Les pages seront affichées en mode de visualisation MrSID. Histoire de la chambre forte des cartespar Jeffrey Murray, archiviste de cartes, Bibliothèque et Archives CanadaUne des premières cartes que j'ai acquises pour Bibliothèque et Archives Canada était une belle carte colorée du Québec produite par une compagnie bien connue de Montréal. Elle se trouvait dans la chambre forte des cartes depuis un certain temps quand j'ai remarqué une grave erreur -- ou, du moins, ce que je croyais être une erreur. Pour une raison quelconque, l'éditeur avait oublié de montrer la frontière du Labrador. En réalité, tout le Labrador était inclus dans le Québec. Je me suis immédiatement demandé comment une compagnie respectable avait pu faire ce que je croyais être une erreur flagrante et si Bibliothèque et Archives Canada devait conserver cette carte. Quand j'ai souligné le problème à un collègue, j'ai été étonné d'apprendre que, selon lui, ce n'était probablement pas une erreur. Il m'a expliqué qu'il y a une dispute continue au sujet de la frontière Labrador-Québec. Parce que la compagnie qui produisait la carte vendait la plupart de ses produits au Québec, elle avait probablement dessiné une carte qui reflétait l'opinion d'un côté de la dispute. Pour éviter que je ne m'enfle la tête avec ma découverte, mon collègue m'a montré d'autres cartes qui présentaient des opinions et des idées, plutôt que des faits. Il a attiré mon attention sur des cartes de chemin de fer du début des années 1900 qui avaient été distribuées aux touristes et aux immigrants. Ces cartes ne montraient pas les services de chemin de fer offerts par d'autres compagnies et semblaient prétendre que la concurrence n'existait pas. Même certaines cartes du gouvernement n'hésitent pas à déformer la vérité. Mon collègue m'a fait voir de vieilles cartes topographiques montrant clairement l'emplacement de dépotoirs municipaux -- dépotoirs qui, dans des versions plus récentes de la même carte, sont indiqués comme étant des parcs ou des parties de lotissements sans aucune mention disant qu'il s'agit de terrains récupérés. J'étais bouche bée. Moi qui avais toujours pensé que les cartes étaient des représentations fidèles de la surface de la terre, j'apprenais maintenant que les cartes étaient pleines de mensonges! Nous avons tendance à penser que les cartes sont des représentations honnêtes du sol sous nos pas, aussi fiables qu'un portrait de famille. Il est donc facile pour les compagnies et les gouvernements de profiter de cette confiance pour faire passer des faussetés. Évidemment, la perception du public au sujet des cartes est erronée. « L'image sur une carte est dessinée par des mains humaines contrôlées par les opérations d'un cerveau humain 1 » [traduction libre], a écrit le géographe américain John Kirkland Wright en 1942. Quand on prend le temps de réfléchir, on se rend compte qu'il est inévitable que ceux qui produisent des cartes les déforment et que ces déformations peuvent être utilisées pour influencer l'opinion publique. Dans la plupart des cas, il s'avère nécessaire de déformer les éléments d'une carte. Le monde est une sphère et une carte est plate. Il n'existe tout simplement aucun moyen de reproduire une surface ronde sur une feuille plate sans introduire une distorsion. Les dessinateurs de cartes (aussi appelés cartographes) peuvent choisir une projection qui préserve soit la forme de la masse terrestre, soit sa taille relative, mais qui ne peut faire les deux sur la même carte. De plus, la surface de la terre est tout simplement beaucoup trop compliquée pour qu'un cartographe puisse tout reproduire sur une seule carte. Pour cette raison, toutes les cartes sont sélectives dans ce qu'elles montrent; elles offrent une vue partielle de la réalité de manière à aider l'observateur à voir ce qui est important. Par exemple, la largeur des routes sur une carte routière est toujours dessinée sur une plus grande échelle que celle qu'on utilise pour le reste de la carte. Parfois, l'épaisseur de la ligne exagère d'environ 100 fois la largeur réelle de la route. La plupart des cartographes laisseront de côté également plusieurs des caractéristiques du terrain que les routes traversent -- les marais, les collines et les champsafin de simplifier la carte et d'éviter de pas créer de la confusion chez l'utilisateur en donnant trop de détails. Si les cartes routières n'exagéraient pas la largeur des routes, celles-ci seraient presque invisibles sur les cartes et rendraient la carte d'aucune utilité pour guider les voyageurs. C'est la contradiction que doivent résoudre tous les cartographes : présenter une image utile de la surface de la terre. Toute bonne carte doit dire ce que Mark Monmonier, professeur à l'Université de Syracuse, appelle de « petits mensonges pieux ». Mais ce qui m'a vraiment surpris, c'est de voir comment des cartographes malhonnêtes pouvaient modifier ces déformations pour favoriser les intérêts d'un groupe aux dépens d'un autre groupe. En changeant