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Le rapatriement
par Angèle Alain et Sylvie Tremblay, Bibliothèque
et Archives Canada
Dès 1839, Lord Durham déclare dans son rapport que le plus grand défi auquel doit faire face le Canada n'est pas les rébellions ou les invasions étrangères, mais « l'achèvement de la triste oeuvre de dépeuplement et d'appauvrissement qui se poursuit rapidement » (Lavoie, p. 13). Au cours des 20 années suivantes, la situation s'aggrave tellement qu'en 1857, l'Assemblée générale de la Province du Canada publie un rapport à la suite d'une enquête spéciale sur l'émigration depuis le Bas-Canada, qui affirme qu'un « exode de cette ampleur, sans cause légitime, doit nécessairement être la conséquence d'un grave dysfonctionnement, qu'il revient à la société de détecter et, si possible, de résoudre, par l'application de remèdes opportuns ». Les remèdes ne fonctionnent guère, semble-t-il, puisque l'exode vers les États-Unis se poursuit et atteint son apogée dans les années 1880 (150 000 âmes contre 80 000 dans les années 1910).
En 1888, le curé Antoine Labelle, sous-commissaire au département de l'Agriculture et de la Colonisation du Québec, soutient que les Canadiens français vivant aux États-Unis peuvent être classés en trois catégories : les riches, ceux qui sont nés aux États-Unis, et les cultivateurs qui pleurent leur ancienne patrie. Quoique le retour des deux premières catégories d'émigrants soit bien reçu, les gouvernements québécois et canadien se concentrent sur la troisième « classe » de Canadiens français, puisque cette dernière éprouve des sentiments patriotiques envers le Canada.
Les gouvernements lancent une vaste propagande à coup de campagnes publicitaires et par l'intermédiaire d'agents de Le rapatriement. Persuadés qu'après des années de travail en manufacture, les immigrants sont ouverts au changement, les gouvernements envoient des agents de Le rapatriement dans les régions où sont installés les Canadiens français. Offrant l'aide financière du gouvernement et aidés par le clergé local, ils tentent de convaincre les immigrants en leur rappelant les avantages d'une vie à la campagne canadienne et, souvent, en les culpabilisant de tourner le dos à leur patrie. Cette stratégie se révèle peu efficace; les gouvernements se tournent donc vers la conquête du territoire, en développant des régions dans l'est (Rimouski, Matane, Gaspé) et le nord (Saguenay, Abitibi) du Québec et dans l'Ouest canadien. Toutefois, « les rigueurs de la vie industrielle, loin de […] faire regretter l'agriculture aux colons, avaient changé leurs habitudes de travail et leurs goûts » (Ramirez, p. 94). Les gouvernements doivent alors accepter de modifier leur message de propagande pour inclure le commerce et l'industrie dans le développement des nouvelles régions.
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