LES MUSÉES NATIONAUX*Introduction[372]1. Un ensemble de musées nationaux, bien organisé, pourrait contribuer d'une manière remarquable à l'épanouissement de notre vie nationale. De très graves limitations, quant aux locaux et au budget, gênent présentement l'activité de ces institutions chez nous. L'unique immeuble permanent qui sert de musée, dans la capitale, abrite, en plus du Musée national, la Galerie nationale et la Division des études géologiques. On a pris des dispositions, apprenons-nous, pour installer ailleurs la Division des études géologiques; on se prépare, d'un autre côté, à établir les plans dun immeuble pour la Galerie nationale. Le Musée de la guerre, toutefois, reste dans des locaux provisoires nettement insuffisants; d'autres collections importantes sont dispersées, et la façon dont elles sont exposées laisse à désirer. 2. Il convient, estimons-nous, de recommander fortement l'institution d'une politique satisfaisante et cohérente en ce qui a trait à l'établissement et à l'entretien de musées nationaux. Nous ne sommes pas sans savoir qu'il faudrait engager des dépenses très élevées pour porter rapidement les musées canadiens au niveau qui convient à un pays doté de la richesse et des ressources actuelles du Canada. Nous nous proposons donc d'énoncer, relativement aux musées, les principes d'une politique appropriée, de signaler les mesures qu'il y a lieu de prendre au plus tôt, et enfin, de conseiller certains moyens d'ordre provisoire qui permettraient d'exécuter suffisamment vite, et sans entraîner de dépenses exorbitantes, certains articles essentiels de ce programme. Nous n'avons pas voulu perdre de vue l'importance qu'il y a, à la fois, de tirer le meilleur parti possible des collections existantes et d'élaborer des méthodes grâce auxquelles ces collections deviendraient utiles à toute la population du Canada. Le Musée national.3. Le Musée national a pris, au cours de son histoire, une importance indiquée par son nom même et il a assumé des fonctions d'un caractère national tout en demeurant attaché à un ministère pour ce qui est de son organisation et de sa direction. Nous avons dit combien, à nos yeux, la nation était redevable à l'imagination et à l'énergie des fonctionnaires de ce ministère. Mais le temps est venu, croyons-nous, d'étudier encore une fois cette institution et d'en définir à nouveau l'objet et les fonctions. 4. L'organisation du Musée ne convient plus tout à fait aux tâches qu'il a assumées et qui devraient, de l'avis de ses représentants qui ont comparu devant la Commission, prendre plus d'ampleur. Quelques indices, que nous avons signalés, témoignent d'une certaine ambiguïté dans les rapports du Musée avec des ministères autres que celui dont il relève. Un musée national, à notre avis, devrait, vis-à-vis des ministères, jouir d'une autonomie relative en ce qui a trait aux questions administratives et budgétaires, ainsi qu'à sa ligne de conduite générale. D'autre part, pour que l'institution puisse maintenir une ligne de conduite uniforme, répondre aux besoins de tout le pays, attester clairement de son caractère national, il faudrait qu'elle fût administrée par un directeur sous la surveillance générale d'un conseil d'administration représentatif. 5. Nous avons déjà parlé de l'expansion rapide dans l'activité du Musée. Fondé pour conserver les collections de la Division des études géologiques, il s'est, par la suite, étendu aux domaines de la botanique, de la zoologie, de l'anthropologie, de l'archéologie et de l'ethnologie, ce dernier englobant le folklore, les arts et les métiers manuels. Dans certaines sphères, toutefois, l'activité du Musée s'est restreinte. On y a cessé depuis plusieurs années de s'occuper activement d'entomologie et l'on a remis au ministère de lAgriculture la plupart des collections intéressant cette science. Plus récemment, la Division des études géologiques a été constituée en unité distincte; il reste donc en activité, au Musée, trois services, ceux de la zoologie, de la botanique et de l'anthropologie. 