de ma visite d’État en République algérienne démocratique et populaire.
Depuis mon arrivée, j’ai eu l’occasion de rencontrer des femmes, des hommes, des jeunes qui sont les forces vives de l’Algérie moderne et qui ont à cœur de favoriser ce retour à la paix et à la sécurité, de remettre l’Algérie sur les rails et de panser les blessures infligées par les dures années de la « décennie de sang ».
Le Canada se réjouit que l’Algérie soit sortie de l’isolement et qu’elle renaisse de nouveau au monde. Comme je le disais ce matin à des gens d’affaires, les Algériennes et les Algériens savent le prix de la liberté.
Le courage avec lequel ils suivent aujourd’hui comme hier la trajectoire du progrès et de la solidarité est une leçon pour l’humanité entière.
Depuis 1999, les efforts que le peuple algérien a déployés en vue d’assurer la stabilité, de favoriser la réconciliation nationale, de promouvoir la consolidation d’un État de droit et les libertés fondamentales vous honorent. Les Algériennes et les Algériens savent qu’il s’agit là de conditions sine que non pour s’engager de plain-pied dans la voie du progrès et de la prospérité.
J’insiste à nouveau sur la solidité des liens qui unissent nos deux pays. D’une solidité telle, en fait, que même les pires moments de l’histoire récente n’ont pu les défaire. Le Canada est resté en Algérie. Et, l’an dernier, nous avons célébré ensemble le quarantième anniversaire de nos relations diplomatiques. L’amitié entre nous est forte et a résisté à tous les assauts.
Sachez, chers amis, que le Canada continuera à accompagner l’Algérie. Nous sommes convaincus, comme vous l’êtes, que les importantes réformes économiques et sociales mises en place ces dernières années sont porteuses d’espoir pour votre pays, mais aussi pour l’ensemble du continent africain avide de source d’inspiration.
Comme vous le savez, l’Algérie est le premier partenaire commercial en Afrique et au Moyen-Orient. Le potentiel que représente cette relation est appelé à se développer davantage au cours des prochaines années. Plusieurs firmes canadiennes d’ingénierie participent en Algérie à de grands projets d’infrastructure, et elles vous sont reconnaissantes de la confiance que vous leur témoignez.
De plus, compte tenu des quantités importantes de blé canadien consommées en Algérie depuis 35 ans, on peut dire, si vous permettez l’expression, que le peuple algérien a un peu du Canada chaque jour à sa table.
De nouvelles perspectives d’investissement s’ouvrent à nos deux pays dans des secteurs clés comme l’agriculture, la formation et l’exploitation minière.
À l’ère de l’intégration économique, l’Algérie et le Canada peuvent être fiers du partenariat qu’ils ont mis en œuvre à ce jour.
Et, bien sûr, les quelque 50 000 Algériennes et Algériens établis au Canada, surtout dans la grande région de Montréal, en raison de la langue française que nous avons en partage, ne sont pas étrangers au succès de ce partenariat économique.
Le rôle que la diaspora algérienne joue dans le raffermissement des liens entre nos deux pays est vital. De même que leur apport inestimable à l’enrichissement culturel du Canada. Au Québec, j’ai souvent eu l’occasion de le constater.
Je suis convaincue que la mise en service d’une liaison aérienne directe entre Alger et Montréal dès 2007 facilitera davantage les déplacements de l’Amérique à l’Afrique du Nord, et de l’Afrique à l’Amérique du Nord. Voilà, vous en conviendrez, une excellente nouvelle.
Je suis ici pour vous dire combien la coopération entre le Canada et l’Algérie est chargée de promesses.
J’espère profondément, comme je le souhaitais ce matin au Forum d’affaires algéro-canadien, qu’elle continue de s’inscrire et de se pratiquer dans un cadre éthique respectueux du sort des populations, de leur enracinement et de leur culture, tout comme de l’intégrité écologique des lieux où nous puisons nos ressources.
Permettez à la journaliste que j’ai été, dans une vie antérieure, d’applaudir à la signature récente de deux accords de collaboration entre la Société Radio-Canada et la Radio et la Télévision algériennes, de même qu’aux initiatives de formation en radio qui bénéficieront à plusieurs communautés dans toute l’Algérie.
