Sophie Hoerner est née à Montréal le 21 août 1877 et a suivi sa formation à l'Université McGill. Elle commence son service au début de 1915 à l'Hôpital général canadien no 1, puis elle travaille à l'Hôpital général canadien no 3. Elle devient ensuite responsable du bien-être des infirmières, puis infirmière en chef adjointe au poste d'évacuation sanitaire no 3.
Le fonds Sophie Hoerner que détient Bibliothèque et Archives Canada comprend une collection de lettres qui fournissent des renseignements sur la première année de service de Sophie au sein de l'Hôpital général canadien no 1, dans le nord de la France. Ces lettres, qu'elle a envoyées à sa famille et à ses amis, ont été écrites entre le 12 mai 1915 et le mois de juin 1916.
Les paragraphes suivants reposent sur des extraits des lettres de Sophie; ils donnent un aperçu de ce qu'elle a vécu pendant la guerre en reprenant ses propres mots. Les lettres sont en anglais, mais les extraits ont été traduits.
« Il y a presque une semaine que j'ai quitté la maison. »
(Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 12 mai 1915, p. 1)
Sophie quitte le Canada pour l'Europe en mai 1915 avec l'équipe de l'Hôpital général canadien no 1, qui fait partie du premier contingent. Celui-ci compte 104 infirmières de McGill, de Laval et de Kingston. Elle est envoyée avec l'équipe de l'hôpital dans le nord de la France, tout près d'Étaples.
Dans ses premières lettres à ses proches, Sophie décrit le voyage à bord du vapeur Metagama. Ces lettres donnent une idée de ses occupations quotidiennes avant qu'elle ne commence son service actif. Elle écrit : « Je vous assure, c'est excitant. Je ressens toutes sortes d'émotions et j'ai des papillons dans le ventre. » (Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 12 mai 1915, p. 1)
En plus de souffrir du mal de mer et de problèmes liés à l'entassement, les passagers du navire doivent faire face à la menace constante des sous-marins ennemis. Les bateaux de croisière et autres navires de guerre britanniques qui les suivent souvent leur rappellent continuellement la présence de cette menace. Lorsque les passagers apprennent que le Lusitania a fait naufrage, Sophie écrit que cette nouvelle les a « fait réfléchir énormément ». (Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 12 mai 1915, p. 2)
« Nous sommes maintenant comme des machines. Il est interdit de raisonner par nous-même. »
(Lettre de Sophie Hoerner à sa mère, 16 mai 1915, p. 4)
Involontairement, Sophie traite dans ses lettres de la nécessité de s'adapter à la vie militaire. Comme les infirmières sont formées pour le travail civil, la plupart de celles qui entrent dans le Canadian Army Medical Corps doivent partager les impressions de Sophie. Pendant qu'elle attend des ordres à Londres, Sophie écrit : « Le fait de ne pas savoir quelle sera notre prochaine tâche apporte une certaine dose d'excitation. C'est inhabituel et étrange pour moi. J'ai toujours mené ma propre barque et j'ai toujours su ce que je voulais. Maintenant, j'obéis aux ordres et je ne suis au courant de rien. » (Lettre de Sophie Hoerner à sa mère, 16 mai 1915, p. 5)
« Notre hôpital peut contenir 1040 lits. Les tentes sont magnifiques, ce sont des tentes indiennes. »
(Lettre de Sophie Hoerner à un être cher, 24 mai 1915, [p. 2])
Le 24 mai 1915, les infirmières arrivent à Étaples, à un « site absolument charmant », et s'installent dans des tentes de toile brune. Sophie admire les tentes, qui contiennent 70 lits et deux salles d'opération, et les qualifie de magnifiques. À ce moment, l'hôpital n'est pas encore prêt à recevoir des patients, mais Sophie espère que le premier convoi sera admis au cours de la semaine suivante. Elle écrit : « Je suis contente d'être ici dès le début. » (Lettre de Sophie Hoerner à un être cher, 24 mai 1915, [p. 2]) Ses premières lettres sont remplies de descriptions de ses nouvelles conditions de vie. Elle explique : « Nous mangeons dans une énorme tente, à deux longues tables. Nous prenons le petit-déjeuner à 7 h 30, le clairon sonne à 6 h 45, nous dînons à 12 h, nous prenons le thé à 16 h et nous soupons à 18 h. Toutes les lumières s'éteignent à 22 h 30, les chandelles dans les petites lanternes. » (Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 26 mai 1915, p. 1)
