Littérature et journalisme au Canada
Michele Holmgren
Collège Mount Royal, Calgary (Alberta)
En tant que concept et que destination, le Canada a fasciné de nombreux écrivains et émigrants potentiels qui, en Irlande, devaient déjà composer avec leurs propres préoccupations d'ordres politique et nationaliste. Isaac Weld a notamment fondé les textes si souvent cités du document Travels Through the States of North America, and the Provinces of Upper and Lower Canada (1799) sur un voyage effectué « dans le but de… déterminer si, en cas d'urgence à venir, une partie de ces territoires pourrait être envisagée comme lieu de résidence possible et agréable » (p. iii). [traduction]
Les éloquentes descriptions des forêts et lots de colonisation par Weld ont influencé pendant des générations l'image que les Irlandais se faisaient du Canada. (Bentley 1993, p. 223-226) Bien qu'il n'ait jamais migré lui-même, « l'urgence » qu'il craignait s'est bel et bien produite lors de la Rébellion des Irlandais unis de 1798. Une cinquantaine d'années après, Standish O'Grady, propriétaire protestant et auteur du long poème canadien The Emigrant (1841), a laissé entendre que les visites nocturnes de membres de violentes sociétés secrètes irlandaises étaient une des raisons de son émigration au Québec : « À cause de tels actes, d'un triste régime, / Pris d'un sombre dégoût, j'ai quitté ma noble demeure, / Dans de lointaines contrées, je marche d'un pas plus léger ». [traduction]
D'autres émigrants étaient davantage motivés par l'espoir que la peur; Weld et d'autres écrivains vantaient les attraits du Canada : liberté de religion pour les catholiques et dissidents, et propriété foncière sans dîmes, taxes ou loyers dissuasifs. Alors officier britannique parcourant le Haut et le Bas-Canada en 1789, le futur leader des Irlandais unis, Lord Edward Fitzgerald, envoyait chez lui des lettres enthousiastes : « l'égalité de tous et le mode de vie de chacun m'enchantent » (Moore 1831, p. 79 et 80). [traduction]
Le biographe de Fitzgerald et poète irlandais Thomas Moore, arrivé dans le Haut-Canada en 1804, idéalisait de son côté les paysages canadiens sous forme de quatrains en « ballad stanza » : « Ici, dans ce petit bois… avec quelle béatitude je vivrais, et avec quelle sérénité je mourrais » (Moore 1910, p. 124) [traduction]. De tels poèmes ont poussé les nationalistes irlandais à se demander pourquoi les émigrants profitaient de ces bienfaits à l'étranger alors qu'eux n'y avaient pas accès chez eux; plus tard, ce nationalisme est venu nourrir la littérature et le journalisme au Canada.
À titre d'exemple, en 1828 à Montréal, Dr Daniel Tracy fonde l'Irish Vindicator pour soutenir les sociétés Friends of Ireland, lesquelles favorisaient le mouvement pacifique d'émancipation des catholiques dans tout l'Empire britannique. La poésie avait sa place dans ce journal, surtout si elle en appuyait les objectifs, soit de faire valoir les droits des Irlandais catholiques sans « perturber l'harmonie religieuse qui existe au sein de toutes les classes de chrétiens » (Irish Vindicator, 23 décembre 1828). [traduction]
Adam Kidd, un émigrant du comté de Derry et auteur du long poème canadien The Huron Chief (1830), a également publié de nombreux textes dans le Vindicator. Provenant d'un village non loin de Slieve Gallion, on pense que c'est lui qui aurait envoyé des lettres au journal en faveur de l'émancipation des catholiques sous le nom de plume "Slievegallin" :
L'homme est naturellement bon avec ses semblables, à moins que son esprit ne soit empoisonné par les préjugés, l'intolérance et l'ignorance. L'Indien qui jouit de l'abondance de son héritage naturel ne cherche pas à prendre le dessus sur ses frères de tribu; tous y restent égaux jusqu'à ce que l'un d'entre eux se signale par quelque acte de qualité, dans lequel cas, par droit ainsi acquis, il s'élève dans les rangs de sa nation (Bentley 1987, p. 127). [traduction] |
Protestant venant du nord de l'Irlande, Kidd pourrait avoir transmis au Canada la tradition des versets politiques, popularisés dans le cahier de chansons des Irlandais unis intitulé Paddy's Resource (encore en circulation au début du XIXe siècle). Le seul recueil de poésie qu'il a publié contenait des textes sur les harpistes, les hommes d'état et les artistes irlandais, mais son portrait idéalisé des cultures des Premières nations suggère qu'il considérait les Autochtones comme un modèle de tolérance et d'égalité des droits sur lequel tant les Canadiens que les Irlandais pouvaient se fonder.
Traduit par Bibliothèque et Archives Canada
Bibliographie
Michele Holmgren, titulaire d'une maîtrise en littérature irlandaise accordée en 1992 par la Queen's University of Belfast, termine en 1997 un mémoire intitulé « Native Muses and National Poetry: Nineteenth-Century Irish-Canadian Poets », obtenant ainsi un doctorat en littérature canadienne de l'Université de Western Ontario. Elle a publié des articles sur le nationalisme littéraire chez les Canadiens et les Irlandais du XIXe et XXe siècles et a enseigné la littérature de ces deux nationalités dans plusieurs universités. Elle fait présentement partie du corps professoral au département d'anglais du Collège Mount Royal de Calgary.