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Le rapatriement
par Angèle Alain et Sylvie Tremblay, Bibliothèque
et Archives Canada
Le mouvement de rapatriement, dirigé par les gouvernements du Québec et du Canada, provoque une remise en question de l'identité canadienne-française. Était-il possible de vivre en Nouvelle-Angleterre et de conserver sa culture d'origine? Pour les gouvernements, la réponse est évidente et incontestable. Leurs agents de rapatriement, le clergé et même les journaux francophones inculquent aux émigrés un message teinté d'urgence : la majorité canadienne-française doit retourner au Canada ou risquer de perdre sa culture, son mode de vie et sa religion. L'Amérique, d'après ceux-ci, véhiculent une morale de vie corrompue et infernale qui arrachera aux Canadiens français leur identité.
Pour les émigrés, le retour au Canada n'est pas des plus facile. La décision est d'autant plus difficile à prendre que le mouvement de rapatriement au Canada va de pair avec une campagne de retour à la terre; si les « exilés » tiennent à leur héritage canadien-français, ils apprécient néanmoins les salaires et le mode de vie plus souple que leur offrent les États-Unis. En fait, un grand nombre de ceux qui reviennent au Canada pour s'installer sur une terre abandonnent rapidement et traversent de nouveau la frontière. Dans une lettre à un agent de rapatriement, un agent de colonisation de Sherbrooke mentionne qu'il « voit qu'ils [les colons] regrettent un peu les oignons d'Égypte. Bûcher du matin au soir, vivre au lard, à la soupe aux pois, c'est si dur pour des gens habitués à weaver et à spinner et dont l'estomac ne digère que des puddings et des bostons-crackers depuis des années. » (Roby, p.10). Il semble que pour ces derniers, l'identité canadienne-française ne soit guère rattachée à la terre, à un mode de vie ou même à une patrie.
D'ailleurs, pendant la période la plus intense de l'exode
des Canadiens français, dans les années 1880, ces derniers se regroupent davantage
et tentent de recréer des « Petits Canada » avec leurs églises,
écoles, hôpitaux et journaux catholiques français. Plusieurs, parmi l'élite canadienne,
s'interrogent alors sur leur perception de l'émigration vers le sud, et choisissent
de prôner la naturalisation afin d'assurer la survie de la nationalité aux États-unis.
Le curé Labelle lui-même avoue que, « malgré les plus vifs désirs de
voir réaliser [le projet de rapatriement…] j'en suis venu à la conclusion […]
que ce mouvement ne pouvait pas se faire avec le succès que j'avais rêvé »
(Labelle, p. 17). Même Ferdinand Gagnon, agent du gouvernement du Québec et fervent
défenseur du rapatriement, devient citoyen américain en octobre 1882.
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