La politique et les Irlandais de Montréal à l'heure de la rébellion
K. J. James
Université de Guelph (Ontario)
Au début de la colonie, de nombreuses organisations culturelles irlandaises acceptaient autant les catholiques que les protestants; dynamiques, leurs courants politiques étaient loin de reproduire les modèles sociaux et les divisions de la mère patrie. À cette époque, les immigrants ne s'associaient pas exclusivement, aux chapitres tant de l'orientation politique que de l'identité culturelle, à leurs compatriotes de même confession. Après le milieu du XIXe siècle, moment où la culture associative des Irlandais s'est alignée davantage sur des clivages religieux, le « factionnalisme » et les conflits acharnés au sein d'organismes catholiques et protestants se mirent à démentir l'unité de ces populations. L'expérience de la Société Saint-Patrick de Montréal, l'une des institutions les plus anciennes et historiquement riches du Canada irlandais, nous donne un aperçu de cette culture qui, autrefois, allait au-delà du morcellement confessionnel. Même après son rétablissement en organisme exclusivement catholique en 1856, la Société souffrait encore de divisions internes.
Plus qu'un simple véhicule pour la camaraderie et la commémoration (bien que ces dernières fassent partie de ses fonctions), la Société Saint-Patrick a été fondée en 1834 dans un but politique, soit celui de contrer l'émergence du parti des « patriotes » dans le Bas-Canada (lui-même appuyé par un large éventail d'irlando-canadiens). Pour réaliser cette mission, la Société a noué d'importants liens avec d'autres fraternités aux mêmes orientations politiques (comme la Société Saint-Andrew de Montréal) et a vertement critiqué les Canadiens irlandais qui se ralliaient au mouvement opposé (dont plusieurs occupaient une position importante au sein de la Société Saint-Jean-Baptiste).
À chaque commémoration officielle de la Saint-Patrick, les membres tant catholiques que protestants de la Société, en grand apparat et avec une éloquence fleurie, proclamaient leur loyauté commune envers la Couronne. Cette loyauté a été encore plus clairement exprimée dans le cadre des rébellions de 1837 et 1838, quand la Société s'est placée à l'avant-garde du mouvement pour défendre le gouvernement colonial. Des initiatives avaient alors été mises sur pied pour aider les nouveaux immigrants, dans le but ultime de gagner leur allégeance politique. Dans les années 1840, alors que les divisions confessionnelles se précisaient, exacerbées qu'elles étaient par l'arrivée des rescapés de la grande famine, la Société se mit à prendre des nuances de plus en plus « vertes »; c'est ainsi qu'en 1856, sur l'avis du père Patrick Dowd, on la transforma en organisme officiellement catholique.
Le père Dowd était pasteur de l'église Saint-Patrick, fondée à Montréal en 1847 pour desservir la population irlandaise catholique de la région. Si les besoins associatifs de nombreux Irlandais, qu'ils aient été catholiques ou protestants, étaient assouvis par une riche vie de paroisse et de congrégation, il serait faux de présumer qu'ils se privaient de contacts plus larges, surtout en milieu urbain. Le père Dowd, comme bon nombre d'ecclésiastiques, assurait la promotion active d'organisations sociales issues des activités de son église; il a notamment soutenu la Saint Patrick Temperance Society, fondée en 1850, de même que l'orphelinat Saint-Patrick, qui a ouvert ses portes en 1851. Or, en parrainant ces organismes, le père Dowd insistait sur leur indépendance, non seulement des réseaux associatifs protestants, mais également des institutions catholiques françaises, illustrant le fait qu'en Amérique du Nord britannique, l'Église catholique comprenait de nombreux groupes ethniques, qui vivaient souvent en équilibre fragile.
Toutefois, les autorités religieuses -- même celles aussi énergiques et populaires que le père Dowd -- ne pouvaient taire les conflits de plus en plus virulents au sein de la Société Saint-Patrick après 1856. Même dans sa phase catholique, la Société était en effet divisée par un intense factionnalisme, qu'on peut notamment constater en examinant les efforts du père Dowd pour en expulser les sympathisants « Fenians » au cours des années 1860. L'histoire de cet organisme témoigne des faiblesses d'un examen des dynamiques intercommunales dans le Canada irlandais purement axé sur les divergences entre catholiques et protestants. Les habitudes associatives des Irlandais en contexte urbain étaient riches et variées, et ne se prêtaient pas à de simples généralisations; elles exigaient plutôt une analyse des identités, des loyautés et des antagonismes qui définissaient leurs vies politique, sociale et culturelle.
Traduit par Bibliothèque et Archives Canada
Bibliographie
K. J. James est professeur adjoint au département d'histoire de l'Université de Guelph. Il a signé des articles dans les publications Canadian Journal of Irish Studies, Saothar, Scottish Economic and Social History, Textile History et Labour History Review, et a également fait plusieurs dons à diverses collections portant sur l'histoire irlandaise et écossaise.