Des liens académiques contribuent aussi à nous rapprocher. L’HEC de Montréal, l’une des plus grandes écoles de gestion au monde, compte un nombre important de diplômés algériens, de même que le professeur Taïeb Hafsi, un illustre Algérien, parmi les membres imminents de sa faculté.
Il existe maintenant un Réseau des diplômés algériens des universités canadiennes qui permet aux échanges de se prolonger au-delà des études.
Le ministre d’État et ministre des Affaires étrangères, Son Excellence Mohamed Bédjaoui, a honoré de sa présence l’assemblée inaugurale de ce Réseau, en décembre dernier. On retrouve parmi ces diplômés, un ancien premier ministre, des anciens ministres et un ministre du gouvernement actuel.
Je constate avec bonheur que les universités algériennes travaillent, pour leur part, à la mise sur pied de programmes d’études canadiennes, notamment en littérature et en sociologie, à l’université de Bouzareah et d’Oran es-Sénia.
Cette curiosité pour la culture de l’autre est pour moi le meilleur moyen de vaincre les préjugés et de s’ouvrir à ce que l’humanité a de plus précieux à offrir en partage. Des artistes comme Alain Lefèvre, Robert Charlebois et Lynda Thalie, sont venus en Algérie.
Nous aurons d’ailleurs le plaisir d’entendre ce soir la très belle voix d’une enfant d’Alger, Lynda Thalie, qui a étendu ses racines en terre canadienne.
Et je ne saurais passer sous silence l’entrée au Conservatoire de Montréal du jeune pianiste oranais, Mehdi Ghazi, dont la carrière s’annonce des plus prometteuses.
J’aimerais, en guise de conclusion, formuler un vœu. Je suis une femme noire du Canada, qui a eu une enfance ailleurs, en Haïti. Mes parents ont quitté un régime de terreur, où la violence et l’injustice étaient le lot quotidien, pour que leurs filles puissent s’épanouir en toute liberté. Je ne l’oublie pas.
Je me suis fait un devoir de défendre cette liberté avec vigilance partout où j’irais dans le monde. Empêcher les femmes, qui représentent plus de la moitié de l’humanité, d’accéder aux droits fondamentaux et de vivre en sécurité constitue pour moi une absence de liberté flagrante et l’un des plus grands scandales de notre temps.
Que des femmes « baissent les paupières ou regardent dans le vague pour communiquer », pour reprendre les mots si forts d’Assia Djebar, est une disgrâce.
J’ai rendu hommage hier à mes sœurs algériennes pour le combat courageux, et je dirais d’une infinie lucidité, qu’elles ont mené, souvent au péril de leur vie, au nom de la justice et de la liberté. Qu’elles sachent que ce combat dépasse largement les frontières de leur pays et rejoint l’humanité entière. Je suis émue de leur exprimer publiquement mon admiration et mon affection.
Chaque fois qu’elles ont pris la parole, c’était un appel pour plus de justice, pour plus de vérité et pour plus de respect. Les combats qu’elles ont menés et qu’elles continuent de mener sont essentiels à la renaissance de l’Algérie. Ce sont ces combats qui définissent un projet de société moderne, qui refusent les dérives les plus obscures et qui mettent de l’avant l’affirmation de la dignité humaine.
Permettez-moi aussi d’offrir une parole d’espoir à la jeunesse algérienne. Même quand l’horizon semble bloqué, même quand les raisons de rester semblent de plus en plus rares, et que partir semble la seule façon de s’en sortir, que les jeunes Algériennes et Algériens sachent que leur pays ne peut progresser sans eux. Je les invite à participer de toutes les façons au mieux-être collectif. Et j’invite les générations précédentes à rester à leur écoute et à veiller à leur épanouissement. Car ces jeunes ne sont pas seulement l’avenir de l’Algérie, ils sont aussi son présent.
Je vous laisse, chers amis, avec la certitude que l’Algérie et le Canada auront à cœur de progresser main dans la main pour que nos enfants, filles et garçons, héritent d’un monde que nous aurons réussi à rendre meilleur.
Je vous remercie.