LES BIBLIOTHÈQUES FÉDÉRALES*La Bibliothèque du Parlement[380]1. La Bibliothèque du Parlement, comme l'indique son nom, réunit une collection de livres destinés surtout à fournir aux députés les renseignements dont ils ont besoin dans l'accomplissement de leurs fonctions législatives, bien qu'elle ne serve pas exclusivement à ces personnes et à ces fins. Nous l'avons dit à la première partie, des dimensions trop petites, qui aboutissent à l'encombrement des rayons et qui interdisent les aménagements qu'on estime indispensables à une bibliothèque moderne, en diminuent de beaucoup l'utilité. Lassant pour le personnel, nuisible au service public, cet état de choses constitue un danger pour les livres précieux qui sont actuellement exposés à de graves dangers d'incendie. Les bibliothécaires parlementaires et le président de la Commission consultative nationale nous ont dit qu'il serait souhaitable, quand les circonstances le permettront, de céder le gros de ces ouvrages à une bibliothèque nationale, et de ne conserver qu'une collection relativement restreinte, pour la consultation, à la Bibliothèque du Parlement même. Il serait alors possible d'adapter beaucoup mieux cette bibliothèque à la fin que, pour l'instant, elle ne sert qu'imparfaitement. Quant aux ouvrages ainsi déplacés, il va sans dire qu'ils resteraient disponibles sur simple demande. Si nous ne faisons erreur, toutefois, une bonne partie de la collection actuelle reste en somme inemployée, en partie à cause de l'encombrement des lieux et, en partie, parce qu'elle n'offre d'intérêt que pour les érudits et les chercheurs. En conséquence nous recommandons :
2. Nous nous rendons compte de la somme de travail qu'exigerait une telle entreprise; nous savons pertinemment que les livres séparés de la collection ne seraient pas d'un accès aussi immédiat. Nous tenons à rappeler, toutefois, qu'on a déjà décidé de répartir les ouvrages de la bibliothèque entre une collection de consultation courante et une collection de dépôt, dès qu'on disposera d'un édifice pour la Bibliothèque nationale, et qu'à toutes fins pratiques une bonne partie de la collection est déjà inaccessible. 3. La Bibliothèque du Parlement, comme tant d'autres bibliothèques au pays et ailleurs, a dû malheureusement fonctionner durant de longues années avec un personnel dont la formation générale était peut-être suffisante mais dont la formation professionnelle était déficiente, voire inexistante. Nous signalons en passant l'inconvénient que constituait ce manque de préparation technique, sans vouloir dénigrer les services rendus par les bibliothécaires du passé, parmi lesquels on remarquait des hommes distingués et érudits, mais qui n'étaient pas des techniciens. Soulignons cependant que la multiplication des livres de tous genres, à notre époque, et que le recours de plus en plus fréquent aux bibliothèques, aussi bien pour y trouver des renseignements d'ordre courant que pour y poursuivre des recherches savantes, rendent essentielles, pour le bibliothécaire d'aujourd'hui, les études spéciales de « bibliothéconomie ». Il est utile de rappeler ces choses, même aujourd'hui, à un public trop enclin à croire que la bonne volonté et une dose raisonnable d'intelligence sont suffisantes à ceux qui assurent le fonctionnement d'une bibliothèque. 4. La Bibliothèque du Parlement ne nomme maintenant, aux emplois d'ordre professionnel, que des personnes ayant reçu la formation technique voulue. Nous constatons, toutefois, que les bibliothécaires détenteurs de titres universitaires et exerçant une fonction professionnelle touchent, à la Bibliothèque du Parlement, en moyenne, un traitement annuel inférieur de $120 à la moyenne des traitements de l'ensemble du personnel (y compris celui qui accomplit des tâches n'exigeant pas de connaissances techniques) et inférieur d'environ $350 au traitement moyen des employés sans formation technique qui accomplissent un travail semblable au leur. Il semble, en outre, que deux bibliothécaires diplômés seulement sont affectés sans interruption à l'importante tâche qui consiste à cataloguer les livres; que les services de documentation et de renseignements sont, assez souvent, confiés à des employés dont l'instruction ne dépasse pas le niveau de l'école secondaire (high school). Un tel régime, croyons-nous, ne peut pas, dans la pratique, donner de bons résultats. Étant donné que la Bibliothèque du Parlement est, en ce moment, la seule qui, au Canada, soit de quelque façon comparable aux bibliothèques nationales d'autres pays, il importe particulièrement, nous semble-t-il, qu'elle soit en mesure de maintenir des normes de services convenables dans toutes ses divisions. En conséquence nous recommandons :
