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La Compo Company LimitedCompagnie spécialisée dans le pressage, la production et la distribution de disques et de produits dérivés (transcriptions radio, cylindres pour dictaphones)
Historique de la formationEmile Berliner (1851-1929) a obtenu en 1897 le brevet canadien sur la gravure latérale. La période d'exclusivité de vingt ans allait prendre fin en 1917 et il était évident que plusieurs compagnies américaines allaient mettre sur le marché canadien des disques à gravure latérale. La famille Berliner possédait à Montréal depuis le début du siècle la plus importante usine de pressage de disques au Canada. Son âme dirigeante, Herbert Samuel Berliner (1882-1966), fils aîné d'Emile Berliner, croyait que l'entreprise familiale pouvait desservir adéquatement cette nouvelle clientèle. Mais la Berliner Gram-o-phone n'avait eu jusque-là qu'un seul client, la Victor Talking Machine de Camden (New Jersey), la plus importante compagnie de disques au monde. Emile Berliner avait participé à sa fondation, avec son ami Eldridge Reeves Johnson (1867-1934) en 1901, et la Berliner Gram-o-phone de Montréal était devenue le presseur et le distributeur exclusif des produits Victor au Canada. Victor et Columbia se partageaient aux États-Unis le brevet de la gravure latérale, brevet dont la période de protection dans ce pays allait prendre fin en 1922… théoriquement. Car plusieurs petites compagnies (Emerson, Gennett, Brunswick, Okeh) commençaient déjà à contester ouvertement la validité de ce brevet conjoint. Forts de leur situation de quasi-monopole, Victor et Columbia avaient gardé élevés les prix des disques. L'apparition de ces nouveaux concurrents risquait de provoquer une guerre de prix (ce qui arriva effectivement au début des années 1920). Il n'était donc pas question que Victor ou l'un de ses partenaires aide ces nouveaux rivaux de quelque façon que ce soit.
Mais Herbert Berliner n'allait pas pour autant laisser passer cette occasion d'affaires. À l'automne de 1918, il installe quelques presses excédentaires de la BGC dans un atelier au 131, 18e Avenue, à Lachine (maintenant un arrondissement de Montréal). Il signe un bail de cinq ans et fonde la Compo Company Limited (on n'a jamais su la signification de ce nom). Au début de 1919, il fait paraître des publicités qui présentent Compo comme « la première usine canadienne indépendante de pressage de disques ». S'adressant manifestement à des clients américains, il leur fait valoir qu'ils peuvent réduire substantiellement leurs frais de douane sur les produits importés en faisant presser leurs disques au Canada. Ils n'ont qu'à fournir la matrice, Compo s'occupe du reste.
Les deux premiers clients de Compo étaient déjà actifs au Canada. La Pollock Manufacturing Company de Berlin (Kitchener), en Ontario, distribuait au Canada depuis 1914 les disques à gravure verticale des compagnies européennes Odeon, Fonotipia et Jumbo. Au printemps de 1918, Arthur B. Pollock signe une entente avec la Otto Heineman Phonograph Supply de New York et fonde, en mai, la Phonola Company of Canada. Compo obtient, au début de 1919, le contrat de pressage des nouveaux Phonola à gravure latérale. Quelques mois plus tard, Compo signe sa première entente d'importance avec la Starr Company of Canada, filiale de la Starr Piano Company de Richmond (Indiana), pour le pressage de disques à gravure latérale de marque Gennett à partir de matrices américaines. Le président canadien de Starr, Wilfred D. Stevenson, charge le gérant général Roméo Beaudry (1882-1932) du développement du marché francophone.
