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Des négociations ardues La conclusion du Traité 8
par
Jeffrey S. Murray, Archives gouvernementales et Disposition des documents
La Commission du
Traité 8 sapprêtant à quitter Edmonton pour Athabasca (détail),
mai 1899.
Archives nationales du Canada,
C-5007 |
«Frères peaux rouges!
nous sommes venus ici aujourdhui de la part de Sa Majesté pour traiter avec
vous», annonçait le commissaire David Laird aux quelque 2 000 Indiens et
Métis rassemblés près de lemplacement actuel de Grouard sur les rives du Petit
lac des Esclaves. Laird et son entourage de policiers à cheval, de secrétaires, de
comptables, de missionnaires, dempaqueteurs, de cuisiniers et
dinterprètes 26 en tout venaient deffectuer un
exténuant voyage de 300 milles en 21 jours à travers le district
dAthabasca au cur de lintérieur nord-ouest du Canada. Assis sous une
tente à un pupitre de fortune, Laird, âgé de 66 ans, sapprêtait à ouvrir
les négociations qui devaient aboutir à la signature du Traité 8. Celui-ci allait
devenir le plus important règlement territorial du XIXe siècle entre le
gouvernement canadien et les Premières Nations. Déroulant un imposant document
calligraphié, il désigna le Grand Sceau et poursuivit : «Ceci est le document
quelle [Sa Majesté] nous a donné et le mandat signé de son sceau quelle
nous octroie, prouvant que nous avons lautorité de traiter avec vous1.» |
Larrivée de
Laird au Petit lac des Esclaves le 19 juin 1899 fut célébrée à
lorigine comme faisant partie dun plan du gouvernement canadien pour
développer le potentiel économique de la région dAthabasca et pour la rattacher
au reste du Canada. Cette thèse représentait les «premiers propriétaires de la terre»2 comme les bénéficiaires passifs dun gouvernement
bienveillant, soucieux de poursuivre «... cette politique humaine et généreuse qui a
toujours caractérisé le Dominion dans ses rapports avec les Autochtones»3.
Fidèle à cet esprit suffisant, le sous-ministre sest empressé de faire
léloge du Traité 8 comme étant une noble tentative, de la part du
gouvernement, de jeter «... les fondations dune relation permanente, amicale et
profitable entre les races»4. Derrière la rhétorique
gouvernementale, la réalité, cependant, était fort différente.
Lorsque furent signés
les premiers traités avec les Premières Nations des Prairies, dans les années 1870, le
gouvernement canadien connaissait fort peu le district lointain et nordique
dAthabasca et encore moins les Premières Nations de la région. Les deux décennies
suivantes, cependant, devaient combler cette lacune lorsque des scientifiques du
gouvernement explorèrent cette région à la recherche de ses nombreux secrets. À la fin
des années 1880, les «inépuisables» sables bitumineux dAthabasca étaient déjà
bien connus, au moins un rapport gouvernemental les décrivant comme «... le champ
pétrolifère le plus important dAmérique, sinon du monde»5.
On prédisait que les réserves pétrolières sous les sables dAthabasca
figureraient «... parmi les principaux biens de la Couronne du Dominion»6.
De riches gisements dargent, de cuivre, de fer, de bitume et dautres minéraux
de valeur économique furent aussi découverts et lon sattendait «quils
contribuent à la richesse publique»7.
Des affiches annonçant
litinéraire de la
Commission du Traité 8 furent distribuées dans tout le district dAthabasca
par la Compagnie de la Baie dHudson, la police à cheval du Nord-Ouest et les
missionnaires.
Archives nationales du Canada,
C-140890 |
Il
nest pas étonnant que lévidente richesse de la «grande réserve du
Canada», comme lavait baptisée avec optimisme John Schultz, tenant perspicace et
éloquent de lexpansion vers lOuest, ne fut jamais clairement expliquée aux
Premières Nations de la région. De fait, tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle,
les conditions de vie de la plupart des collectivités autochtones du district
dAthabasca étaient aux antipodes des grandes fortunes envisagées par les
promoteurs pour le vaste intérieur du Nord-Ouest. Les ressources fauniques, dont
dépendait totalement leur existence traditionnelle de chasse et de trappage, devenaient
de plus en plus aléatoires, ce qui entraînait de fréquentes périodes prolongées de
pauvreté et de famine.
Les missionnaires, les
négociants et les chefs autochtones eux-mêmes furent les premiers à signaler ces
problèmes aux fonctionnaires fédéraux, presque aussitôt après la remise de la Terre
de Rupert par la Compagnie de la Baie dHudson en 1870. «Ceux qui peuvent piéger
des animaux à fourrure et travailler ne sen tirent pas trop mal, mais un grand
nombre [dAutochtones] ne peuvent travailler et souffrent véritablement. Cest
en leur nom que nous vous implorons...», pouvait-on lire dans une lettre reçue par le
ministère des Affaires indiennes8. Elle était rédigée en
écriture syllabique par deux chefs autochtones de lÎle-à-la-Crosse, à la limite
est du district dAthabasca. Le surintendant adjoint du ministère des Affaires
indiennes, Lawrence Vankoughnet, était parfaitement au courant de lindigence
des Autochtones et à plus dune reprise avait porté le fait à lattention du
premier ministre, comme à la fin de 1883 lorsquil lui écrivit :
«... elles [les Premières Nations dAthabasca] sont fort désireuses
dentrer en pourparlers avec le gouvernement sur le traité, car leur condition en
maints endroits est très misérable.»9 |
Outre des dons
occasionnels de ficelle et dhameçons, le gouvernement restait fermement sur ses
positions à leffet que, tant quun traité ne serait pas signé, les
Premières Nations étaient la responsabilité de la Compagnie de la Baie dHudson.
Mais chaque fois quon lui demandait damorcer des négociations en vue
dun traité, la réponse officielle, telle quexprimée par le premier ministre
Macdonald lui-même, était de reporter le processus «... jusquà ce
quil devienne probable que lon réclame le territoire pour des fins de
colonisation»10.
Notes :
1.
Charles Mair, Through the Mackenzie Basin, a Narrative of the Athabasca and Peace River
Treaty Expedition of 1899, Toronto, William Briggs, 1908, p. 56
2.
Canada, Documents parlementaires, 1900, no 14, p. xviii-xix
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Canada, Journal du Sénat, 1888, p. 163
6. Ibid.
7.
Décret, CP 52, 26 janvier 1891
8.
Samuel Egon et Michel Deneyou à John A. Macdonald, 28 juillet 1883, RG 10, vol. 4006,
dossier 241, 209-1
9.
Lawrence Vankoughnet à John A. Macdonald, 5 novembre 1883, RG 10, vol. 4006, dossier 241,
209-1
10. Ibid.
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