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Gould, le collectionneur : le Fonds de la Bibliothèque nationale du Canadapar Stephen Willis Droit d'auteur/Source La plupart d'entre nous connaissent Glenn Gould en tant que pianiste. Toutefois, les documents trouvés après sa mort nous révèlent qu'il s'agissait là presque d'une facette mineure de sa vie d'adulte. Il passait, en effet, la majeure partie de son temps à faire de la recherche, à préparer des documentaires pour la radio et la télévision, à rédiger des articles pour des périodiques et des journaux, et à écrire des notes explicatives pour des enregistrements sonores et des exposés qu'il présentait lors d'occasions spéciales. C'est lorsqu'il était jeune qu'il a joué devant un auditoire. À partir de l'âge de trente-trois ans, il n'a joué du piano que devant une caméra ou un microphone. Les notes manuscrites, sur les partitions d'œuvres enregistrées après qu'il eut cessé de jouer en public, montrent à quel point il était préoccupé non seulement par des détails liés à l'exécution des pièces musicales, mais aussi par l'aspect mécanique des techniques d'enregistrement. Lorsque Gould meurt subitement au début d'octobre 1982, la Division de la musique de la Bibliothèque nationale du Canada se rend compte de l'importance de préserver la contribution unique de cet homme à la musique canadienne et internationale. Dès le début, nous nous sommes mis en contact avec l'exécuteur testamentaire de la succession de Glenn Gould concernant la disposition du contenu de l'appartement et de la chambre d'hôtel que Gould occupait. L'exécuteur testamentaire avait déjà demandé à une bibliothécaire-pigiste de Toronto, Ruth Pincoe, de mettre de l'ordre dans le fouillis de documents que Gould avait laissé derrière lui. Après une étude des divers catalogues, des listes dressées par Ruth Pincoe et des évaluations faites indépendamment par trois personnes, nous avons fixé des conditions et pris des mesures préliminaires pour transférer les documents personnels qui se trouvaient dans l'appartement de Gould à la Bibliothèque nationale du Canada. À ce moment-là, nous avons dû affronter un problème à deux facettes : la notoriété du musicien et la précocité de son décès. Dans le premier cas, nous devions choisir entre bon nombre d'articles, de meubles ou de vêtements, ce qu'un établissement d'archives ne peut habituellement pas obtenir. Entre le besoin de préserver quelque chose pour la postérité et la recherche du sensationnel, il n'y a qu'un pas. Après mûre réflexion, nous avons décidé de conserver une demi-douzaine de meubles que nous pourrions peut-être exposer un jour, une paire des fameux gants que portait Gould, un foulard, un chapeau, un manteau, ainsi que quelques autres articles vestimentaires. L'autre aspect du problème n'a pas encore été tout à fait résolu. Une personnalité très connue, décédée dans la force de l'âge, laisse derrière elle beaucoup d'amis, de parents, de collègues et peut-être aussi d'ennemis qui sont loin d'être enthousiastes à l'idée que trop de détails sur leurs rapports avec le disparu puissent être révélés. Qui peut déterminer si certains documents peuvent être consultés? ces personnes, l'archiviste ou un comité composé de ces personnes et de l'archiviste? La diffusion d'archives à des fins d'exposition devrait-elle être contrôlée par des personnes autres que le personnel du dépôt? Le fait qu'on utilise les deniers publics pour acheter de telles archives complique encore les choses. D'après notre expérience, il semblerait que le conservateur d'une collection puisse porter les jugements de valeur nécessaires et régler les problèmes à la satisfaction de tous les intéressés. Nous avons vite décidé que nous ne voulions pas élever, avec ces quelque deux cents boîtes de documents, de temple à la mémoire de Glenn Gould. Nous devions seulement faciliter les futures recherches sur la vie et la carrière de cet artiste salué par la critique internationale. Gardant cela à l'esprit, nous nous sommes mis à séparer les documents d'archives des autres documents comme nous le faisons habituellement. Cette démarche a toujours constitué la première étape du travail d'organisation des papiers personnels de quelqu'un, et les critères utilisés existent depuis longtemps. Une fois la liste de tous les documents dressée, tout imprimé non publié par Gould ou à son sujet et non annoté a été retiré du fonds; les partitions et les livres sur la musique ont été transférés à la Collection d'imprimés de la Division de la musique et les autres livres ont été incorporés à la collection principale de la Bibliothèque nationale. Si nous possédions déjà des exemplaires des mêmes imprimés dans nos collections, nous faisions