Pendant ce temps, Herbert Berliner lance deux séries His Master's Voice, l'une anglophone (216000) et l'autre francophone (263000), qui prennent tellement d'ampleur que l'usine Berliner de Montréal ne presse presque plus de disques Victor. La compagnie américaine exerce des pressions qui engendrent un conflit interne dans la famille Berliner. En mars 1921, Herbert démissionne de son poste de vice-président, amenant avec lui chez Compo Thomas Nash 1, gérant général de His Master's Voice, Reginald Chilvers, gérant des ventes, Daniel St. Eve, directeur de l'usine de pressage, Elmer Avery, ingénieur du son, et Henri Miro, directeur musical. Que tous ces cadres de haut niveau quittent spontanément la plus importante compagnie de disques au Canada pour plonger dans l'aventure de Compo illustre de façon éloquente le degré de loyauté que suscitait Herbert Berliner chez ses collaborateurs. La Sun/Compo
Sans perdre de temps, l'aîné des Berliner lance la nouvelle étiquette Sun, qui a son siège social au 210, rue Adelaide Ouest, à Toronto. Thomas Nash, qui avait mis sur pied le formidable réseau HMV au Canada, en prend la direction et commence à mettre en place la Canada Sales Limited, compagnie qui assurera la distribution des produits de Compo. Il conclut une entente avec la compagnie américaine Okeh pour faire paraître ses enregistrements au Canada sur étiquette Sun. John McWilliams assure la gérance de l'usine de Compo à Lachine, tandis que Reginald Chilvers s'occupe du marketing. Durant l'été, HS Berliner établit un studio d'enregistrement à Montréal au 117, rue Metcalfe, et lance en juillet l'étiquette Apex. En avril 1922, Compo obtient une nouvelle charte qui lui permet d'œuvrer « dans tout le Dominion ». Le nouveau bureau de direction se compose comme suit : Herbert S. Berliner, président; Thomas Nash, vice-président; J. Olmstead, secrétaire; John McWilliams, trésorier; Fred Friedberg, Elmer Avery et Daniel St. Ive, directeurs. La production anglophoneLa production anglophone de Compo est essentiellement concentrée dans les années 1920. La compagnie crée quatre étiquettes : Sun, Apex, Ajax et Radia-Tone. Pendant les quelques mois de son existence comme étiquette de disques, Sun ne fait paraître que des enregistrements étrangers. La présence canadienne sur Apex est beaucoup plus importante. La série 500 (environ 300 parutions entre 1921 et 1925) offre notamment des enregistrements de Ben Hokea, de Harry Thomas, de Willie Eckstein, d'Henri Miro, d'Ernest-Gill Plamondon, d'Al Edward, de Placide Morency, de Joseph Beaulieu, de Ruthven McDonald, de Vera Guilaroff et de l'Adanac Quartet. La série Apex Electrophonic 26000 (environ 155 parutions entre 1925 et 1930) comprend notamment des enregistrements de Willie Eckstein et de Léo Lesieur. Voulant capitaliser sur les marchés ethniques, Compo lance, en septembre 1923, l'étiquette Ajax destinée au marché « de couleur » américain. Louant un studio au 240, 55e Rue Ouest, à New York, la compagnie enregistre quelques musiciens de jazz, dont la chanteuse Mamie Smith, l'orchestre de Fletcher Henderson et le pianiste ontarien Lou Hooper. Ajax enregistre également à Montréal le Chicago Novelty Orchestra et son pianiste et leader, Millard Thomas. L'entreprise n'est pas couronnée du succès espéré et, moins d'un an plus tard, Ajax offre des enregistrements d'artistes blancs dans un effort ultime pour sauver l'étiquette, qui disparaîtra finalement à l'été 1925 après 135 productions.
Herbert Berliner s'intéresse beaucoup à la radio. Il organise des diffusions de musique enregistrée (par HMV évidemment) sur les ondes de la station CFCF de Montréal dès décembre 1920 2. Croyant qu'il pouvait y avoir un marché pour des émissions de radio gravées sur disque, il crée la série Radia-Tone 2500. Il y fait paraître à l'automne de 1925 des extraits d'un service religieux tenu à l'American Presbyterian Church de Montréal et d'un discours de Mackenzie King, alors premier ministre du Canada. Il semble à peu près certain que l'Apex Record de Boston, qui distribuait en Nouvelle-Angleterre (1922-1926) les disques de Compo, appartenait à Herbert Berliner, lui-même né en banlieue de Boston. C'est Columbia Phonograph de New York qui assure cette distribution, avec sa série 34000F, de 1926 à 1932. Les bureaux de Sun à Toronto ferment en 1930 et la production anglophone originale cesse chez Compo. Il arrive assez souvent que, parmi les productions étrangères, de nombreuses étiquettes pressées par Compo au fil des ans se glissent des productions originales de Compo. Malheureusement, le fait n'est que rarement indiqué et les noms des artistes sont souvent remplacés par des pseudonymes. Une étude plus détaillée pourrait peut-être permettre d'identifier les artistes canadiens. La production francophoneCompo constitue la compagnie la plus active dans le secteur francophone au Canada pendant plus de 50 ans. Dès 1920, Roméo Beaudry met sur pied la filiale Starr Phonograph Company of Quebec 3 et lance la série Starr 11000 qui ne comprend au départ que des artistes québécois (Pellerin, Germain, Lapierre…). Mais à la suite d'un voyage en France à l'été 1920, Beaudry inclut des artistes français à cette série. Il est à peu près certain que Beaudry utilise les studios de la Berliner Gram-o-phone pour enregistrer ses artistes francophones de Starr. Lorsque Herbert Berliner ouvre les nouveaux studios de Compo au 117, rue Metcalfe, Beaudry y transporte ses artistes et crée alors la série 12000, qui devient 15000 avec les premiers enregistrements électriques. Si l'on ajoute à ces séries les enregistrements classiques de la série 18000, les disques pour enfants de la série Mignon et les rééditions « double longueur », Compo aura édité plus de 2500 disques francophones entre 1920 et 1959! On y trouve les plus grands noms du folklore (Mary Bolduc, Ovila Légaré, Eugène Daigneault, Charles Marchand, Isidore Soucy, Alfred Montmarquette, Tommy Duchesne…), de l'art lyrique (Rodolphe Plamondon, Lionel Daunais, Placide Morency, Hercule Lavoie…), de la chanson populaire (Hector Pellerin, Hervey Germain, Albert Marier, Roméo Mousseau, Fernand Perron, Ludovic Huot, Lionel Parent, Jacques Aubert) et du country (Marcel Martel, le soldat Lebrun).
