Nouveaux médias, mêmes sensations
L'influence des romans en fascicules sur la culture actuelle
En adoptant la Loi Fulton en 1949, le gouvernement a interdit les sujets exploités dans les romans en fascicules. À l'aube des années 1950, ces publications avaient fait place à des médias plus dynamiques, soit le cinéma et la télévision. Les pages jaunissantes et les titres criards avaient disparu, et les romans en fascicules sombraient dans l'oubli collectif.
Néanmoins, les éléments à l'origine de leur grande popularité ont subsisté dans d'autres formes de divertissement. Les tendances sensationnalistes qui ont animé les romans en fascicules se retrouvent aujourd'hui dans les journaux et les émissions de télévision à sensation, qui attirent les lecteurs en leur promettant des détails sordides de crimes scandaleux et des drames tirés de la vie amoureuse de leurs vedettes préférées.
Les éditeurs de romans d'amour de poche sont les fournisseurs modernes des histoires d'amour vouées à l'échec ou invraisemblables qui garnissaient autrefois les pages des romans en fascicules. Ce lien de descendance s'établit assez directement au Canada, où l'entreprise Harlequin, probablement le plus important éditeur de romans d'amour au monde, a acheté les ouvrages de certains éditeurs de romans en fascicules comme Bouregy and Curl Inc.
Bien que les magazines d'intrigues policières et de confessions n'occupent plus une place prédominante sur les rayons, une visite dans une boutique spécialisée permet de constater que de tels périodiques existent toujours. En dépit des dispositions du Code criminel, leur contenu est plus cru et plus explicite que tout ce que les éditeurs de romans en fascicules auraient rêvé de publier. De plus, on publie encore des livres sur des criminels notoires tels que Stephen Reid, ancien chef du groupe de voleurs de banques Stopwatch Gang (Strange et Loo, 2004, p. 102) et les groupes de motards Hells Angels et Rock Machine. Le récit d'un roman récent de Margaret Atwood, The Blind Assassin, est modelé en grande partie sur le roman en fascicules.
Les histoires policières fondées sur des faits vécus font une transition facile de l'écrit au petit écran. Tandis que les romans en fascicules étaient autrefois le médium par excellence pour ce type d'histoires, les Canadiens d'aujourd'hui préfèrent suivre les crimes tels qu'ils sont racontés dans les téléfilms, notamment les productions de Radio-Canada Les garçons de St-Vincent, Butterbox Babies, The Helen Betty Osborne Story, The David Milgaard Story et Love and Hate (Strange et Loo, 2004, p. 99). Tout comme les scénaristes de ces films, les auteurs de séries télévisées telles que Blue Murder, Cold Squad et DaVinci's Inquest s'inspirent tous d'histoires qui ont fait les manchettes pour écrire leurs scénarios. Enfin, la version moderne des gendarmes de la police montée qui tenaient la vedette des romans en fascicules « nordiques » est personnifiée par nul autre que le constable Benton Frasier de la série télévisée Due South.
Au-delà du petit écran, l'héritage laissé par les romans en fascicules se manifeste dans les films d'horreur canadiens à petit budget, tels que Frissons (Shivers), Rage (Rabid), Cannibal Girls, Black Christmas, Le bal de l'horreur (Prom Night), Scanners et, plus récemment, la série Ginger Snaps. Sans avoir recours à de grandes vedettes du cinéma ni consacrer d'énormes sommes à la promotion, ces films misent sur des images effrayantes et des sujets percutants, tout comme les romans en fascicules, pour attirer le public. Toutefois, le film qui semble avoir été influencé le plus directement par les fascicules est certainement Crime Wave (1985), du réalisateur et scénariste John Paiz, qui raconte les aventures d'un jeune homme dont le rêve est de devenir auteur de romans policiers en images. Que l'on observe son décor idéalisé, typique des années 1950, ou son affiche peinte (qui ressemble d'ailleurs à une couverture de fascicule), on constate que Crime Wave est entièrement imprégné du style des romans en fascicules. www.angelfire.com/movies/CrimeWave/
En somme, l'influence des romans en fascicules est aussi forte dans les livres, les émissions de télévision et les films d'aujourd'hui qu'elle l'a été dans la vie des lecteurs qui s'évadaient dans un autre univers pour 15 cents… un univers fait de papier à bon marché et d'histoires fantastiques à faire rêver à rabais.
Référence
Strange, Carolyn, et Tina Loo. True Crime, True North: the Golden Age of Canadian Pulp Magazines, Vancouver, Raincoast Books, 2004.