Dévouée à la cause des femmes autochtones depuis plus d'un quart de siècle, Jeannette Corbiere Lavell est une femme d'un grand courage qui a lutté pour améliorer la situation de ses consœurs et qui a démontré que la voix d'une seule personne peut faire la différence.
Jeannette Vivian Corbiere est née le 21 juin 1942 dans la réserve Wikwemikong de l'Île Manitoulin, en Ontario. Membre du peuple Nishnawbe, elle parle l'ojibwa. Sa mère avait été instruite à l'internat, puis à l'école normale, et son père était analphabète, n'ayant jamais été à l'école. Jeannette, elle, a fréquenté l'école primaire de la communauté, laquelle était dirigée par des religieux de l'Église catholique. Elle avait terminé sa dixième année au moment où elle est allée vivre à North Bay, en Ontario. C'est à cet endroit qu'elle a obtenu son diplôme d'études secondaires. Elle a ensuite poursuivi ses études dans une école de commerce.
Après avoir obtenu son diplôme, Jeannette a vécu à Toronto, où elle a occupé un poste de secrétaire de direction. Elle a aussi occupé diverses fonctions au Native Canadian Centre of Toronto, dont celles de travailleuse sociale, de travailleuse auprès des tribunaux et de travailleuse auprès des jeunes. Par la suite, alors qu'elle était employée par La Compagnie des jeunes Canadiens, elle a voyagé dans tout le pays aux fins d'intervention dans les communautés autochtones. En 1965, elle a été désignée princesse indienne du Canada.
En 1970, Jeannette épousait David Lavell, un non-Autochtone, qui étudiait le journalisme au Ryerson Institute de Toronto. Peu après son mariage, un avis du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui annonçait qu'elle n'était plus considérée comme une Indienne en vertu de l'alinéa 12 (1) (b) de la Loi sur les Indiens, selon lequel : «12 (1) Les personnes suivantes n'ont pas le droit d'être inscrites ... (b) une femme ayant épousé une personne n'étant pas indienne, à moins que cette femme devienne subséquemment l'épouse ou la veuve d'une personne correspondant à la description de l'article 11.» (traduction) (Loi sur les Indiens, 1970).
Cet article avait de graves conséquences pour les femmes autochtones émancipées. Elles perdaient leur statut d'Indienne, de même que les enfants nés de leur mariage; elles ne pouvaient plus vivre sur leur réserve et elles perdaient le droit de posséder des terres et d'hériter des biens familiaux; elles ne pouvaient se prévaloir d'aucun droit issu des traités ni participer aux conseils de bande et aux affaires politiques et sociales de la communauté; elles perdaient en outre le droit d'être enterrées auprès de leurs ancêtres. D'un autre côté, les hommes autochtones qui épousaient des femmes non-autochtones n'étaient privés d'aucun de ces droits et le statut d'Indien était attribué à leur femme et à leurs enfants.
Jeannette Corbiere Lavell a donc décidé de contester la Loi sur les Indiens en soutenant que l'alinéa 12 (1) (b) était discriminatoire et devait être abrogé, conformément à la Déclaration des droits de 1960. C'était la première fois que les tribunaux avaient affaire à un cas de discrimination fondée sur le sexe. En juin 1971, le juge Grossberg de la cour de comté statuait contre Jeannette Corbiere Lavell. Comme elle ne se laissait pas facilement dissuader, le 9 octobre 1971, l'affaire Lavell était entendue devant la Cour d'appel fédérale, qui se prononça à l'unanimité en faveur de Mme Lavell. Malheureusement, en raison de pressions exercées par le gouvernement fédéral et des organisations autochtones, cette décision a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada.
En février 1973, les affaires Lavell et Bédard étaient entendues concurremment. Yvonne Bédard était une autre Autochtone qui avait, elle aussi, perdu son statut d'Indienne à la suite de son mariage avec un homme non-autochtone. Le 27 août 1973, la Cour suprême décidait, par une majorité de 5 voix contre 4, que la Déclaration des droits ne s'appliquait pas à l'article 12 de la Loi sur les Indiens. De nombreuses femmes autochtones étaient donc condamnées à perdre leur héritage, non par choix mais à cause d'une loi désuète. La Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada avait déclaré, dans un rapport antérieur, qu'entre 1958 et 1968, 4 605 femmes autochtones avaient ainsi été émancipées en raison de leur mariage avec un homme blanc. Des années plus tard, Sandra Lovelace suivait les traces de Jeannette Lavell et présentait l'affaire de la révocation du statut d'Indien devant le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui statua en sa faveur. En 1985, l'article 12 de la Loi sur les Indiens était abrogé.
Jeannette Corbiere Lavell a poursuivi sa tâche en tant que l'une des membres fondatrices de l'Ontario Native Women's Association : elle en a été vice-présidente en 1972-1973, et présidente en 1974-1975. Elle a aussi été l'une des vice-présidentes élues de l'Association des femmes autochtones du Canada. Elle a occupé le siège de présidente du Nishnawbe Institute (un organisme faisant la promotion de la culture autochtone) et de Anduhyaun Inc. (une résidence pour femmes autochtones située à Toronto). Plus tard, elle a obtenu un diplôme d'enseignement de l'Université Western Ontario, ce qui l'a ultérieurement conduite au poste de directrice d'école. Elle a été nommée par le Cabinet à la Commission d'enquête sur le système judiciaire des populations autochtones et a aussi été conseillère en éducation et en emploi et consultante auprès de la communauté pour le compte du gouvernement de l'Ontario.
Jeannette Corbiere Lavell a lutté sans relâche contre l'inégalité et l'injustice. Dans un juste éloge, l'Ontario Native Women's Association a créé, en 1987, le Jeannette Corbiere Lavell Award, «remis chaque année à une femme autochtone méritante qui fait preuve des mêmes qualités et du même dévouement que Jeannette». (Ontario Native Women's Association. Information, Policy and Administration Manual, 1987, p. 11)
Lectures suggérées :
Bataille, Gretchen M. -- «Lavell, Jeannette». -- Native American women : a biographical dictionary. -- New York : Garland, 1993. -- P. 153-154
Canada. Dept. of the Secretary of State. -- «Jeannette Corbière-Lavell». -- Speaking together : Canada's Native women. -- Toronto : Hunter Rose, 1975. -- P. 94-95
Cheda, Sherrill. -- «Indian women : an historical example and a contemporary view». -- Women in Canada. -- Don Mills, Ont. : General Publishing Co., 1977. -- P. 195-208
Jamieson, Kathleen. -- Indian women and the law in Canada : citizens minus. -- [Ottawa] : Advisory Council on the Status of Women, 1978. -- 108 p.
Lavell, Jeannette Corbiere. -- A Native woman's perspective on equality in Canada's legal system. -- London, Ont. : University of Western Ontario. Centre for Women's Studies and Feminist Research, 1991. -- 4 p.
McCardle, Bennett. -- «Lavell, Jeannette Vivian». -- The Canadian encyclopedia. -- Edmonton, Alta. : Hurtig, c1985. -- Vol. II, P. 983
Précédent | Suivant
|