Lorsque la Starr Phonograph of Canada quitte le domaine du disque en 1925, l'étiquette Starr est rachetée par Compo, probablement en partenariat avec Roméo Beaudry. Après le décès de celui-ci en mai 1932, Compo semble être devenu le seul propriétaire. Malgré d'énormes difficultés causées par la crise de 1929, Compo ne cesse en aucun moment de produire du nouveau matériel. Mais la production, qui dépassait deux disques par semaine en 1930, tombe à un disque par mois en 1933 et 1934! Avec RCA Victor du Canada, Compo est la seule compagnie de disques canadienne à survivre à la crise économique de 1929. Mais pour ce faire, elle utilise ses installations d'enregistrements pour réaliser des transcriptions d'émissions de radio 4 et des cylindres pour les dictaphones. Après quelques modifications, l'usine de Lachine presse même des tuiles pour les planchers! En 1934, Herbert Berliner aurait pu acheter pour seulement 75 000 $ le catalogue de Columbia, alors en faillite, mais lui-même aux prises avec des difficultés financières, il ne peut trouver la somme demandée. En 1935, Herbert Berliner signe un important contrat de pressage avec Decca (États-Unis), contrat qui remet sa compagnie de Lachine sur le chemin de la rentabilité. Probablement au début des années 1940, Compo emménage dans des locaux beaucoup plus vastes au 2377, rue Remembrance (près de la 24e Avenue, à Lachine). Decca deviendra presque le seul client de Compo jusqu'à la fin des années 1940, alors que de nombreuses petites compagnies font leur apparition au Canada et aux États-Unis. Compo presse alors certaines étiquettes comme Varsity, Tempo et Gavotte, bien que nous ne sachions pas si la compagnie de Lachine s'occupe également de la distribution. Compo presse également des disques pour d'autres compagnies sans que le fait soit toujours indiqué sur les disques. Dans les années 1950, Compo presse de plus en plus de disques de compagnies américaines -- plus de 25 dans les années 1960, comprenant Warner Brothers, Cadence, Roulette et United Artists. En 1951, se croyant atteint d'un cancer, Herbert Berliner vend sa compagnie à Decca; celle-ci fait disparaître l'étiquette Starr pour la remplacer par l'étiquette Apex français, mais sans changer la séquence de la série alors en cours. En 1956, on crée la série Apex 13000 qui servait au début à éditer au Canada des productions francophones des filiales de Decca en Europe. Le producteur Yvan Dufresne prend charge du secteur « Variétés » en 1956 et lui donne une expansion impressionnante. Il met sous contrat, au fil des ans, Michel Louvain, Pierre Lalonde, Ginette Reno, Donald Lautrec, Jenny Rock, les Hou-Lops et plusieurs des plus grandes vedettes francophones de l'époque. À compter de 1960, Compo édite, sous l'étiquette Carnaval, plus de 120 microsillons comprenant des enregistrements des catalogues Starr et Apex. En 1963, Compo passe aux mains de Music Corporation of America (MCA) lorsque cette compagnie achète les actifs de Decca. Les nouveaux propriétaires ouvrent une deuxième usine de pressage au 3400, Montreal Road, à Cornwall (Ontario). Entre 1966 et 1970, MCA édite, sous l'étiquette Lero, près de 80 albums du catalogue Apex français des années 1960 et des enregistrements réalisés en Europe. MCA met fin à la production francophone d'Apex en 1970 et ferme l'usine de Lachine. De nouvelles rééditions d'enregistrements du catalogue Starr paraissent sous l'étiquette MCA/Coral sur disques vinyles dans les années 1970, cassettes 4 pistes dans les années 1980 et disques audionumériques dans les années 1990. MCA ferme l'usine de pressage de Cornwall en 1976. Le 1er janvier 1991, MCA est vendu au géant japonais de l'électronique Matsushita Electric Industrial Company Limited. En 1995, Edgar Bronfman se porte acquéreur de 80 pour 100 des actions de MCA et l'intègre aux Universal Studios l'année suivante. En 2001, Universal fusionne avec le géant français du divertissement Vivandi pour former Vivandi-Universal. La pressage et distributionBien que ses activités de production d'enregistrements canadiens soient constantes de 1919 à 1970, Compo tire la plus grande partie de ses revenus de ses activités de pressage et de distribution. Voici une liste des principaux clients de Compo entre 1919 et 1950 :