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5. Le service documentaire constitue une partie très importante de toute bibliothèque moderne, surtout de celle qui dessert un corps législatif. On vient à la bibliothèque se renseigner sur toutes sortes de questions. Parmi ces questions, les unes sont simples et on en trouve facilement la réponse dans les ouvrages de référence ordinaires; les autres, plus complexes, exigent l'examen prolongé de plusieurs sources. Même les petites bibliothèques municipales, d'ordinaire, réservent, aux fins de recherches documentaires, une pièce distincte et dotée de collections spéciales d'ouvrages de référence et administrée par un personnel spécialisé et expérimenté. Dans son état actuel, la Bibliothèque du Parlement est matériellement incapable d'assurer ces services. Toutefois, les fonctionnaires de la bibliothèque ont proposé la création d'un service des recherches pour aider les membres du Parlement. Nous convenons qu'il importe au plus haut point d'assurer un service efficace de documentation, chargé aussi bien de fournir une réponse aux questions simples et d'ordre pratique que de choisir et de réunir les sources documentaires qui s'imposent dans le cas de demandes de renseignements plus complexes. Nous hésitons à nous prononcer sur le principe d'employer, à la bibliothèque, des préposés aux recherches. S'il y a lieu de créer un service des recherches à l'intention des parlementaires, il faudrait vraisemblablement en faire une unité qui, distincte de la bibliothèque, tirerait néanmoins plein parti de ses ressources. Soulignons, cependant, que le service ordinaire de documentation, dans une bibliothèque comme celle du Parlement, doit être en mesure de répondre à toutes sortes de questions en ayant recours aux sources de tous genres. Une telle fonction exige de nombreuses connaissances et un haut degré de compétence, beaucoup de temps et de patience. En conséquence nous recommandons :
6. Nous avons entendu parler du problème que comporte la préparation, pour la Bibliothèque, d'un catalogue dressé selon les méthodes récentes les plus appropriées. Nous avons cru comprendre que le manque d'espace, d'installations convenables, aussi bien que la pénurie de personnel, permettent tout au plus de cataloguer les nouvelles acquisitions. Nous tenons pour acquis, d'autre part, que beaucoup d'ouvrages appartenant maintenant à la Bibliothèque du Parlement (notamment ceux dont il est question dans la recommandation a) seront un jour cédés à la Bibliothèque nationale. Pour l'heure, semble-t-il, il faut un catalogue complet et moderne des volumes que la Bibliothèque du Parlement devra conserver pour en constituer une collection de consultation courante. En conséquence nous recommandons :
Centre bibliographique et Bibliothèque nationale. 7. Le 9 juin 1948, un comité mixte des deux Chambres du Parlement approuvait un projet préconisant l'établissement d'un centre bibliographique, premier pas vers la création d'une bibliothèque nationale. Environ trois mois plus tard, au moment de sa nomination, l'actuel archiviste fédéral se voyait confier la tâche d'instituer une Commission consultative de la Bibliothèque nationale. Cette commission, établie en novembre 1948, se composait de treize membres, notamment d'un représentant de chaque province. La commission a constitué un personnel de quatre bibliothécaires et de trois commis; elle a amorcé l'établissement d'un catalogue d'ensemble national, dressé le plan d'importantes publications bibliographiques, et pris des dispositions en vue de créer une succursale à Montréal. Comme on l'a déjà indiqué, le Centre bibliographique fut établi à Ottawa le ler mai 1950. 8. Nous avons indiqué, à la première partie, l'importance qu'il y a d'établir un catalogue d'ensemble national et de publier des recueils bibliographiques des publications canadiennes. Même si la Bibliothèque nationale trouvait maintenant à se loger dans un édifice convenable, et disposait de fonds pour l'achat de livres, il resterait encore plus prudent de dépasser les premières étapes de la mise au point du catalogue d'ensemble avant de procéder à des achats. La Bibliothèque nationale, qui n'a que peu d'argent et qui a besoin de livres maintenant fort rares, doit éviter tout dédoublement inutile. Elle doit chercher surtout à compléter les collections canadiennes existantes, notamment les collections riches et variées du Gouvernement fédéral. L'élaboration d'un catalogue d'ensemble relativement complet constitue, nous l'avons expliqué à la première partie, la base nécessaire de tout programme rationnel d'achats. Tout comme les recueils bibliographiques, ce catalogue rendra, dès maintenant, des services précieux à toutes les bibliothèques canadiennes. En conséquence nous recommandons :
