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Charte canadienne des droits et libertés

 

Irshad Manji

À quoi pensez-vous?

Traduit par Bibliothèque et Archives Canada

À quoi pensez-vous quand on vous parle de la Charte canadienne des droits et libertés? J'en ai parlé à plusieurs de mes amis, tous des Canadiens. Des Canadiens si convaincus que plus souvent qu'autrement, le seul mot qui leur venait en tête était : solidarité.

Je vais donc devoir dire quelque chose qui rendra cette foule solidaire bien mal à l'aise. Certains en seront même fâchés. Bon. Après tout, la solidarité, c'est d'être unis, pas uniformes! Il s'agit de travailler ensemble vers l'atteinte d'objectifs communs tout en se sentant tout à fait libres d'adopter différentes démarches pour atteindre ces objectifs. Alors, voilà :

Photo de Lester B. Pearson s'adressant à un comité lors de la Conférence des Nations Unies sur l'Organisation internationale à San Francisco, 1945
Lester B. Pearson s'adressant à un comité lors de la Conférence des Nations Unies sur l'Organisation internationale à San Francisco, 1945
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Quand je pense à la Charte, le premier mot qui me vient en tête est : individualité. Je sais bien que pour plusieurs Canadiens, ce mot peut un peu trop ressembler au modèle américain de l'individualisme. Sauf que ce n'est pas nécessairement le cas. L'individualisme, une forme d'égoïsme, n'est pas la même chose que l'individualité où l'unicité de chacun permet à la société de grandir!

Cette individualité, qui respecte la capacité de l'individu à bénéficier des avantages d'être en société plutôt que de la menacer, représente ce que la Charte veut affirmer. Non, je n'ai pas oublié l'article sur la promotion du multiculturalisme et donc, du groupe. Mais cet article existe sous un thème plus général au sujet de l'individu. Comme le disait le premier visionnaire de la Charte, Pierre Elliott Trudeau : « Pour que l'unité nationale ait une portée personnelle profonde, il faut qu'elle repose sur le sens que chacun doit avoir de sa propre identité; c'est ainsi que peuvent naître le respect pour les autres, et le désir de partager des idées, des façons de voir. » [traduction libre]

Couverture du livre de Irshad Manji intitulé RISKING UTOPIA: ON THE EDGE OF A NEW DEMOCRACY, 1997

Couverture du livre de Irshad Manji intitulé Risking Utopia: On the Edge of a New Democracy, 1997

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Couverture du livre de A. Alan Borovoy intitulé PRINCIPES DE NOS LIBERTÉS FONDAMENTALES : INTRODUCTION AUX LIBERTÉS CIVILES ET À LA DÉMOCRATIE, 1978

Couverture du livre de A. Alan Borovoy intitulé Principes de nos libertés fondamentales : introduction aux libertés civiles et à la démocratie, 1978

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L'individualité est à la base de la santé de notre communauté. La Charte existe et vise à atteindre cet équilibre depuis 25 ans; et je crois qu'on peut dire qu'elle est en avance sur son temps et très universelle dans ses leçons.

Je peux affirmer cela parce que si on observe la situation partout au monde, on réalise qu'il y a un combat entre ceux qui insistent pour que vous fassiez partie d'un clan et ceux qui veulent transcender le clan. Permettez-moi de vous donner un exemple qui me touche tout particulièrement en tant que musulmane dissidente. En Irak, au Royaume-Uni, en Espagne, en Australie et au Canada, certains membres du clergé souhaitent imposer la charia ou le droit islamique aux femmes et aux enfants musulmans. Et ils veulent le faire en proclamant que les communautés culturelles ont des droits, comme si ceux qui en sont membres n'en avaient pas.