6. Ces modifications, cette évolution de l'activité du Musée se sont produites naturellement et elles sont attribuables en partie à l'évolution et aux modifications dans le travail du ministère auquel il est rattaché et en partie aux inclinations particulières des fonctionnaires du Musée auxquels on a laissé une latitude très féconde en résultats. Mais aujourd'hui, alors qu'il semble nécessaire d'établir une pratique générale à l'égard des musées nationaux et de déterminer les moyens qui permettront de tirer le meilleur rendement des collections existantes, il serait utile de définir en termes plus précis le but que l'on reconnaît actuellement au Musée national. L'une des propositions énoncées par le directeur nous paraît des plus opportunes. Le Musée devrait se donner pour mission de représenter l'histoire naturelle et les ressources du Canada. Pour les fins de linstitution, toutefois, nous estimons que le mot « ressources », devrait s'entendre dans le sens qu'on lui prête généralement; c'est dire qu'il ne devrait pas s'appliquer à la population du Canada comme le suppose le mémoire présenté par le Musée. 7. Il importe aussi d'en arriver à une définition claire des fonctions du Musée national. Comme nous l'avons signalé, ses fonctions, telles qu'elles sont présentement fixées, consistent à recueillir des collections, à s'occuper de travaux de recherche, de publications, d'expositions et d'éducation, les deux premiers aspects de ces fonctions prenant une importance particulière. Nous avons parlé du double emploi éventuel des travaux de recherche. Nous avons mûrement réfléchi à la question, non seulement parce que nous avions le devoir de formuler des recommandations au sujet du Musée national, mais aussi parce qu'en vertu des instructions que nous avions reçues nous étions tenus d'étudier tous les moyens employés pour aider à la recherche au Canada. Nous savons que, dans les principaux musées d'Angleterre, de France, des États-Unis et d'ailleurs, on attache une très grande importance à cette activité. On nous a dit, d'autre part, que les musées d'Angleterre et des États-Unis poursuivent activement des travaux de ce genre dans des domaines comme la botanique, même si d'autres institutions et les services d'agriculture se livrent à un travail parallèle voire identique. On nous a signalé, par exemple, les travaux parallèles des Kew Gardens et du British Museum of Natural History, en Grande-Bretagne, ainsi que ceux de l'American Museum of Natural History et du ministère de l'Agriculture, aux États-Unis. 8. Nous avons tenu compte de ces précédents importants. Certes, pour attirer et garder à son emploi des hommes compétents, un musée scientifique doit s'occuper de recherches scientifiques. Nous devons reconnaître, toutefois, qu'à bien des égards, les problèmes qui se posent au Canada dans ce domaine ont un caractère particulier; les Canadiens doivent résoudre ces problèmes eux-mêmes tout comme ils ont eux-mêmes résolu des problèmes qui se posaient dans d'autres domaines. Il faudrait, croyons-nous, encourager les conservateurs de musées, qu'ils soient hommes de science ou de lettres à entreprendre des travaux de première main; il faudrait également mettre les moyens nécessaires à leur disposition. D'autre part, compte tenu des initiatives étendues des universités, du Conseil national de recherches et des ministères de l'État à l'heure actuelle dans le domaine de la recherche, recherche fondamentale, recherche de base et recherche appliquée, nous estimons qu'il y a lieu de ne pas considérer le Musée national comme une institution consacrée principalement aux travaux de recherches. Au Canada, nos ressources sont trop restreintes, le champ de nos recherches, dans le seul domaine de l'histoire naturelle, trop vaste pour que nous puissions nous payer le luxe du double emploi, même si la chose est permise, voire utile dans des pays qui possèdent des institutions anciennes et bien dotées. 