Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean
Discours à l’occasion du dîner d’État offert par Son Excellence Amadou Toumani Touré, Président de la République du Mali
Bamako (Mali), le jeudi 23 novembre 2006
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
J’ai eu l’honneur ce matin de m’adresser à l’Assemblée nationale du Mali pour dire au peuple malien la volonté de mes compatriotes de marcher avec lui, main dans la main, vers un monde qui remette l’être et la dignité humaine au centre de nos aspirations.
J’aimerais ce soir, à l’occasion de ma première visite d’État en Afrique, vous faire une confidence. Je rêve de votre pays depuis que j’ai lu, jeune fille, les romans de l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé. Un, en particulier, Ségou, dont l’histoire se déroule au Mali.
Ces pérégrinations littéraires, entre Bamako et Tombouctou, avaient enflammé mon imagination et avivé mon désir de me rendre un jour sur le continent de mes origines, dont ont été coupés plusieurs Noirs des Amériques, comme moi.
Me voici aujourd’hui parmi vous. J’ai peine à le croire, Monsieur le Président. Et, si j’ai posé le pied sur ce continent en Algérie, d’où j’arrive à peine, j’ai la très nette impression d’en approcher ici le cœur. Me voici donc en Afrique pour la première fois. J’oserais dire, pour emprunter les mots du poète Moussa Kanouté, que « l’attente a été longue. Mais l’attente n’a pas été infinie. »
À la croisée des cultures d’Afrique du Nord et des cultures d’Afrique noire, le Mali est le berceau de l’une des plus anciennes civilisations de ce continent. Il me tarde d’en faire l’expérience et de rapporter à mes compatriotes le récit de mes rencontres, de mes découvertes, de mes émerveillements.
Depuis qu’il a entrepris sa transition vers la démocratie, le Mali est un leader incontesté de la promotion des droits et des libertés de la personne, de même que de la paix et de la sécurité. Le Mali incarne pour l’Afrique, certes, mais aussi pour l’humanité entière, une lueur d’espoir alimentée par une volonté inextinguible d’attiser le mieux-être du plus grand nombre.
Les relations entre le Mali et le Canada n’ont cessé de s’approfondir au fil des ans, comme le confirment plusieurs rencontres de haut niveau. Vous-même, Monsieur le Président, avez effectué une visite privée au Canada en 2003 et une visite d’État en 2005. Et vous avez reçu plusieurs dignitaires canadiens, dont la ministre de la Coopération internationale en août dernier.
Sachez que le Canada salue les efforts remarquables déployés par le peuple malien en vue de la démocratisation et reconnaît en lui un partenaire exemplaire. Comment ne pas souligner que l’état des droits de la personne est chez vous l’un des meilleurs parmi ceux de la région? Et comment ne pas remarquer que la sécurité vous préoccupe autant que nous?
Le Mali s’est vite imposé comme un chef de file et une source d’inspiration en matière de lutte contre les mines antipersonnel et contre la prolifération des armes légères.
Vous avez adopté une loi relative à la mise en œuvre de la Convention d’Ottawa et vous avez été l’hôte d’un colloque panafricain sur l’universalisation de cette convention.
De plus, l’École de maintien de la paix de Koulikoro, qui sera bientôt relocalisée à Bamako, constitue un bel exemple de multilatéralisme. Différents pays travaillent à vos côtés pour assurer le bon fonctionnement et la gestion de l’école.
On m’apprend que plus de 14 000 stagiaires y ont été formés pour mettre leurs connaissances au service de plusieurs nations. C’est une contribution remarquable, admirable, de la part d’un pays comme le vôtre qui a connu les affres du conflit. J’aurai l’occasion de rencontrer des militaires formés à cette école.
Le Mali et le Canada sont également partenaires au sein de la Francophonie. C’est lors du Symposium international de novembre 2000, tenu au Mali, et à l’issue de la Déclaration de Bamako sur la démocratie et les droits et libertés que la Francophonie s’est affirmée comme une force politique dans le concert des nations.
Le Canada est fier d’accompagner le Mali qui travaille sans relâche à améliorer sa gouvernance et veille au respect des droits fondamentaux de ses citoyennes et citoyens. L’Agence canadienne de développement international soutient les efforts quotidiens et constructifs des Maliennes et des Maliens depuis 1972 et entend resserrer cette coopération.
En raison de sa feuille de route remarquable, le Mali fait partie des 25 pays où le Canada va concentrer son action dans les années à venir. Ce resserrement de l’approche canadienne nous a conduits à tripler notre aide financière au Mali en 2004-2005.
Trois objectifs prioritaires ont été retenus : l’amélioration de l’accès aux services sociaux de base, comme la santé et l’éducation; l’augmentation durable du revenu familial; et la promotion de la bonne gouvernance, de la sécurité et de la primauté du droit.
L’accès universel à l’éducation, pour les filles et les garçons, m’apparaît essentiel. Car, pour sortir une fois pour toutes du cercle pernicieux de la paupérisation, il faut donner aux jeunes les moyens de voir au-delà de la misère qui les afflige, les moyens de s’épanouir librement et pleinement, et les moyens de contribuer au meilleur de leurs capacités au mieux-être de l’ensemble.
Sachez que celle qui vous parle aujourd’hui est née dans un pays pauvre, le plus pauvre des Amériques, où l’analphabétisme et le manque de ressources bloquent l’horizon de trop de jeunes, condamnés ainsi au dénuement, voire à la délinquance, petite et grande.
Le Mali, comme Haïti, voit ses filles et ses fils rêver d’un avenir ailleurs. Non seulement ces jeunes prennent alors des risques énormes, mais ils privent ainsi leur pays de ses forces les plus vives. Haïti et le Mali sont orphelins des enfants qui les ont quittés.
Enfin, Monsieur le Président, je l’ai dit ce matin devant l’Assemblée nationale et je le répéterai ce soir, la femme que je suis souhaite de tout cœur que ses sœurs maliennes aient droit à l’égalité des chances dans toutes les sphères d’activités de la société.
Je formule le vœu, Monsieur le Président, que leur intégrité physique, leur santé, leur éducation et leur dignité soient une richesse pour la nation malienne. Plus encore, Monsieur le Président, une responsabilité collective. Je compte sur vous et sur l’ouverture de cœur et d’esprit des Maliens.
Au cours des prochains jours, j’irai avec bonheur à la rencontre de femmes, de militaires, de journalistes, de membres de la société civile, d’artistes, bref d’une population qui m’apportera un nouvel éclairage sur le Mali et qu’il me tarde d’entendre.
J’aurai aussi l’immense privilège de me rendre à Mopti, à Djenné, à Bandiagara pour emplir mes yeux et mon âme de l’apport inestimable de la culture malienne au patrimoine de l’humanité.
Je viens tout juste d’arriver au Mali et je sais déjà que je ne quitterai jamais tout à fait votre pays. J’apporterai avec moi, pour le partager avec les Canadiennes et les Canadiens, un peu de votre regard unique sur le monde.
Et, plus que jamais, j’ai la conviction profonde, pour reprendre les mots d’Amadou Hampâté Bâ, « que les hommes peuvent atteindre un but commun sans emprunter les mêmes voies ». En autant, comme le dit si bien le poète, que « notre faim de connaître soit un feu toujours ardent ».
Je vous salue, peuple malien, et je vous tends la main en vous offrant l’amitié de mes compatriotes.