parvenir les doubles au Centre canadien d'échange du livre. Sur tous les livres de Gould (non conservés avec les documents d'archives), nous avons indiqué qu'ils provenaient du Fonds Glenn-Gould dans l'espoir que cette information intéresserait les heureux destinataires. Les enregistrements sonores ont subi le même traitement. Certains chercheurs ont été atterrés lorsqu'ils ont découvert ce que nous avions fait. Selon eux, tout ce qui avait appartenu à Gould était sacré et aurait dû être conservé avec ses papiers personnels, que les objets en question aient déjà été utilisés par Gould ou qu'ils soient simplement des cadeaux reçus par celui-ci avec plaisir ou indifférence. Nous pouvons invoquer trois arguments pour défendre ce que nous avons fait. D'abord, nos listes d'articles transférés sont complètes et elles renferment une description de chaque pièce. Cela permet aux chercheurs d'avoir une idée si Gould a lu le livre mentionné ou joué la partition décrite. Ensuite, comme la Bibliothèque nationale conserve au moins un exemplaire de chaque document qu'elle ne possède pas déjà, les chercheurs devraient pouvoir examiner tout livre ou toute partition dont Gould possédait un exemplaire, même s'il ne s'agit pas de l'exemplaire ayant appartenu à Gould. Enfin, la Bibliothèque nationale manque tellement d'espace (à l'instar des autres établissements) que nous ne pouvons pas conserver plusieurs exemplaires de centaines, voire de milliers de publications, simplement parce qu'ils ont appartenu à divers Canadiens de renom. Le travail d'organisation des papiers personnels de Glenn Gould a été confié, par contrat, à Ruth Pincoe. Elle n'a fait que poursuivre le travail qu'elle avait entrepris pour la succession peu après le décès de Gould. En plus des difficultés énormes que posait l'organisation d'un si gros volume de documents, un problème supplémentaire a compliqué le travail de Ruth Pincoe : quelques-uns des manuscrits étaient peu lisibles. D'ailleurs, nous conservons deux petits groupes de documents que les personnes désireuses d'étudier Gould pourront, si elles le veulent, tenter de déchiffrer! Le travail de classification des papiers personnels de Gould nous a permis de constater que la majeure partie du fonds concerne des activités autres que l'exécution de pièces musicales au piano. Il y a environ 120 boîtes en tout, dont environ 10 contiennent des documents portant sur la carrière de concertiste de Gould. Parmi les nombreuses facettes de la carrière de Gould, trois semblent retenir tout particulièrement l'attention de nos clients jusqu'à présent. La première est la conception de documentaires pour la radio, dont la majorité ont été réalisés pour la Société Radio-Canada. Gould traitait ses textes comme un compositeur traite une composition musicale, et discutait de ses écrits en termes de formes musicales comme le contrepoint, la sonate, etc. Deuxièmement, Gould a conçu quelques-unes de ses émissions d'un point de vue d'acteur, de comédien en particulier. Le fait qu'il ait été directeur musical au Festival de Stratford l'a sans aucun doute influencé; notons, toutefois, qu'il manifestait déjà une affection particulière pour l'art dramatique alors qu'il n'était encore qu'un jeune étudiant. Troisièmement, les innombrables passages supprimés et que Gould a conservés de ses nombreuses séances d'enregistrement fourniront aux musicologues de quoi faire des comparaisons pendant des dizaines d'années. Enfin, nous avons pris une dernière mesure pour garantir l'accessibilité de ces documents. Une fois le travail d'organisation et de classification terminé (traitement de plus de 40 000 fiches catalographiques), nous avons senti le besoin de créer divers répertoires. À ce moment-là, Ruth Pincoe nous a laissé entendre que la façon la plus efficace et la plus rapide d'accomplir cette tâche serait d'utiliser un ordinateur. Comme la Bibliothèque nationale avait multiplié ses activités dans le domaine des micro-ordinateurs, nous avons décidé, après avoir fait nombre de recherches et de comparaisons, d'adapter à nos besoins le système INMAGIC de gestion des fichiers, qui offre des possibilités sur le plan bibliographique. INMAGIC peut être utilisé soit sur un ordinateur IBM-PC AT, soit sur un ordinateur personnel muni d'un système d'exploitation à disques rigides. Nous espérons que les divers répertoires créés grâce à l'automatisation de l'instrument de recherche relatif aux papiers personnels de Glenn Gould mettront à jour une véritable mine de renseignements sur la vie et la carrière de ce personnage. Ce texte a déjà paru dans Glenn Gould : pluriel. Verdun (Québec) : Louise Courteau, 1988. SÉRIES Articles
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