9. Les diverses mesures prises en vue de nommer une Commission consultative de la Bibliothèque nationale, d'établir un Centre bibliographique et de dresser un catalogue d'ensemble et des recueils bibliographiques seraient, sauf erreur, préparatoires à la création d'une bibliothèque nationale. Nous estimons qu'il est temps de faire ce dernier pas. La situation actuelle de la Commission consultative et de son président nous semble une anomalie, vu l'importance des travaux en cours et les plans établis pour l'avenir. En conséquence nous recommandons :
10. Nous avons longuement réfléchi à la question dun programme d'achats pour la Bibliothèque nationale. On nous a donné à entendre (comme nous l'expliquons à la première partie) que la Bibliothèque nationale devrait se procurer une collection aussi complète que possible des livres publiés au Canada, des livres publiés par des Canadiens et des livres traitant de sujets canadiens. À cette collection devraient s'ajouter d'autres ouvrages importants dans tous les domaines, qui conviennent à une bibliothèque destinée à favoriser les travaux sérieux. Réunir de telles collections devrait être la première tâche du bibliothécaire et du Conseil d'administration. 11. Comme nous l'avons déjà expliqué, il faudra que le catalogue d'ensemble ait franchi les premières étapes, qu'il soit même assez complet avant qu'on achète des livres en grande quantité. Il y a, cependant, certaines mesures qu'il faudrait prendre immédiatement. 12. Actuellement, l'article 11 de la loi du droit d'auteur de 1931 enjoint à l'imprimeur de tout livre publié au Canada de faire parvenir deux exemplaires de la première édition et deux exemplaires de toute édition ultérieure et révisée aux bibliothécaires du Parlement, au cours des trois mois qui suivent la publication. La loi du droit d'auteur cependant ne prévoit, expressément, aucune sanction. Si nous ne faisons erreur, il en résulte qu'un bon nombre des livres publiés au Canada ne parviennent jamais aux bibliothécaires du Parlement et qu'on n'institue pas d'actions en justice pour obliger à l'observance de la loi. Il est vrai que le code pénal prévoit des pénalités pour les infractions faites de propos délibéré à cette loi, comme à toutes les autres mesures législatives, mais on pourrait tout au moins exiger, d'une façon plus stricte, de celui qui désire s'assurer la jouissance du droit d'auteur qu'il se conforme aux dispositions de l'article 11, sans préjudice toutefois des conventions internationales pertinentes. À moins qu'on n'ajoute tout simplement des dispositions punitives à la loi du droit d'auteur. Il y aurait lieu, en même temps, de réviser les dispositions actuelles régissant l'exercice du droit d'auteur, de façon à bien préciser que ces dispositions ne s'appliquent pas seulement aux livres proprement dits, d'une part, et que, d'autre part, elles visent tous les ouvrages importés au Canada pour y être vendus ou autrement distribués. 13. Certaines sociétés savantes, les sociétés historiques, par exemple, publient parfois, à l'intention de leurs membres, des documents de caractère éphémère. Il se peut que ces publications contiennent de précieux renseignements d'ordre bibliographique ou autre. Au moment de leur parution, il est facile de se les procurer gratuitement, ou du moins à très bon compte, mais il suffit parfois de très peu de temps pour qu'elles disparaissent complètement. 14. Il faut enfin parler des pièces de collectionneurs qui font leur apparition de temps en temps et qui, si on ne les achète pas tout de suite, deviennent souvent introuvables. Parmi ces pièces peuvent figurer des manuscrits originaux d'intérêt littéraire. On nous a également rappelé que plusieurs ouvrages canadiens, tirés à très peu d'exemplaires, deviennent, très vite, articles de collectionneurs. Ajoutons que, dans ce domaine aussi, il serait plus économique de s'en tenir à un programme d'achats graduels. Lancer une Bibliothèque nationale en faisant part soudainement de l'intention quon a de se porter acquéreur d'un grand nombre d'ouvrages canadiens épuisés, ce serait, à coup sûr, provoquer une hausse des prix dans le commerce du livre, qui nest déjà que trop soumis à de brusques changements. En conséquence nous recommandons :