9. Nous n'ignorons pas que le danger du chevauchement, qu'on a porté particulièrement à notre attention au cours de notre examen du Musée national, existe aussi pour d'autres organismes de l'État. Nous avons offert ailleurs une recommandation d'application générale à ce sujet. Le travail du Musée entrant dans le champ immédiat de nos attributions, il convient, croyons-nous, de formuler ici une recommandation spécifique. Le Musée national, à notre avis, devrait s'occuper principalement d'organiser des expositions et faire de l'éducation générale, deux genres d'activité auxquels il est si bien adapté. Et il y a là une occasion splendide, pour une institution nationale, de servir de modèle à tous les musées du pays, d'être pour eux une source d'inspiration, de renseignements et de conseils. Plusieurs personnes nous ont dit que les Canadiens ne s'intéressent pas assez à la science, ne se rendent pas compte de toute l'importance des réalisations scientifiques. Rien peut-être ne réussit à stimuler l'intérêt des gens autant que de leur présenter, de telle façon qu'ils en soient frappés, ces phénomènes de « l'histoire naturelle » qui se produisent autour d'eux mais qu'ils ne savent pas voir. On demande, d'un peu partout, que le Musée national attire sur lui l'attention de la population comme la Galerie nationale le fait déjà et qu'il lui montre des objets d'un intérêt réel, lui offre de plus en plus fréquemment des expositions ambulantes, des conférences, des projections, des étalages de toutes sortes. Certes, on apprécie à sa valeur le travail fait à Ottawa mais on réclame bien davantage pour l'extérieur. En conséquence nous recommandons :
Un musée historique canadien10. Il manque au Canada deux institutions qui passent généralement pour essentielles à tout peuple civilisé, une bibliothèque nationale et un musée historique national. Nous parlons ailleurs de la bibliothèque. Quant à la nécessité d'un musée historique, nous ne saurions la souligner en termes trop énergiques. Notre histoire est écrite en deux langues, ce qui favorise parfois et perpétue inévitablement des interprétations historiques divergentes. Nous avons donc d'autant plus besoin de mettre en lumière les vestiges du passé sur lesquels aucune restriction de langage n'a de prise et qui, éveillant un fond commun d'expériences et de sentiments, nous aident à comprendre que, toute diverse qu'elle soit, l'histoire de notre pays aux populations dispersées peut créer effectivement un lien d'unité. 11. Certaines collections d'objets historiques ont été réunies dans notre capitale, quelques-unes, comme celles du Musée national, grâce aux soins de fonctionnaires occupés pourtant à bien d'autres tâches. Nous avons fait observer, plus tôt, que le Musée national a établi une importante division d'anthropologie et de folklore et qu'il a amassé une belle collection d'objets illustrant les civilisations des populations indigènes du Canada et certains aspects de la culture des premiers colons blancs. Nous avons noté également que les Archives nationales conservent une précieuse collection d'objets historiques autres que les manuscrits, que la Galerie nationale a en sa possession un grand nombre de peintures qui illustrent la participation du Canada aux deux Grandes Guerres et que le Musée canadien de la guerre, avec de maigres ressources, a recueilli et conservé une importante collection de souvenirs de guerre. Nous avons appris aussi que divers ministères, divers organismes de l'État ont, sous leur garde, une grande quantité d'objets historiques. À notre avis, tous ces objets devraient maintenant être réunis, classés et exposés convenablement. En conséquence nous recommandons :
Un musée canadien des sciences.12. Dans un chapitre précédent, nous avons indiqué l'impression que nous ont faite les divers exposés préconisant l'établissement d'un musée qui illustrerait les réalisations très considérables de notre pays dans le domaine des recherches scientifiques, des sciences appliquées et du progrès technologique. Nous estimons, avec la Société royale du Canada et d'autres organismes importants, qu'étant donnée l'influence profonde que le progrès de la science et de l'invention a exercée sur notre histoire et notre évolution, il convient d'ériger à ce progrès un monument convenable. En conséquence nous recommandons :
