La politique en matière d'immigration de Sifton était favorable à tout immigrant européen ou américain désireux de travailler la terre. Cependant, après 1905, le successeur de Sifton, Frank Oliver, mit en place une politique plus restrictive sur les plans racial et culturel qui favorisait les immigrants anglo-saxons, lesquels étaient jugés les plus aptes à s'assimiler. Par conséquent, la majeure partie des activités de recrutement se faisait alors dans les campagnes anglaises, écossaises et irlandaises dans le but d'attirer des agriculteurs et des travailleurs agricoles qui répondaient à la nouvelle norme plus restrictive en faveur des immigrants « désirables »7. Dans son rapport au Ministère, W.G. Stuart, agent pour l'Écosse, a illustré les avantages de la centralisation des efforts et des conférences en milieu rural, affirmant qu'il évitait de donner des conférences dans les grosses villes en raison des frais entraînés par l'organisation de ces réunions et à cause de la difficulté d'y attirer l'auditoire recherché.Il ajoutait que les « paroisses rurales constituaient le meilleur terrain pour obtenir les résultats voulus et que, à d'autres égards, les ruraux étaient des immigrants plus désirables »8. La projection de photos, qui semblaient tout à fait neutres aux yeux des spectateurs, était un moyen idéal pour faire part des initiatives fédérales au grand public. Les images étaient projetées sur le mur de la salle communautaire ou du sous-sol de l'église et l'auditoire réagissait alors à de l'information qui était littéralement diffusée sous forme de rayons lumineux. Les appels déclarés et implicites aux immigrants éventuels avaient par le fait même un caractère éphémère et quelque peu mystérieux. À l'apogée des conférences illustrées par des diapositives, à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, il n'était pas rare que les séances de projection attirent des foules de 800 à 1 200 personnes, dont bon nombre parcouraient des kilomètres pour y assister9. Les conférences étaient présentées d'octobre à mars, après les récoltes, pendant la période de l'année où les agriculteurs avaient davantage de temps pour assister aux spectacles. Pour beaucoup de gens, les conférences étaient non seulement l'occasion de se renseigner sur le Canada mais c'était également une forme de loisir populaire qui leur permettait de s'évader de la dure réalité de la vie rurale. Pour les agents, les conférences étaient l'occasion d'attirer de grosses foules auxquelles ils pouvaient présenter les avantages de la vie au Canada et, espéraient-ils, les convaincre d'envisager l'émigration au Canada.
Dans les petites villes, le public pouvait assister à peu de frais à des projections de films animés dans les salles de cinéma et, au tournant du siècle, les agents d'immigration ont commencé à utiliser ce support, mais beaucoup d'agents préféraient la diapositive sur verre parce que son utilisation était non seulement moins coûteuse mais surtout parce que les conférenciers pouvaient communiquer à leur auditoire leurs opinions sur le Canada.En outre, à cette époque, la projection de films animés au nitrate de cellulose devait se faire dans une salle spéciale disposant d'appareils à l'épreuve du feu en plus de nécessiter un permis spécial, qui était du reste souvent difficile à obtenir. Dans une lettre à W.D. Scott, surintendant de l'immigration, J. Obed Smith, surintendant adjoint de l'immigration, a décrit un autre avantage des projections de diapositives sur verre. Selon lui, les projections de films « attiraient depuis la rue une classe de personnes que nous ne cherchons pas à atteindre », alors que « l'auditoire attiré par une simple conférence sur le Canada, illustrée par des diapositives sur verre, vient pour se renseigner sérieusement sur notre pays, pas seulement pour économiser un sou, soit le tarif parfois exigé pour certaines autres projections cnématographiques »10.
Notes :
1. Les Archives nationales possèdent certaines des images présentées par le Programme d'immigration avant la Première Guerre mondiale sous forme d'épreuves photographiques. Les premières diapositives ont fort probablement été détruites par le ministère de l'lntérieur. La pratique de l'époque voulait que la mise à jour des diapositives se fasse de façon régulière. Ainsi, les diapositives qui n'étaient plus utilisées étaient tout simplement détruites. Les diapositives produites par et pour le ministère de l'lntérieur après la guerre sont conservées dans plusieurs collections à l'Archives nationales du Canada
2. Les papiers de Sifton, vol. 255, p. 16.
3. H. Gordon Skilling, Canadian Representation Abroad : From Agency to Embassy, Toronto : Ryerson Press, 1945, p. 2.
4. Ministère de l'Immigration et de la Colonisation, Rapport annuel, 1922, p. 25.
5. Harold Troper, Only Farmers Need Apply : Official Canadian Government Encouragement of Immigration to the United States, 1896-1911, Toronto : Griffin Press Limited, 1972, p. 7.
6. Valerie Knowles, Strangers at our Gates : Canadian Immigration and Immigration Policy, 1540-1990, Toronto : Dundum Press, 1992, p. 61.
7. Tandis que Sifton était impatient d'accueillir tout « paysan vigoureux vêtu de peau de mouton », Frank Oliver accordait la préférence aux Anglo-saxons, même si ces derniers n'étaient pas aussi intéressés à s'établir en milieu rural que les agriculteurs d'Europe de l'Est.Voir Donald Avery, Reluctant Host : Canada's Response to Immigrant Workers 1896-1994, Toronto : McClelland & Stewart, 1995, p. 77.
8. Rapport de W.G. Stuart, agent spécial dans le nord de l'Écosse, ministère de l'lntérieur, Rapport annuel, 1886, p. 37.
9. RG 76, vol.49, dossier no 1945, partie 1, lettre de H. Hickman à J.G. Colmer, Esq., le 22 mars 1892.
10. RG 76, vol. 49, dossier no 1945, partie 3, lettre de J. Obed Smith, surintendant adjoint, Immigration, 11 W.D. Scott, surintendant, Immigration, le 22 avril 1914.
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