Très tôt, Sophie manifeste de l'intérêt pour les salles d'opération. Elle écrit : « La salle d'opération est remarquablement bien équipée, et tout est neuf; l'intérieur est entièrement peint en blanc, et l'extérieur est en zinc. » (Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 26 mai 1915, p. 2) Sophie confie aussi dans une lettre qu'elle a envie de travailler en chirurgie : « J'aimerais être assignée à la salle d'opération, mais nous ne pouvons pas choisir, nous devons obéir aux ordres sans dire un mot. » (Lettre à Mollie, 26 mai 1915, p. 2)
Sophie exprime ses sentiments au sujet de son travail dans une de ses lettres :
Je n'ai pas le droit de révéler l'endroit précis où les ambulances se rendent jour et nuit pour apporter des secours, mais je sais que les trois sièges de leurs activités se situent dans trois des secteurs les plus mouvementés. Les ambulanciers britanniques aident les blessés français. À la suite d'un affrontement majeur, ils ont recueilli un millier d'hommes au front en une seule journée. Je considère maintenant le travail d'infirmière non pas comme un sacrifice, mais comme un des plaisirs de la vie, et je suis vraiment heureuse d'être ici. »
(Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 26 mai 1915, p. 3)
« Les premiers patients sont arrivés hier soir. »
(Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 1er juin 1915)
Les patients de Sophie occupent une place prépondérante dans ses lettres. En fait, l'objectif de son voyage à l'étranger est de soigner les blessés. C'est en lisant les descriptions qu'elle faites de ses patients que l'on comprend comment la guerre et toutes ses horreurs l'ont touchée. Le fait que les récits de ses activités sociales soient entremêlés de descriptions parfois crues de ses patients est encore plus révélateur, le but d'une lettre étant évidemment de faire part aux autres des événements importants de notre vie.
Les lettres écrites par Sophie pendant la guerre forment donc un mélange de récits enjoués de ses voyages dans les villes environnantes, de ses activités sociales et de ses tâches quotidiennes, entrecoupés de descriptions de ses patients et de leurs blessures.
Sur une carte postale, Sophie écrit :
Nous avons admis cent dix patients hier soir. Ils sont tous si merveilleux, si patients et gentils les uns envers les autres. Leur seul espoir est de ne pas être blessé avant la tombée du jour, car ils ne peuvent être recueillis qu'après la tombée du jour, et c'est terrible de gésir blessé toute la journée sur le champ de bataille. Certaines blessures sont si affreuses que l'imagination la plus fertile n'arriverait pas à les concevoir, même en partie. Je vais bien et jusqu'à présent je n'ai pas été surmenée. Nous sommes quatre-vingts. Le plein air me fait du bien. Le soleil m'a brûlée vive. Mon nez ressemble à une tomate.
(Carte postale de Sophie Hoerner, 7 juin 1915)
Dès le début de son service, Sophie découvre les inventions cruelles et dévastatrices associées à la guerre : « J'aimerais avoir l'autorisation d'écrire tout ce que je vois et entends. Les affreux gaz sont ce qu'il y a de pire actuellement. C'est terrible à voir. Il est impossible de fournir suffisamment de respirateurs pour répondre à la demande, et aujourd'hui j'ai entendu dire que les Allemands lançaient de la poix brûlante sur nos soldats. » (Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 4 juin 1915, p. 1) Le chlore gazeux, une substance toxique, est utilisé pour la première fois le 22 avril 1915. Les deux armées ont ensuite recours à divers gaz toxiques, et ces attaques se multiplient tout au long de la guerre.
« Nous sommes un camp d'été sous une tente, et nous recevons des patients tous les deux jours, en soirée. Nous en avons admis quatre-vingt-deux hier soir. »
(Lettre de Sophie Hoerner à Carrie, 10 juin 1915, p. 1)
J'ai travaillé jusqu'à 2 h cette nuit, avec l'équipe d'urgence. Aussitôt que le son du clairon retentit, le personnel accourt pour aider les patients. Ceux qui en sont capables se rendent directement aux baignoires, où les préposés aux soins les lavent, puis ils reviennent, réchauffés, dans leur lit propre, et on leur donne du chocolat chaud et du pain beurré. Ils sont si reconnaissants et si peu exigeants […] Je n'ai jamais rien vu de tel que leur courage. Personne ne peut imaginer les horreurs d'une guerre comme celle-là, à moins d'être ici et de les voir de ses propres yeux. Évidemment, bon nombre d'entre eux meurent, mais par miracle plusieurs de ceux qui ont d'horribles blessures se rétablissent. Dieu sait que ce que nous faisons pour eux est minime, mais il semble que cela fait une merveilleuse différence.