Jardins botaniques et jardins zoologiques nationaux.13. Nous avons mentionné les nombreuses observations qu'on nous a présentées pour réclamer la création, au Canada, de jardins botaniques et zoologiques nationaux. Il existe présentement une collection botanique très importante, à Montréal, et une autre, plus modeste mais néanmoins prometteuse, à Hamilton. La seule collection nationale est celle de larboretum fédéral, qui comprend environ 2,500 arbres et arbustes, et qu'entretient près d'Ottawa le ministère de l'Agriculture. Nous avons besoin d'une ou de plusieurs collections générales de plantes de tous genres, non seulement pour l'agrément et l'instruction des citoyens, mais pour des fins scientifiques. Du seul point de vue économique, il est étrange de constater qu'un pays comme le Canada, où l'industrie agricole et forestière joue un rôle si essentiel, n'ait pas une collection représentative de plantes vivantes. À cet égard, comme à d'autres, nous constituons une malheureuse exception parmi les pays du Commonwealth et les autres nations d'une importance analogue. Un jardin botanique serait naturellement le centre où pourraient se poursuivre les études scientifiques pour lesquelles une collection étendue et variée de plantes vivantes est indispensable. Un tel jardin servirait aussi, tout comme les musées, à des fins instructives et récréatives d'ordre général. 14. L'établissement d'un jardin botanique, nous a-t-on exposé, permettrait peut-être de prévenir le double emploi des collections botaniques, que nous avons signalé dans un chapitre précédent. Il est possible aussi que le problème en soit aggravé, puisque ce jardin botanique posséderait certainement sa propre collection de spécimens. D'autre part, n'y aurait-il pas moyen, et les autorités compétentes, à notre avis, devraient y songer sérieusement, de réunir toutes les collections botaniques nationales dans cette institution, à laquelle on laisserait le soin des acquisitions futures. On préviendrait ainsi un certain chevauchement qui existe présentement et qui ne peut que s'aggraver quand deux organismes de l'État, ou plus, exercent parallèlement leur activité dans un domaine d'un grand intérêt scientifique et pratique. La réunion des collections serait, cela va de soi, accessible à tous les chercheurs attachés ou non aux institutions de l'État. De plus, la collection inestimable du Musée national ne serait transportée ailleurs qu'à une seule condition: le Musée resterait maître de disposer des articles nécessaires aux expositions. Nous proposons cette façon de procéder en guise de solution possible, sans préjudice des conclusions qu'on pourrait tirer d'un relevé détaillé des travaux de recherche scientifique menés par les ministères de l'État. 15. Il se peut que l'établissement d'un jardin zoologique entraîne également un chevauchement sur les travaux du Musée national; le problème pourrait être résolu de la même manière. Dans ce domaine, cependant, le danger d'un double emploi inutilement coûteux n'existe pas en ce moment. Que nous n'ayons pas d'aquarium national, c'est, nous l'avons signalé, une carence importante et bizarre pour un pays dont presque toutes les provinces ont un intérêt économique dans l'industrie de la pêche. D'ailleurs, indépendamment des pertes qui en découlent dans le domaine économique, il semble évident que, du seul point de vue intellectuel, n'avoir pas de musées de plantes, d'animaux et de poissons vivants, dé- daigner ces moyens bien simples d'éveiller l'intérêt pour la science chez ceux surtout qui s'occupent d'agriculture et de pêche, c'est renoncer à des avantages considérables. En conséquence nous recommandons :
16. Nous avons été frappés par les nombreuses observations qui nous ont été faites sur la nécessité d'apporter aux petites institutions locales une aide et des conseils que seule une institution nationale serait capable de leur fournir, parce que seule une telle institution disposerait normalement d'un personnel compétent, pourrait avoir accès à d'autres institutions comparables ainsi qu'à des sources d'information spécialisées, et serait au courant de la situation générale des musées dans tout le pays. Nous avons présenté une recommandation sur ce sujet relativement aux fonctions du Musée national. Nous estimons que des attributions semblables devraient être dévolues aux autres musées que nous jugeons opportun d'établir. En conséquence nous recommandons :
*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé. |