tout simplement la présentation des symboles, de l'échelle et de la projection d'une carte, il est possible de donner plus de poids à certaines réalités et d'en cacher d'autres, et de suggérer au lecteur des idées qu'il n'aurait pas autrement. Prenons la couleur, par exemple. Les cartes de l'Empire britannique montraient, par convention, tous les pays membres de l'Empire en « rouge britannique ». Mais, aujourd'hui, le rouge est fortement associé au communisme. Si des cartographes dans les pays non communistes du monde veulent donner une impression négative de certains pays ou laisser entendre qu'une région n'est pas une région amie, ils ont souvent recours à la couleur rouge pour les représenter. Au cours des années 1970, une organisation canadienne a utilisé cette technique pour montrer les pays hostiles à Israël. Elle a coloré en rouge vif tous les États arabes entourant Israël. Cette méthode de manipulation est très efficace parce que le lecteur ne peut regarder une carte sans tenir compte des symboles (comme la couleur) et des messages qu'ils transmettent. Parce qu'il est tellement facile de fausser une carte pour satisfaire les attentes d'un groupe et parce que les gens ont tendance à considérer ces images comme des vérités, il existe des cartes trompeuses à peu près partout : dans les magazines, sur des affiches, sur des timbres, dans les journaux et les manuels et à la télévision. « Les gens font confiance aux cartes, explique Mark Monmonier, et des cartes fascinantes attirent l'œil tout en évoquant l'autorité. Les gens crédules acceptent volontiers comme exactes des cartes fondées sur des faits déformés et quelquefois totalement faux. 2 » [traduction libre] Autrement dit, une carte déformée peut être un puissant outil de propagande; elle permet de communiquer certaines idées au sujet du monde sous le couvert de la communication d'informations géographiques objectives. Quand l'utilisateur partage les vues du cartographe, il peut avoir de la difficulté à déceler les erreurs que contiennent les cartes. Mais quand les valeurs de l'utilisateur diffèrent de celles du cartographe, la carte produite peut être source de confusion comme ce fut le cas pour moi avec la carte excluant le Labrador.
Les communications de masse jouant maintenant un rôle de premier plan dans la société, tout groupe qui se sert des cartes pour appuyer ses idées a la possibilité non seulement de mieux se faire connaître, mais aussi d'avoir un meilleur accès à la distribution du pouvoir, du prestige et de la richesse. Il n'est donc pas surprenant que les idées que transmettent les cartes ne sont pas l'effet du hasard, mais plutôt celui des intérêts de certaines parties de la société. Si les cartographes étaient plus disposés à discuter des messages qui se trouvent dans leurs cartes, le public serait en mesure de « lire entre les lignes » et d'évaluer la carte objectivement. Il y a une différence subtile entre les « mensonges pieux » qu'on tolère normalement sur les bonnes cartes et les déformations utilisées pour persuader et tromper. On ne devrait peut-être jamais regarder une carte sans tenir compte des buts plus larges de ceux qui l'ont produite. J'ai finalement décidé de garder la carte du Québec sans Labrador. Malgré la controverse qui y est attachée, elle reflète les perceptions de son créateur et la période dans laquelle nous vivons. Elle aura certainement un intérêt historique dans les années à venir. De plus, elle montre clairement que les cartes contiennent des messages cachés. Notes1. John Kirkland Wright, « Map Makers are Human », Human Nature in Geography: Fourteen Papers, 1925-1965, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1966, p. 33. 2. Mark Monmonier, How to Lie with Maps, Chicago, The University of Chicago Press, 1991, p. 87. Mettez vos connaissances à l'épreuve : vérité, mensonge et opinionVous devriez peut-être examiner de plus près les cartes routières rangées dans le coffre à gants de l'auto ou l'atlas sur la tablette de votre bibliothèque. Il est probable que les cartes contiennent certaines déformations. Cette section vous présente un choix de cartes, extraites de la collection de Bibliothèque et Archives Canada, dans lesquelles les déformations tentent délibérément d'influencer l'opinion de l'utilisateur. Pouvez-vous trouver les mensonges? Pour vous aider, le bouton « Indice » vous donne des renseignements sur la carte, l'auteur de la carte et l'année de sa production. Le bouton « Réponse » vous explique en détail comment le cartographe a déformé l'image pour présenter un message partial.
Autres lecturesHow to Lie With Maps de Mark Monmonier, Chicago, University of Chicago Press, 1996, 207 p.
Lie of the Land: The Secret Life of Maps d'April Carlucci et Peter Barber, Londres, The British Library, 2001, 64 p.
« The Map Is the Message » par Jeffrey S. Murray, The Geographical Magazine, vol. 59, no 5, p. 237-241.
The Road to There: Mapmakers and Their Stories de Val Ross, Toronto, Tundra Books, 2003, 146 p.
|