(Lettre de Sophie Hoerner à Carrie, 10 juin 1915)
Comme elle le fait souvent, Sophie ne manque pas de mentionner à sa correspondante qu'elle est heureuse de se trouver là. Dans la même lettre, elle écrit : « C'est le travail le plus intéressant et de loin le plus valorisant que j'ai accompli jusqu'à maintenant. C'est formidable d'avoir la chance de faire quelque chose pour ces braves hommes. » (Lettre de Sophie Hoerner à Carrie, 10 juin 1915, p. 1)
Sophie a finalement l'occasion de travailler dans une salle d'opération, souhait qu'elle avait formulé dans ses lettres à ses amis et à sa famille. Ce travail lui permet de voir de très près les blessures des soldats. Elle écrit à sa mère à ce sujet : « Je n'ai jamais vu de blessures aussi horribles. Vous pouvez croire tout ce que vous entendez ou lisez sur les Allemands. Ils remplissent maintenant les shrapnels de verre, de vis, de pointes d'aiguilles ou de n'importe quel objet susceptible de causer de graves blessures. » (Lettre de Sophie Hoerner à sa mère, 25 juin 1915, p. 1) Malgré tout, le dévouement et l'intérêt de Sophie envers ses patients ne défaillent jamais : « Je suis si contente d'être venue ici, les patients me procurent une telle joie, je déteste être loin d'eux. » (Lettre de Sophie Hoerner à sa mère, 25 juin 1915, p. 2) « Je vais très bien et j'adore mon travail, je suis si fière d'être responsable d'une salle. Je déteste être en congé et je m'intéresse vivement aux patients, ils sont ce qu'il y a de mieux dans mon travail. » (Lettre de Sophie Hoerner à sa mère, 26 juin 1915, p. 3)
Le dévouement de Sophie à l'égard de ses patients se manifeste au-delà de ses tâches d'infirmière. En effet, elle confie à sa mère qu'elle est fatiguée parce qu'elle a écrit des lettres pendant la nuit pour ses patients qui n'étaient pas en mesure de le faire. Sophie reçoit une lettre de la sœur d'un de ses patients : « Je suis très heureuse d'avoir reçu des nouvelles de mon frère, et je vous trouve très gentille de m'avoir informée. Je suis certaine que vous le soignerez du mieux que vous pouvez. C'est très difficile d'apprendre qu'il est gravement malade et de ne pas pouvoir le voir, mais il faut voir le bon côté. Nous n'avons pas eu de chance récemment. Nous sommes sans nouvelles de mon autre frère depuis maintenant deux mois. (Lettre de A. Jones à Sophie Hoerner, 28 juin 1915)
« Des convois arrivent à tout moment maintenant. Hier, nous en avons admis deux en une seule journée. »
(Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 8 juillet 1915, p. 4)
À mesure que le nombre de patients augmente à l'hôpital, les lettres de Sophie portent davantage sur son travail et laissent de côté ses activités sociales. Elle écrit notamment une lettre très brève mais poignante uniquement à propos son travail. L'extrait suivant en dit long sur l'expérience déchirante qu'elle a vécue :
Nos soldats ont un courage à toute épreuve. Avant de mourir, l'un d'eux m'a dit : « Nous allons gagner, même s'il faut donner le meilleur de nous-même, et qu'il le faudra encore longtemps. Je suis heureux d'avoir été là et d'avoir aidé un peu. » Un shrapnel l'a atteint à la mâchoire inférieure, et elle était pratiquement brisée en miettes. Il ne pouvait donc absolument pas parler, mais il a écrit ces mots sur une feuille de papier.
(Lettre de Sophie Hoerner à Mollie, 8 juillet 1915, p. 4)
Dans une autre lettre à Mollie, Sophie raconte : « Nous avons été terriblement occupés, il y a sept cents patients. Pendant que je suis assise ici, dans ma petite hutte, les ambulances arrivent, l'une après l'autre, avec des blessés. C'est si horrible à voir et à entendre, et ça continue toute la nuit. Les convois arrivent à tout moment. » (Lettre à Mollie, 4 juillet 1915, p. 1) Elle poursuit sa lettre en confiant que, malgré les difficultés, elle va bien et engraisse à manger du pain beurré. C'est peut-être par respect pour ses patients -- peut-être voulait-elle imiter leur stoïcisme -- que Sophie n'insiste jamais sur les difficultés et les problèmes auxquels elle doit faire face. Le « courage » de ses patients l'inspire et la stimule. Son admiration pour eux se manifeste continuellement dans ses lettres.
Au fil de ses lettres, Sophie continue d'alterner les récits de ses activités sociales et les descriptions de ses tâches professionnelles. Elle ne cesse pas d'exprimer sa joie du fait qu'elle a la possibilité de prendre part à ce travail et d'apporter du réconfort à ses patients.
Sophie poursuit son service jusqu'à la fin de la guerre, mais ces lettres, qui datent de sa première année de service, sont les seules que possède Bibliothèque et Archives Canada.