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Mémoires et journaux intimes d'immigrants
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Mémoires et journaux intimes d'immigrants

par Bruce S. Elliott, Université Carleton

L'immédiateté du récit à la première personne nous conduit aux écrits quotidiens, tels les journaux personnels, les Mémoires et les lettres, produits par des gens ordinaires. Les plus courants ont été écrits par des immigrants qui, dans leurs lettres et journaux personnels, traduisent l'urgence d'enregistrer et de communiquer leurs nouvelles expériences. Leurs Mémoires et leurs souvenirs montrent qu'ils sont conscients de la mouvance du monde qui les entoure.

La frontière est souvent mince entre ces différents genres -- journaux, Mémoires et lettres (et bien sûr, entre littérature et communication, publique et privée). Les écrits des émigrants sont lus à voix haute, transcrits pour être diffusés, et parfois publiés dans la presse. Les journaux écrits à bord des bateaux sont postés au pays natal, et on relie, sous forme de journal, les lettres composées au jour le jour. Certains écrivailleurs invétérés, tel Robert Hume, fermier cultivé de Cobourg, se servent de leurs journaux comme matériau brut qu'ils transforment en production littéraire.

Même les personnes peu enclines à écrire ont peut-être tenu un journal durant la traversée de l'Atlantique, entre autres parce que l'émigration est une décision capitale. Les longs moments de loisir en mer incitent à écrire, soit parce que l'auteur souhaite enregistrer les anecdotes et péripéties du voyage, veut maîtriser cette nouvelle expérience en la réduisant, couchée sur le papier, au rituel quotidien, ou encore répond à la pression de sa famille qui lui demande de faire parvenir de précieuses informations.

Les historiens, qui longtemps se sont penchés sur Mémoires et journaux de voyages pour interroger leur contenu, les explorent aujourd'hui plus profondément pour en dégager les perceptions et les constructions tirées de l'expérimentation et de la vision des auteurs. Ces derniers n'ont pas enregistré systématiquement tout ce qu'ils ont vu. Comment expliquer ce qu'ils ont choisi de transcrire, leur vision propre, et leur façon de la communiquer par l'écriture? Qu'est-ce qui a façonné et nuancé leur compréhension de leurs expériences nouvelles?

Les récits de voyages personnels s'inspirent, dans leur traitement et par leur sujet, des guides destinés aux immigrants, et parfois remplissent aussi ce rôle. Même les moins instruits se conforment, dans une certaine mesure, aux conventions littéraires. Le récit de voyage exige une structure chronologique, et les Mémoires racontent comment le voyageur passe de la civilisation au « désert immense » puis revient au monde civilisé.

Les récits de voyage portent la trace de la culture populaire -- la presse, la langue et les métaphores bibliques, les sermons littéraires et Shakespeare. Les nouveaux arrivants tentent désespérément de décrire ce qu'ils voient par le recours aux catégories littéraires familières; ils voient le paysage avec un regard qui n'a l'habitude que des rives lointaines. Les gens et la terre leur semblent indomptés, voire féroces, par comparaison à ce qu'ils connaissent. Même lorsqu'ils se réjouissent de la nouveauté, les immigrants s'efforcent d'imposer les idées sociales du vieux monde, et ils reproduisent en terre nouvelle les valeurs auxquelles ils sont accoutumés.

Les écrits quotidiens comptent parmi les sources qui nous permettent le mieux de comprendre l'expérience de l'émigration vécue par chacun des sexes, car hommes et femmes l'appréhendent différemment. Ils n'ont pas les mêmes occasions d'emploi, et le rapport de pouvoir, à l'intérieur de la famille, se modifie. Les journaux tenus par les enfants, ici représentés par celui des Hallen, sont aussi rares que délicieux. Dans une certaine classe sociale, la littérature occupe, dans cette société, une place plus grande que dans la nôtre. Les enfants nés dans une famille où se pratique l'écriture apprennent très tôt à s'exprimer sur papier. Autrefois comme aujourd'hui, les jeunes font appel à des images pour exprimer en dessin ce qu'ils ne peuvent communiquer par les mots. Avec leur vision du monde puérile et leur maturité d'expression, ces journaux d'enfants ne manquent pas de nous impressionner.


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