Le 9 avril 1870
Vol. I, no 23
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La confirmation que donnaient les nouvelles de l'exécution de Scott à Fort Garry le 4 du mois dernier a jeté une ombre sur l'espoir d'une entente pacifique permettant de mettre fin aux troubles à la rivière Rouge. On aurait pu pardonner le fait que la Compagnie de la Baie d'Hudson tentait de jouer le rôle du gouvernement alors qu'elle était impuissante et que le Canada n'avait aucun pouvoir de se substituer à la Compagnie; les tribunaux de droit et d'équité auraient pu s'occuper des pillages, des confiscations et des emprisonnements abusifs perpétrés par Riel et ses associés au cours de l'hiver. Cependant, lorsqu'on exerce la plus haute fonction d'un pouvoir exécutif comme expédier un de ses semblables à une mort ignoble et soudaine après un procès devant un simulacre de tribunal des plus arbitraires du gouvernement moderne , c'est alors la fin du marchandage avec les auteurs du crime. L'exécution de Scott est un crime lâche et elle a été perpétrée d'une manière des plus barbares. Le journal New Nation, dont nous citons la version des faits, s'abstient peut-être par honte de décrire la dernière scène; il a dit simplement : « il est tombé », mais il n'a pas ajouté qu'il gisait encore bien vivant dans son cercueil, où il a survécu encore une heure avant que la mort vienne mettre fin à ses souffrances. D'autres individus de Fort Garry donnent davantage de détails, mais il n'est pas nécessaire de s'étendre ici sur les incidents liés à cette triste tragédie.
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Les « crimes » perpétrés par Scott, ceux qu'invoque la New Nation, auraient valu, dans des régions civilisées, un emprisonnement maximal de 24 heures dans le « trou noir ». Il a été fait prisonnier en décembre dernier, mais il s'est évadé quelques semaines après avec plusieurs autres prisonniers. Au moment où il entreprenait le portage, Scott faisait partie du groupe de Boulton, soit quarante-cinq hommes forts, qui été capturé et livré au Fort. Dès lors, il est devenu « violent et injurieux dans son langage et dans ses attitudes » et il a eu l'inqualifiable audace « de harceler et d'injurier les gardes ». On a également dit qu'il avait menacé Riel de mort et affirmé qu'il avait autrefois été à sa recherche avec l'intention de le tuer. Même en tenant toutes ces déclarations pour vraies, et même en admettant que pour faire un exemple Riel avait le pouvoir d'ériger une cour martiale pour juger Scott, sa condamnation à mort pour de telles offenses demeure un acte de barbarie outrageuse. La reine d'Angleterre, les empereurs de France et de Russie et d'autres têtes couronnées d'Europe sont non seulement menacés, mais ils sont aussi la cible d'attentats réels; pourtant ils ne condamnent pas à mort les auteurs de ces attentats. Si Scott avait proféré de telles menaces envers Riel au Canada, en dépit de toute absence de provocation, la sentence raisonnable aurait été que l'accusé soit relâché à la condition qu'il garde la paix pendant six ou douze mois.
Toutefois, la forme du procès a été un peu moins extraordinaire que ses résultats. Le « tribunal de l'adjudant général Lépine » a mené le procès en français, langue que le prisonnier ne connaissait pas, et ce n'est que le 3 qu'il a été « informé de la triste décision », soit qu'il serait fusillé le jour suivant à 10 h. On a fait appel à l'influence cléricale et laïque, y compris celle du commissaire Smith, pour tenter d'obtenir le pardon de Riel ou même un sursis de quelques jours jusqu'à l'arrivée de l'archevêque Taché, mais Riel a refusé. Il a cependant accordé un sursis de deux heures et a « ordonné que tous les soldats soient rassemblés avant l'exécution et que l'on devrait prier pour l'homme condamné ». Il peut être charitable d'offrir des prières ou « d'ordonner » que l'on prie pour l'homme que l'on s'apprête à assassiner délibérément, mais lui épargner la vie et le laisser tirer les conséquences de ses actes n'aurait porté aucun outrage à la religion ni à la morale.
Cette affaire entravera l'issue de la politique conciliatoire menée jusqu'ici par le gouvernement et approuvée de manière générale par le peuple canadien. Il est déjà prouvé que les commissaires envoyés d'Ottawa à Fort Garry n'ont fait que très peu ou rien du tout pour parvenir à une entente, et s'il devait s'avérer, comme ce sera probablement le cas, que Riel a subtilement retenu les membres de la délégation nommée à la Convention des représentants du peuple dans le but de les mandater en tant qu'agents au nom de son gouvernement, nous ne voyons pas comment les ministres à Ottawa peuvent les recevoir. Toute action de la part des autorités du Dominion qui appuierait la procédure d'une reconnaissance du gouvernement de Riel non seulement serait dérogatoire à l'honneur du Canada, mais pourrait s'avérer extrêmement embarrassante dans la mise en œuvre des mesures auxquelles en fin de compte on doit recourir pour restaurer le pouvoir de la Reine dans le Nord-Ouest. L'exécution de Scott a compliqué ces questions à un degré difficilement observable. On aurait pu fermer les yeux sur la plupart des actes qu'avaient posés les insurgés en dépit de leur caractère illégal, parce qu'ils étaient relativement insignifiants et facilement pardonnables en se soumettant à l'autorité de la Reine lorsque la déclaration d'annexion du territoire au Canada entrera en vigueur. Les procédures civiles nées des transactions personnelles à l'intérieur du territoire au cours de l'hiver ne doivent pas entraîner de failles politiques et la solution pacifique que tous espéraient aurait pu être tout à fait possible. Cependant, même s'il peut le faire, Riel ne quittera pas la chaise présidentielle pour une cellule de criminel et le gouvernement de la Reine ne peut tolérer l'exécution de ses sujets sans appliquer une loi en bonne et due forme; ainsi, il semble que rien n'a été fait en ce sens si ce n'est l'envoi d'une expédition militaire au printemps et l'annexion officielle du Territoire avec le Canada par proclamation de la Reine, suivi d'un tel déploiement de force que le respect de l'autorité sera assuré. Certaines personnes proches de la population disent que le parti de Riel demeure encore minoritaire, mais que les autres qui n'ont pas les moyens de s'organiser ni de nommer légalement un officier exécutif pour les diriger sont obligés de provoquer une guerre civile et, en cela, ils ont tout à fait raison. Les quelques contre-attaques qui ont déjà été menées toutes aussi illégales que celles de Riel n'ont donné que de mauvais résultats et nous espérons ardemment, en dépit de la colère qu'a provoquée l'exécution de Scott, que rien ne sera tenté d'ici à ce qu'une personne mandatée par la Commission royale soit là pour la diriger.
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