Points de vue sur la guerre |
Traduction libre de la transcription fournie par Bibliothèque et Archives Canada.
Entrevue avec Vick Lewis : 4e Bataillon
Extrait de transcription, 7 minutes, 15 secondes
R. Je peux dire… on dit qu'on s'en va se battre. Cela a une résonance particulière. On ne va pas se battre. Pour cela, il faudrait que l'on soit en colère. L'entraînement à l'armée est très particulier. On nous enseigne la guerre, alors que les gens utilisent le terme « se battre ». Les soldats apprennent à faire ceci ou cela, selon l'opportunité du moment. On se bat en effet, mais pas dans le sens qu'on donne à ce mot aujourd'hui. Mettons qu'on va faire son travail. Les gens pensent que notre travail consiste à tuer des gens, mais ce n'est pas ainsi que ça se passe; d'une façon ou d'une autre, on n'a pas à l'esprit qu'on va là pour tuer d'autres hommes. À cause de l'entraînement ou pour toute autre raison, faire ce travail devient une seconde nature. Il arrive que le travail consiste à tuer un autre homme, mais on n'en a pas conscience comme tel. On accomplit avant tout son travail. C'est particulier, quand on y réfléchit. Maintenant, dans la vie civile, on ne tient pas compte de la formation militaire reçue. Alors on y pense à deux fois avant de partir et de tirer sur quelqu'un, ou de lui planter un couteau, ou d'agir de façon semblable. En réalité, c'est ce qu'on va faire, mais c'est comme une seconde nature, car on est seulement entraîné à faire son travail. On ne nous a pas mis à l'esprit qu'on s'en va pour tuer. C'est un mot qu'on n'utilise pas. Pendant la guerre, on voit la mort tout autour de soi, et on s'endurcit.
Q. Vous rappelez-vous la première fois que vous vous êtes retrouvé sous le tir ennemi?
R. La première fois… c'est étrange que les gens demandent : « Pourquoi les hommes, après leur retour, n'évoquent-ils que les aspects amusants de la vie? » La première fois que nous nous sommes trouvés sous un tir d'obus, nous traversions un village, dans les Flandres. Les rues des villages sont pavées, et ce jour-là circulaient des chariots de ferme à grandes roues particuliers à cette contrée, tirés par des chevaux, des mulets ou même des vaches, qui faisaient un bruit particulier, celui des roues sur le pavé. On a cru entendre le bruit de quelques chariots passant sur les pavés. N'ayant jamais été témoin d'un feu d'artillerie, nous n'avons pas compris qu'il s'agissait d'obus allemands. Il y avait dans ce village une horloge que nous avons dépassée, nous avons regardé autour de nous, et un obus est tombé directement sur l'horloge. Nous nous apprêtions à y aller, mais une unité britannique est sortie de là. Les hommes avaient été pris sous le feu, et dès qu'ils ont entendu le bruit qu'on avait pris pour des véhicules circulant sur le pavé, ils se sont tous précipités dans le fossé. Nous ne l'avons pas fait, par pure ignorance, mais ces Anglais ont eu certainement beaucoup de respect pour nous. « Blimey, regarde ces fous, ils n'ont pas tenu compte de cet obus. » Ils nous ont cru braves, mais nous ne l'étions pas plus qu'eux. Après avoir fait l'expérience d'un obus, nous nous sommes précipités dans le fossé aussi vite que les autres, mais c'est une réalité bien particulière : on n'entend pas l'obus qui nous atteint.
Q. Avez-vous été déjà témoin d'un acte de bravoure? Tout le monde dit qu'il y a de nombreux actes de bravoure, mais avez-vous déjà vu quelque chose qui vous a paru très courageux? Quelqu'un a-t-il déjà fait acte de courage dont vous ayez été témoin?
R. C'est une question à laquelle il est particulièrement difficile de répondre. « Qu'est-ce que le courage? » Parlez à quiconque a été décoré de la Croix de Victoria, et il vous dira qu'il mourait de peur. Le courage n'est pas une réalité qu'on peut cerner.
Q. Vous ne le reconnaissez pas en vous, c'est certain, mais le voyez-vous chez quelqu'un d'autre?
R. On ne le voit pas plus chez soi que chez les autres lorsqu'on se trouve en un lieu où quelqu'un pose un geste. C'est une seconde nature, ou un bon entraînement. Mais en rétrospective, on le considère un acte remarquable. On ne peut cependant pas indiquer avec précision des choses de cette nature. Toute chose, en un sens… qu'est-ce que le courage? Un homme qui se tient debout sous un feu d'artillerie et qui ne craque pas.
Q. Ou encore, on peut avoir si peur qu'on fait acte de courage.
R. Oui, mais d'autre part, un homme peut se tenir debout sous un feu d'artillerie et on dit : « N'y prêtez pas attention, il n'a pas peur, il est courageux, il est debout là et prend tout ce qu'il reçoit sans broncher; il est prêt à empêcher l'autre de venir. » Celui qui accomplit une action remarquable, sauver quelqu'un ou autre, le fait parce que c'est sa seconde nature. En réalité, il n'est pas courageux, il a fait ce qu'il a cru bon de faire, soit parce qu'il y a été entraîné, ou de son propre chef. On voit la même chose là, un cheval s'enfuit, et quelqu'un se précipite et accroche la ligne. Vous direz que l'homme est courageux, mais il ne l'a pas fait pour être courageux ni devenir un héros, quelque chose devait être fait et il était là pour le faire. Nous étions soldats, nous avions un travail à faire. Nous étions tous courageux. Le plus remarquable s'est classé comme héros, et d'ordinaire, celui qui reçoit la Croix de Victoria est mort. Très peu ont réussi cet exploit. Ce n'est pas comme l'armée américaine qui distribue ses médailles par pelletées.