Le nationalisme révolutionnaire chez les Canadiens irlandais
David A. Wilson
Collège de l'Université de St. Michael, Université de Toronto (Ontario)
Quand Patrick James Whelan a été arrêté à Ottawa en 1868 pour le meurtre de Thomas D'Arcy McGee, les deux principaux détectives et le magistrat de police qui se sont occupé du cas étaient des Irlandais catholiques. L'avocat de la Couronne était James O'Reilly, lui aussi Irlandais catholique de Kingston et, ironiquement, Whelan était défendu par le grand maître de l'Ordre d'Orange, John Hillyard Cameron.
Le procès de Whelan nous entraîne dans l'univers trouble du nationalisme révolutionnaire irlando-canadien et des stratégies de contre-espionnage du gouvernement. Bien qu'on tende à considérer les Fenians comme une menace purement externe, ceux-ci constituaient une minorité significative au sein de la collectivité des Irlandais au Canada. Or, cette minorité comptait des partisans purs et durs qui planifiaient une invasion externe facilitée par une subversion interne.
Entre autres choses, les Fenians prévoyaient acheter la loyauté de soldats irlandais dans des régiments britanniques, infiltrer la milice, perturber les communications ferroviaires et télégraphiques de même que brûler des édifices publics. Ils cherchaient ainsi à créer le plus de chaos possible à l'intérieur du Canada afin de permettre à leurs compatriotes américains de traverser la frontière inaperçus. Pour répondre à ces menaces, le gouvernement a mis sur pied une force de police secrète, dont quelques 40 pour 100 d'agents étaient irlandais, et a commencé à amasser des renseignements fournis par des consuls britanniques aux États-Unis, la Dublin Metropolitan Police, des informateurs à la pige et des réseaux d'espionnage locaux gérés par des politiciens.
Tout comme aujourd'hui, le gouvernement devait alors respecter le fragile équilibre entre les libertés civiles et les exigences de sécurité; tout comme aujourd'hui, il devait tenter de trouver et d'isoler une faction révolutionnaire au sein d'un groupe ethnique, sans en aliéner les membres en général. À des moments cruciaux, comme lors de l'invasion des Fenians en 1866 et de l'assassinat de McGee deux années après, les autorités devant mettre la sécurité avant tout ont suspendu l'habeas corpus; toutefois, le premier ministre Macdonald, soucieux d'éviter une réaction générale contre les Irlandais catholiques, a fortement insisté pour que les magistrats locaux fassent preuve de prudence et de retenue.
Lorsqu'on étudie ces questions, les sources trouvées dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada et des National Archives of Ireland peuvent s'avérer fort précieuses. Le mouvement des Fenians étant un phénomène transatlantique, il importe de l'examiner dans ce contexte. Chez Bibliothèque et Archives Canada, les documents de John A. Macdonald constituent un trésor d'information sur le mouvement au Canada, mais on ne peut en comprendre toutes les ramifications que si on consulte les Fenian A Files, les Fenian Briefs, les Fenian Papers et les Fenian Police Reports (dossiers, mémoires, documents et rapports de police sur les Fenians) aux National Archives of Ireland. En effectuant des travaux conjoints à Ottawa et à Dublin, on pourra éclaircir considérablement ces enjeux qui revêtent encore aujourd'hui une importance capitale.
Traduit par Bibliothèque et Archives Canada
David A. Wilson est professeur d'histoire et d'études celtiques à l'Université de Toronto. Il a écrit et révisé six livres, dont United Irishmen, United States et Ulster Presbyterians in the Atlantic World; il rédige présentement une imposante biographie de Thomas D'Arcy McGee.