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numéro 112 |
L'accent sur
la conservation
La prévention
et le traitement des dommages
causés par la moisissure aux documents
d'archives et de bibliothèque
par Catherine Craig-Bullen,
restauratrice principale
Division des traitements en conservation
La présence de moisissures dans les collections d'archives
n'est pas un phénomène rare. Les spores aériennes des moisissures (ou conidies) sont
omniprésentes dans notre environnement. Une fois en activité, les conidies commencent à
proliférer dans le substrat (le support) ou à la surface de la plupart des documents
d'archives et de bibliothèque1. La contamination confirmée ou
soupçonnée d'une collection par des moisissures nécessite une intervention immédiate,
car elle représente un risque tant pour la collection que pour les personnes qui la
manipulent. Les moisissures ont un effet extrêmement destructeur sur les documents
d'archives. Une bonne partie des dommages, comme l'affaiblissement du support, le tachage
ou l'effacement du texte ou de l'image, sont irréversibles. Les moisissures peuvent en
outre provoquer des réactions allergiques graves ou exacerber des affections médicales
existantes chez les personnes qui sont exposées aux collections ou qui les manipulent.
Nous devons concentrer nos efforts sur la prévention de la prolifération des moisissures
de même que sur l'enlèvement des organes végétatifs. Dans tous les cas, les questions
de santé et de sécurité doivent être prises en considération.
Pour réduire le risque d'apparition
des moisissures, il faut d'abord éliminer les conditions favorables à leur croissance.
La propreté
Les conidies sont des spores microscopiques2 qui s'introduisent dans les immeubles par les personnes,
les particules de poussière, les plantes, les aliments et les systèmes de chauffage, de
ventilation et de climatisation. Les filtres à air doivent être propres et suffisamment
fins pour capter les plus petites particules. Les prises d'air doivent être couvertes de
grillages filtrant les matières particulaires susceptibles de transporter des microbes3. L'eau contenue dans des récipients, comme les cache-pots ou les cuvettes
de déshumidificateurs, ne doit jamais demeurer stagnante. Les lieux doivent toujours
être propres. La poussière et la saleté peuvent contenir des spores et fournir les
nutriments nécessaires à la croissance fongique. Les rayonnages, les rebords et autres
surfaces comme le dessus des boîtes et des livres doivent être époussetés ou passés
à l'aspirateur. Les planchers doivent être propres; si on les lave à la vadrouille, on
doit changer régulièrement l'eau de lavage pour éviter de redistribuer les particules.
Idéalement, les collections devraient être conservées dans des armoires ou des boîtes
ou être recouvertes de housses pour éviter la contamination. Des non-tissés (comme le
Remay) peuvent aussi être employés pour couvrir les objets et les protéger de la
poussière. On ne doit pas apporter d'aliments, de fruits ni de plantes dans les aires
d'entreposage et on doit en limiter et en surveiller la présence dans les autres parties
de l'immeuble.
La régulation des conditions
ambiantes
Le réglage et le maintien de la
température et de l'humidité relative à des valeurs spécifiées peuvent réduire la
germination et la prolifération des moisissures4. La possibilité d'activation des
moisissures augmente considérablement si le taux d'humidité relative est supérieur à
65 %. Leur prolifération dépend aussi d'autres paramètres, tels que le pH, le contenu
en oxygène, la lumière et les propriétés osmotiques du substrat, tous des paramètres
qui ne sont pas aussi faciles à régler que la température et l'humidité relative5.
Il doit y avoir une bonne circulation d'air dans les aires d'entreposage et
d'exposition. Le recours à des ventilateurs prévient la formation de points chauds et de
poches de haute humidité. On doit disposer de déshumidificateurs au besoin. Il faut
éviter de créer des microclimats, telle la condensation sur les rayonnages, les appuis
de fenêtre et les éviers de métal. Les collections doivent être éloignées des murs
extérieurs qui peuvent être des zones de forte humidité et de condensation. Les
rayonnages et les armoires doivent être placés à au moins 10 cm du sol afin de
protéger les collections en cas d'inondation. Les aires d'entreposage et d'exposition
doivent faire l'objet d'une surveillance constante. Divers appareils permettent de
surveiller et de mesurer la température et l'humidité relative; ils fournissent un
tableau exact des conditions ambiantes et sont utiles pour dépister les problèmes
existants ou potentiels. Les objets mouillés doivent être traités sans tarder, car les
conidies peuvent entrer en germination très rapidement, soit en moins de vingt-quatre
heures.
Un milieu de travail sain et
sécuritaire
Les collections contaminées doivent être isolées des
autres collections et, dans la mesure du possible, placées dans un espace clos.