15. Parmi les fonctions normales d'une grande bibliothèque, il faut compter les échanges avec les institutions correspondantes. Notre Bibliothèque nationale doit s'intéresser aux publications de l'État. Il en va de même des autres bibliothèques canadiennes et des grandes bibliothèques étrangères. Jusqu'ici, les services de l'Imprimeur du roi assuraient la distribution de ces documents. Des associations de bibliothèques et des bibliothécaires nous ont cependant fait remarquer, qu'indépendamment de l'empressement de l'Imprimeur du roi à répondre aux demandes de communication qui lui sont faites par des personnes ou des groupements qui veulent se procurer telle publication donnée, il n'existe actuellement aucun moyen pratique et immédiat de connaître quelles sont les publications de l'État que l'on peut obtenir. En conséquence, plusieurs bibliothèques canadiennes ne peuvent pas compter recevoir automatiquement toutes les publications de l'État qui sont essentielles au genre de services qu'elles rendent à la population. En conséquence nous recommandons :
16. Lors de la discussion des problèmes de la Bibliothèque nationale, un certain nombre de groupements bénévoles ont laissé entendre que, dans le cas d'autres organismes fédéraux, la seule façon de rendre une institution vraiment nationale consisterait à la décentraliser par un moyen quelconque. On nous a dit, par exemple, qu'il y aurait lieu de considérer, à ce point de vue, les bibliothèques provinciales comme des dépositaires régionales et de leur confier les ouvrages qui les intéressent à des titres particuliers. Nous croyons, toutefois, que cette décentralisation, en dépit de certains avantages possibles, présenterait de graves inconvénients. Au demeurant, le recours au microfilm permettrait d'accorder à peu près les mêmes avantages aux bibliothèques provinciales et locales, tout en rendant inutile l'éparpillement des collections nationales. En conséquence nous recommandons :
17. Dans un pays comme le nôtre, où les services de bibliothèque
sont mal répartis, dispersés et, dans certaines régions, inexistants, la
Bibliothèque nationale doit se charger de fonctions qui ne sont pas celles de la
bibliothèque nationale de pays plus anciens. Nous avons déjà dit que nombreux sont les
Canadiens qui attendent de la Bibliothèque nationale qu'elle satisfasse directement le
besoin qu'ils ont de livres et de services de bibliothèque. Quant à nous, tout à fait
d'accord avec les bibliothécaires de carrière, nous pensons que ce ne sont pas là les
fonctions propres à une Bibliothèque nationale. Il semble assuré, d'autre part, que
toutes les personnalités compétentes du monde des bibliothèques (non seulement
bibliothécaires de carrière, mais fonctionnaires fédéraux, provinciaux ou simples
particuliers) verront en elle une source d'avis et de renseignements sur les questions de
bibliothéconomie et de bibliographie en tant qu'elles intéressent notre pays. Bien
entendu, il est à prévoir que toutes les demandes venues de l'étranger au sujet des
questions « bibliothéconomiques », chez nous, lui seront adressées. Il est clair, en
outre, qu'elle doit rester en contact étroit avec les groupements professionnels
bénévoles comme l'Association des bibliothèques canadiennes, les groupements
provinciaux correspondants et l'Association des bibliothécaires de langue française,
avec les autres bibliothèques, grandes et petites, et les groupements bénévoles qui
s'intéressent plus particulièrement aux services des relations suivies avec l'UNESCO et se tiendra-t-elle au courant des réalisations étrangères dans le domaine des bibliothèques. Bref, à sa manière, elle devra rendre au pays des services analogues à ceux de la Galerie nationale qui, dans un autre ordre, sont tellement prisés chez nous. En conséquence nous recommandons :
18. On nous a fait part de maintes demandes pressantes préconisant l'octroi d'une aide fédérale directe quelconque aux bibliothèques locales, surtout en vue de la création de services de bibliothèque là où ils n'existent pas. Bien que nous considérions ces besoins avec la plus grande sympathie et que nous ayons l'intérêt le plus vif pour la façon dont ils nous ont été exposés, nous ne croyons pas que notre mandat nous autorise à présenter des recommandations sur ce point. *Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé. |