|
Les listes de passagers
par Glenn Wright, Bibliothèque et Archives Canada
En 1803, le Parlement britannique décrète un ensemble
de lois qui visent à réglementer le transport par bateau des immigrants
vers l'Amérique du Nord. Pour la première fois, le maître
du navire doit préparer une liste des passagers et la déposer au
port d'embarquement. Sur les premières listes apparaissent le nom du chef
de famille ainsi que le nombre d'adultes et d'enfants qui composent la famille.
Pendant plusieurs années, les enfants de un à douze ans comptent
comme demi-adulte, et ceux de moins de un an ne sont pas comptés. Dans
la mesure où la taille du bateau (son tonnage déclaré) détermine le nombre maximum de passagers adultes ou ayant le « statut » d'adulte et la quantité de provisions requises pour la traversée, il est nécessaire et important de disposer de listes exactes.
Au cours du XIXe siècle, les listes se transforment et dès 1860, on enregistre le nom, l'âge, le sexe, l'occupation et l'origine de chacun des passagers. De temps en temps, on modifie le formulaire; ainsi, dans les années 1890, on y inclut la destination prévue des immigrants. Le formulaire lui-même est établit selon la loi, et il incombe aux compagnies maritimes de dresser des listes exactes et de les déposer au port d'arrivée.
La compilation des listes remplit deux fonctions : en premier lieu, les autorités interrogent et examinent les immigrants aux ports d'arrivée, selon les renseignements donnés sur la liste, et déterminent ainsi si leur candidature convient, s'ils sont en bonne santé, et s'ils ont des chances de s'installer avec succès au Canada; en second lieu, les listes servent de fondement à différents rapports statistiques que prépare et publie le gouvernement. Soucieux de disposer, dans la mesure du possible, du maximum d'informations au sujet des nouveaux arrivants, celui-ci utilise ces rapports pour établir des politiques de peuplement et des campagnes publicitaires destinées aux immigrants potentiels.
En 1909, on demande à tous les passagers à destination
du Canada, y compris aux Canadiens qui reviennent de l'étranger, de répondre à un questionnaire sur leur histoire personnelle. Conjugué à l'information contenue dans la liste des passagers, le questionnaire sert à interroger les nouveaux venus et à établir des rapports. Ce « formulaire de déclaration canadien », communément appelé formulaire « de demande de renseignements », est revu et condensé en 1918. Il prend alors le nom de « formulaire 30A », et on l'utilise pour interroger les passagers aux ports d'arrivée. Une copie, envoyée à Ottawa, sert à produire des index. Les voyageurs qui arrivent au Canada par les États-Unis, en empruntant l'un des postes frontaliers à l'intérieur des terres, remplissent un formulaire semblable, le formulaire 30.
On a introduit l'utilisation du formulaire 30A sur les bateaux
au cours de l'année 1919, et jusqu'à la fin de 1920, on compile
à la fois les formulaires et les listes traditionnelles de passagers. En
janvier 1921, on cesse de produire la liste des passagers car des amendements
à la Loi sur l'immigration imposent l'utilisation d'un formulaire
plus étendu. Le gouvernement décide donc que les immigrants seront
interrogés à partir des renseignements portés au formulaire
30A. Au même moment, les commissaires de bord des navires compilent en un
livret un index des noms de passagers. Les autorités pensaient qu'avec
le formulaire 30A, les agents pourraient plus facilement interroger les candidats
à l'immigration, mais la réalité se révèle
autre. L'expérience se poursuit cependant jusqu'en janvier 1925. On adopte
alors un plus grand formulaire inspiré du modèle américain,
connu sous le nom de « Canadian Government Return » (CGR), qui
est utilisé, avec les livres-index, pour procéder à tous
les examens. Ce formulaire a servi à documenter l'arrivée des immigrants
jusqu'au début des années 1950.
La liste des passagers et le formulaire 30A témoignent de l'arrivée des immigrants au Canada, et contiennent des informations personnelles telles que le nom, l'âge, le sexe, l'occupation, la religion, la famille et les intentions exprimées. À l'origine créée pour servir de rapport, cette liste est devenue avec le temps le seul moyen de déterminer la date d'entrée au Canada utilisé au moment de la naturalisation.
Avec l'arrivée d'immigrants non Britanniques de plus en plus nombreux,
cette liste devient capitale, car le nombre d'années passées par
l'immigrant au Canada, information requise pour accéder à la citoyenneté, est calculé à partir de la date d'entrée au pays. Pour de nombreux immigrants, ce document est la seule preuve de leur arrivée, et les autorités du ministère de l'Immigration s'en servent à cette fin. Souvent, on note sur la liste des passagers appropriée, bien des années après son arrivée, la date à laquelle la personne a été naturalisée.
La liste des passagers n'est cependant pas qu'une simple liste
de noms. Elle documente le voyage, événement en soi unique, et nous
indique le nom et la taille du navire, la compagnie maritime, le nom du capitaine,
la date et les ports de départ et d'arrivée. La liste peut aussi
nous renseigner sur d'autres événements survenus durant le voyage,
telles les naissances ou les morts, et occasionnellement, un mariage. Elle comporte
l'identité des immigrants, notamment celle des petits immigrés et
autres groupes particuliers venus au Canada sous l'égide d'une société d'immigration, d'une Église, ou de toute autre organisme de bienfaisance.
La liste des passagers, d'abord conçue pour des motifs administratifs, est devenue un document quasi légal, aussi précieux pour l'immigrant que pour le gouvernement. Depuis, il est une ressource importante pour retracer l'histoire des familles et les généalogies, car c'est le seul document qui témoigne de la migration des peuples partis du Royaume-Uni, d'Europe ou ailleurs pour commencer une nouvelle vie au Canada.
|