Les personnes qui manipulent des
objets contaminés doivent savoir que le risque s'accroît avec la fréquence et la durée
des manipulations. Les personnes atteintes d'allergies particulières ou d'affections
respiratoires doivent être prudentes. Dans la plupart des cas, si les manipulations sont
peu fréquentes, le risque de sensibilisation aux champignons est faible; cependant,
l'augmentation de la fréquence et de la durée des manipulations accroît la probabilité
d'une sensibilisation aux antigènes (toxines) produits par les moisissures. La
sensibilisation se fait principalement par inhalation, bien que le contact avec la peau et
d'autres tissus puisse aussi provoquer une réaction. Les réactions allergiques
comprennent des symptômes d'asthme bronchique, d'alvéolite et de dermatite allergique.
Ceux qui manipulent des objets contaminés doivent porter des gants de latex, un masque de
chirurgien, une blouse de laboratoire et des lunettes à coques6. Le masque doit filtrer les petites particules. Les vêtements protecteurs
devraient être jetables, de sorte qu'on puisse les déposer dans des sacs fermés
hermétiquement dès la fin du traitement. Effectuer le traitement sous une hotte de
laboratoire réduit aussi les risques. La propreté est essentielle; après avoir
manipulé des objets contaminés, on doit se laver à fond les mains et le visage, bien
laver les vêtements protecteurs et essuyer les surfaces de travail.
Il est préférable de pécher par
excès de prudence. Si l'établissement ne peut régler de manière satisfaisante les
questions de santé et de sécurité, il faut faire appel aux autorités sanitaires
locales ou provinciales7.
Des traitements efficaces
Dans bien des cas, l'identification
précise de l'espèce en cause peut être très difficile et doit être confiée à un
mycologue compétent. Quelle que soit l'espèce mise en cause, les conservateurs et les
restaurateurs ont pour objectif d'éliminer toute infestation fongique; ils doivent donc
axer leurs efforts sur l'éradication et peut-être sur l'enlèvement de ces organismes.
Les moisissures observées dans une collection ne sont pas nécessairement en activité.
Si l'objet est sec et inodore, il est probable que les moisissures sont inactives;
toutefois, les conidies pourraient être en dormance et être encore viables. À l'état
de dormance, les conidies sont déshydratées, ont une paroi cellulaire rigide et un
métabolisme lent. Après avoir été activées par un ou plusieurs facteurs, elles
entrent en germination.
On peut détruire les moisissures en
activité en plaçant l'objet à une température inférieure à -20 °C pendant 48
heures, puis en le décongelant lentement. Il faut s'assurer au préalable que l'objet
peut tolérer la congélation et que le risque de distorsion est faible, particulièrement
si l'objet est mouillé ou humide8.
On doit sécher les objets mouillés
au plus tôt pour éviter la prolifération des moisissures, soit en les épongeant avec
du papier buvard, soit en les étendant pour les laisser sécher à l'air libre. On
devrait utiliser des ventilateurs pour faire circuler l'air. S'il est impossible de
procéder immédiatement au séchage, il faut au moins réfrigérer les objets, et si
possible les congeler, afin d'inhiber la croissance des moisissures.
La réfrigération permet de gagner
du temps et de reporter le traitement, mais comporte des inconvénients. Une
prolifération minime est tout de même possible et peut entraîner la formation de
produits métaboliques. De plus, en raison des conditions défavorables, la pigmentation
peut s'intensifier et les encres solubles peuvent continuer à couler. Si on procède à
la congélation, il faut s'assurer que l'objet peut tolérer le procédé et prendre des
mesures pour réduire le plus possible la distorsion. (Certains documents photographiques,
comme le collodion humide sur verre ou sur métal, ne doivent jamais être congelés.)
L'immersion dans un bain contenant
70 % d'alcool et 30 % d'eau détruit les moisissures en activité et les conidies en état
de dormance. (Un faible pourcentage d'eau est nécessaire pour hydrater les conidies,
briser leur paroi cellulaire et laisser pénétrer l'alcool.) On doit s'assurer de la
stabilité du milieu dans cette solution et confier le traitement à un restaurateur
qualifié.
Le recours aux traitements
fongicides est déconseillé pour diverses raisons. Bon nombre de ces traitements
présentent un grand risque pour la santé et doivent être exécutés conformément à
une réglementation rigoureuse. Quoique les conidies hydratées soient sensibles à de
nombreux fumigants, les conidies déshydratées et inactives résistent à ce type de
traitement. Certains fumigants peuvent agir comme activateurs et déclencher la
germination des conidies en dormance.
Les moisissures peuvent être
présentes à la surface de l'objet et dans le substrat sous-jacent. Les moisissures
superficielles sont les plus faciles à enlever. Il est difficile d'enlever les éléments
qui se trouvent dans le substrat sans endommager l'objet.
Les moisissures superficielles
peuvent être enlevées par aspiration légère ou brossage de la surface. On doit
examiner soigneusement le milieu ou le support pour s'assurer qu'il peut tolérer le
traitement. Le nettoyage doit être effectué avec grand soin pour éviter de déplacer ou
de perdre les éléments friables ou détachés. L'aspiration est une méthode sûre et
réglable pour éliminer les moisissures superficielles9. Il est conseillé de travailler sous une hotte de laboratoire. Le
nettoyage à sec doit être effectué de manière à ne pas disperser les spores dans
l'air et à prévenir la contamination du milieu environnant.