Calendrier des fêtes religieuses distribué par la Commission canadienne des droits de la personne, 1982

A

Document consignant une discussion du Cabinet fédéral sur la nécessité du Canada de signer la convention des Nations Unies sur les droits politiques de la femme, 29 août 1956

B

  1. Calendrier des fêtes religieuses distribué par la Commission canadienne des droits de la personne, 1982
    Source
  2. Document consignant une discussion du Cabinet fédéral sur la nécessité du Canada de signer la convention des Nations Unies sur les droits politiques de la femme, 29 août 1956
    Source

Au moins, au Canada, les musulmanes se sont prononcées contre cet abus de multiculturalisme. Sauf que malheureusement, trop de non-musulmans ont peur de nous rejoindre. Les non-musulmans se débarrassent de leur individualité et de leurs propres voix de peur d'offenser un groupe quelconque. On se retrouve donc avec une perte de solidarité mais aussi une perte de diversité : la diversité s'éteint au pied des sacro-saintes couleurs de peau. Bienvenue dans notre monde pas-si-courageux-que-ça où les individus ont besoin de toute l'aide qu'on peut leur apporter.

J'exagère? Voici un autre exemple de tradition culturelle qui est monnaie courante : les meurtres d'honneur. L'année dernière au Pakistan seulement, au moins 600 femmes ont été tuées pour avoir soi-disant détruit l'honneur de la famille. Je dis « au moins » parce que je ne peux que me fier aux cas déclarés : imaginez le nombre qui ne l'a pas été. Six cents femmes. C'est le nombre de prisonniers à Guantanamo Bay. Les champions de la solidarité que nous sommes avons été très bavards quant aux abus faits à Guantanamo Bay. Les meurtres d'honneur sont loin d'avoir eu droit à autant d'attention.

Couverture du livre de Rhoda E. Howard-Hassman intitulé COMPASSIONATE CANADIANS: CIVIC LEADERS DISCUSS HUMAN RIGHTS, 2003

Couverture du livre de Rhoda E. Howard-Hassman intitulé Compassionate Canadians: Civic Leaders Discuss Human Rights, 2003

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Je soupçonne que c'est à cause d'un relativisme culturel, de la croyance que nous n'avons aucun droit de remettre en question ce qui se passe dans la culture de quelqu'un d'autre. C'est certain que pour dénoncer les meurtres d'honneur, on doit remettre en question une facette de la culture arabe; l'honneur tribal. C'est certain que ce faisant, on risque de flatter quelques groupes dans le mauvais sens du poil. Ceux qui ne sont que protégés par leur propre conscience doivent avoir du culot pour sortir des rangs du groupe. Une fois encore, la culture gagne. Puis voilà, une fois de plus, je me rappelle l'urgence d'avoir un document comme la Charte.

Urgence : c'est un mot qui est fort alarmiste aux yeux de certains. Pouvons-nous avoir le beurre et l'argent du beurre? Pouvons-nous concilier l'égalité des individus et des cultures? Certainement, lorsque nous convaincrons les gardiens des barrières culturelles d'ouvrir les portes, de permettre aux gens de s'exprimer afin de revoir les traditions. Sauf que même dans cette situation, il faudrait s'attaquer directement aux traditions. Si tous les humains ont droit à un certain niveau de dignité, alors toutes les pratiques culturelles qui portent atteinte à cette dignité ne peuvent pas être défendues. Point à la ligne.

J'ai donc cerné trois leçons que notre Charte pourrait donner au reste du monde. Premièrement, nous ne cessons pas d'être des individus en appartenant à un groupe identifiable.

Deuxièmement, nous devons nous défaire de cette fausse et dangereuse idée que les cultures sont égales parce que les humains sont nés égaux. Les cultures ne naissent pas : elles sont créées.

Puis finalement, l'universalité des droits de la personne est fondée sur la dignité des individus, pas sur la sainteté des cultures. Lorsqu'on élève cette construction humaine, que l'on appelle la culture, au rang de sainteté, on la fige. On en fige le dynamisme de la créativité des individus. Nous réagissons comme un groupe; une réaction aussi connue sous le nom de « fondamentalisme ».

Espérons qu'au cours des 25 prochaines années, plus de Canadiens auront le courage et juste ce qu'il faut de solidarité pour porter la valeur de l'individu aux nues tant ici qu'à l'étranger.

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Irshad Manji est une journaliste primée, une défenseure des droits de la personne et l'auteure du livre à succès international The Trouble with Islam Today: A Wake-Up Call for Honesty and Change. On peut la joindre par l'entremise de son site : www.muslim-refusenik.com.

Ressources complémentaires

Muslim Refusenik
www.muslim-refusenik.com
(en anglais, en arabe, en ourdou et en persan seulement), (consulté le 24 octobre 2006).

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