Le contexte rural et agricole de l'expérience irlando-canadienne
Cecil Houston
Université de Windsor (Ontario)
L'économie agricole et l'économie fondée sur les ressources a défini la plupart des aspects de l'expérience des Irlandais au Canada. Cela se vérifie tant chez les pêcheurs de Waterford venus à Terre-Neuve au XVIIIe siècle, que chez les enfants nés au pays de pionniers irlandais en Ontario, qui cultivaient les prairies de l'ouest à la fin du XIXe.
Ce sont les besoins de l'empire anglais qui ont ainsi façonné la plupart des peuplements irlandais en campagne : du poisson pour les plantations des Caraïbes, ainsi que du bois et des céréales pour alimenter ou soutenir le commerce, la guerre et les besoins des villes industrielles en expansion. Or, les coupes pour le bois d'œuvre défrichaient des terres qui devenaient ainsi cultivables. Au début de la colonie, les bûcherons étaient donc également fermiers, ce qui perdure encore dans les régions moins propices à l'agriculture.
Véritables partenaires au sein de l'économie impériale, les Irlandais n'occupaient pas plus de place que les autres dans les collectivités rurales du Canada. Leurs marchands étaient des chefs de file en matière d'expansion à l'étranger. Leurs connaissances et leur savoir-faire se classaient parmi les meilleurs. L'expérience de l'Irlande en ce qui a trait à la transplantation de gens et à la colonisation remonte aussi loin que celle de l'Angleterre. Les modèles irlandais pour l'agriculture, les infrastructures communautaires, l'architecture, les vêtements, la transformation industrielle, les outils et tout le reste ont été maintes fois expérimentés dans des contextes pionniers. Les Irlandais, comme leurs pratiques, ont en effet toujours été capables de s'adapter à de nouveaux milieux.
Au Canada, les Irlandais n'étaient pas des paysans centrés sur eux-mêmes, mais bien les artisans d'un commerce moderne fondé sur l'agriculture et les ressources. Dans la majorité des cas, ils disposaient de compétences et d'expériences essentielles, détenaient la technologie requise et comprenaient bien le marché impérial et ses besoins stratégiques. Les émigrants irlandais des zones rurales du Nouveau Monde étaient d'audacieux opportunistes, et non des indigents rejetés par leur patrie.
Les Irlandais ont adapté leur mode de vie à de nombreux environnements. Ils ont amplement cultivé la terre à la bêche dans les milieux maritimes les plus rigoureux, et ont favorisé partout la culture céréalière et l'élevage d'animaux sur les terres plus riches de l'intérieur. Leur réussite relative à titre de fermiers, de bûcherons ou de pêcheurs égalait celle de leurs pendants britanniques, écossais et américains. Ils ont modelé leur production en fonction de contraintes environnementales et commerciales, selon la main-d'œuvre familiale dont ils disposaient. Ils ont adopté les meilleures pratiques là où ils les trouvaient, souvent auprès de compatriotes arrivés avant eux.
Au Canada, les Irlandais ont recréé la familiarité des espaces ruraux irlandais desservis par de petites municipalités. En 1849, par exemple, un dénommé Richard Braithwaite envoie une lettre chez lui dans le comté d'Antrim disant que son village de Cannington, en Ontario, est « un endroit bien vivant. Il y a un moulin et une distillerie, quatre échoppes de marchand, deux écoles et une église anglaise à un demi mille » [traduction]. D'autres villages, similaires à Cannington, étaient catholiques. Les secteurs protestants et catholiques n'étaient pas rares dans les régions rurales. On y connaissait des frictions confessionnelles, mais celles-ci se produisaient dans un contexte qui ne comprenait non pas deux, mais bien plusieurs souches ethniques.
Des chercheurs se sont demandé si les protestants étaient plus prospères que les catholiques, et si les gens du nord réussissaient mieux que ceux du sud. Or, la controverse n'est pas près de s'éteindre sur ce sujet, parce qu'il est impossible de sonder la diversité des facteurs contextuels et personnels qui déterminaient la réussite à l'époque (date d'arrivée, capitaux en mains, durée du séjour, qualité du lot, avantages géographiques, nombre d'enfants et différences d'âge de ces derniers, ambition personnelle, cycles commerciaux, portée des circonstances). Il n'est pas davantage possible de débarrasser les débats de stéréotypes et de discours conçus pour faire en sorte que les Irlandais de toutes origines soient perçus comme différents et moins importants que les autres au sein des entreprises impériales de l'Angleterre. Si l'on veut un jour éliminer ce genre de clichés, il faut espérer compter sur les résultats de travaux effectués à plus ou moins brève échéance.
Traduit par Bibliothèque et Archives Canada
Bibliographie
Cecil Houston est doyen de la faculté des arts et des sciences sociales à l'Université de Windsor, et a été président de l'Association canadienne d'études irlandaises. Il a publié de nombreux textes sur l'histoire et la culture irlandaises au Canada dont, notamment, des ouvrages signés en collaboration avec William J. Smyth.