Les moisissures produisent des
pigments surtout dans des conditions défavorables. Ces pigments peuvent se trouver à
plusieurs endroits - dans la conidie, le mycélium (une masse de tissu filamenteux) ou le
substrat même. Si le pigment se trouve dans la conidie, il peut être retiré par
aspiration ou brossage de l'objet. S'il se trouve ailleurs, il est plus difficile à
enlever. La seule façon de le retirer du mycélium est d'enlever le mycélium ou de
briser la paroi cellulaire, ce qui nécessite l'utilisation d'enzymes. Certains pigments
solubles peuvent être enlevés du substrat par l'application d'un ou de plusieurs
solvants spécifiques10. Les acides faibles produits par les
moisissures peuvent provoquer une décoloration permanente.
Les moisissures modifient la
composition chimique et physique de l'objet. L'humidité déclenche un processus chimique
nommé hydrolyse, les enzymes et les acides réagissent avec l'objet, et le pH (le degré
d'acidité) peut être modifié. Les moisissures attaquent rarement la structure du papier
(p. ex. les fibres); elles préfèrent les matières organiques amorphes comme les
encollages, les protéines et les acides aminés11. Par conséquent, elles peuvent
causer une perte considérable de force. Le tapis de mycélium peut « feutrer » le
papier (le rendre doux, fibreux et sans substance), ce qui augmente considérablement sa
capacité d'absorption et de rétention de l'humidité et entraîne une plus grande
détérioration.
Il est important de consulter un
restaurateur compétent avant de traiter du papier endommagé par des moisissures. Avant
le traitement, il faut déterminer les limites physiques et chimiques de l'objet. Un
restaurateur peut aussi recommander ou effectuer le traitement requis pour réparer et
renforcer les parties endommagées.
Sommaire
Les établissements doivent
surveiller de près leurs collections pour déceler la présence de moisissures et
élaborer un plan d'action qui devrait porter sur la réduction de l'exposition, la
manipulation et le nettoyage des objets contaminés, et l'éradication des moisissures12.
La lutte contre les moisissures
commence par la prévention. Les moisissures n'entrent en germination qu'en présence de
facteurs physiques et chimiques particuliers. La régulation de ces facteurs permet
d'empêcher la germination. S'il existe un problème potentiel, c'est-à-dire si une
collection est mouillée ou contaminée par des moisissures inactives, il faut agir
rapidement. En détruisant ou en enlevant les conidies, ou en faisant sécher l'objet
mouillé ou humide, on peut réduire, et même éliminer, le risque de prolifération et
de contamination. Isoler les objets contaminés du reste des collections contribue à
réduire le risque de propagation des moisissures. La surveillance, la prévention et une
intervention rapide en situation d'urgence devraient assurer la protection des collections
contre une infestation possible, ou réelle, par les moisissures.
Notes :
1. M.L. Florian, «
Conidial Fungi (Mould) Activity on Artifact Materials - A New Look at Prevention, Control
and Eradication », International Council of Museums, Committee for Conservation, vol. II,
1993, p. 868-874. [ retour ]
2. Ibid.
[ retour]
3. W. Glenn, «
Getting Rid of Unwanted Guests », Occupational Health and Safety Canada, Nov. / Déc.
1993, p. 40-45. [ retour ]
4. Archives
nationales du Canada, Projet de logement de l'administration centrale des Archives, Architectural
Program: Gatineau Building, vol. 1, 1989, p. 85-103. [ retour
]
5. M.L. Florian, op.
cit. [ retour ]
6. J. Bissett, «
Recommended Procedures for Examining and Conserving Mould-Contaminated Documents »,
Correspondance, Centre de recherches biosystématiques, Agriculture Canada, 1989. [ retour ]
7. J.K. Strang et J.
Dawson, « Le contrôle des moisissures dans les musées », Bulletin technique 12,
Institut canadien de conservation, Ottawa, 1991. [ retour ]
8. Archives
nationales du Canada/Bibliothèque nationale du Canada, Guide d'intervention en cas
d'urgence ou de désastre, 1993, p. 1.H.1. [ retour ]
9. Lois Price, «
Managing a Mould Invasion: Guidelines for Disaster Response », Technical Series
No. 1 - Mould, Conservation Centre for Art and Historic Artifacts, 1994. [ retour ]
10. H.
Szczepanowska et C. Lovett Jr., « A Study of the Removal and Prevention of Fungal Stains
on Paper », Journal of the American Institute for Conservation, vol. 31, 1992,
p. 147-159. [ retour ]
11. N.I. Hendey, «
How Fungi Attack Materials », Science Journal, 1966, p. 43-49. [ retour ]
12. Archives
nationales du Canada, « Précautions à prendre pour lutter contre la contamination par
la moisissure des collections archivistiques et ressources documentaires et immeubles
locaux contaminés », 1996. [ retour ]
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