Compo presse également les disques de clients occasionnels, tels Hectrola, Hydrola, Operaphone, Canadian Music Lovers Library, Famous Artists (vers 1932), Tempo et Gavotte (pour l'éditeur Gordon V. Thompson), en plus de disques privés pour des particuliers et des groupes religieux, commerciaux, politiques et autres. Du début des années 1930 jusqu'à 1960, Compo produit également des disques destinés à la radio. On y trouve des messages publicitaires, religieux, politiques ou autres, des effets sonores, des indicatifs et tout ce qui doit être diffusé fréquemment sur les ondes. Entre 1924 et 1927, la compagnie de Lachine presse même des disques sous diverses étiquettes, dont Palings, Leonora et Beeda, pour des compagnies de Nouvelle-Zélande et d'Australie! Sous l'étiquette Apex, Compo met en marché les séries 8000 (1923-1929) et 41000 (1929-1932) qui reproduisent des enregistrements provenant des compagnies américaines Plaza, Olympic, Emerson, Paramount et du groupe American Record Company, avec quelques sélections produites par Compo. Ces disques ne mentionnent presque jamais la source et il arrive fréquemment que les noms des artistes originaux soient changés. Herbert S. Berliner, le père de l'industrie du disque au CanadaL'histoire de Compo est avant tout celle d'Herbert Samuel Berliner. Reconnu dès son jeune âge comme un spécialiste de l'enregistrement sonore, Herbert Berliner a réalisé les premiers enregistrements au Canada avec des artistes locaux chez Berliner en 1903, a mis sur pied le formidable réseau de distribution His Master's Voice à travers le Canada et a créé les séries HMV 216000 et HMV 263000 qui mettent de l'avant des artistes canadiens. Il s'intéresse à l'enregistrement électrique dès le début des années 1920 et lance au Canada les premiers disques enregistrés avec ce système avant Columbia et Victor. Dès 1929, il réalise des enregistrements expérimentaux à 33 1/3 RPM. Compo presse dès 1944 des disques en vinylite, substance que Columbia utilisera quatre ans plus tard pour ses nouveaux microsillons. Herbert Berliner est tout au long de sa vie un innovateur et un visionnaire. R.S. Chislett, gérant général de Compo pendant 35 ans, a dit de lui : « C'était un homme très très dévoué. Les disques étaient toute sa vie, et je ne parle pas ici de l'aspect monétaire, mais du simple fait de produire les meilleurs disques possible 5. » Herbert Berliner a presque 70 ans lorsqu'il vend sa compagnie à Decca. Mais lorsqu'il découvre qu'il n'est effectivement pas atteint du cancer, il regrette amèrement cette vente. Il demeure malgré tout attaché à Compo jusqu'à son décès en 1966, mais il devient aigri et solitaire. Triste fin pour celui qui doit être considéré, à juste titre, comme le père de l'industrie du disque au Canada. Un certain nombre de matrices de Compo ainsi que les registres des sessions d'enregistrements (y compris les dates) sont conservés à la Bibliothèque et Archves Canada. Robert Thérien, chercheur en musique, Montréal ![]() Références1. Canadian Music Trades Journal, avril 1921, p. 92. 2. « Montreal Men Hear Phonograph Programme by Wireless Telephone » 3. La compagnie a ses bureaux au 1600, boulevard Saint-Laurent, à Montréal, dès sa fondation en 1920, puis elle emménage au 1200, rue Amherst, à Montréal. 4. Canadian Music Trades Journal, avril 1932, p. 19. 5. « He was a very, very dedicated man. Records were his whole life. And by that, I don't mean the business of making money- I mean the act of producing records themselves. » A Hundred Years of Recorded Sound, 1877-1977, Toronto, Ihor Todoruk, 1977, p. 4. |