Garde côtière canadienne
<% else %>Historique de la Garde côtière canadienne et des Services de la Marine
par Thomas E. Appleton
Colombie-Britannique
L'histoire du capitaine George Vancouver, commandant pour sa Majesté Britannique la Discovery et le Chatham constitue l'un des plus beaux chapitres de la chronique maritime du XVIIIe siècle. Vancouver tenait sa science de James Cook, le plus grand parmi les grands capitaines de cet âge d'or de la navigation. Son nom est lié à celui de son homologie espagnol Quadra dans le récit de la rivalité qui opposait alors la Grande-Bretagne à l'Espagne.
Ces deux hommes, Vancouver et Don Juan Francisco de la Bodega y Quadra, capitaine de la Reale Armada, offrent le plus piquant des contrastes. Celui-là formé à dure école, sous la férule d'un des grands maîtres de l'art, est le type même du marin ou du navigateur rude, au tour d'esprit éminemment pratique. Celui-ci au contraire, on ne peut plus aristocrate espagnol, patricien né, dont il a le regard sensible et le sourire énigmatique, semble en quelque sorte déjà préparé par la naissance aux hautes fonctions qu'il occupe dans son arme, aussi noble et royale qu'ancienne. Et pourtant, ils finiront par se tenir l'un l'autre en véritable estime, sans doute sous l'effet des conditions particulièrement pénibles dans lesquelles ils seront appelés à faire campagne dans ce qui doit être l'un des lieux les plus reculés du globe. Mais peut-être s'agit-il aussi d'un rappel, vaguement atavique, d'amitiés passées. Un Quadra n'a-t-il pas été autrefois, en effet, ambassadeur de Sa Majesté Très Catholique auprès de la reine Elisabeth I? Quoi qu'il en soit, c'est en témoignage de leur amitié qu'ils voulurent baptiser Île de Quadra et Vancouver le principal théâtre de leur commune activité, en dépit de la rivalité de leurs gouvernements et des réticences nationales habituelles en pareille matière. On peut regretter que l'on ait fait tomber, pour des motifs de commodité, la moitié de ce nom qui témoignait si éloquemment d'un raffinement dans le sentiment rare alors et guère plus répandu aujourd'hui. D'un pays comme le nôtre, n'aurait-on pu attendre mieux? Fort heureusement et bien que le nom de Quadra ne se retrouve plus dans celui de l'île, il a servi, de même que celui de Vancouver à baptiser un bâtiment météorologique. Nous possédons en effet le Vancouver et le Quadra.
En 1866, l'Île de Vancouver (on disait alors, en employant le possessif, Vancouver's Island) fut réunie au territoire de la côte pour former la colonie de la Colombie-Britannique. Cet établissement, complètement isolé par la géographie, avait évolué dans un climat politique bien éloigné de celui dans lequel s'étaient déroulées les luttes politiques de l'Amérique britannique du nord, du côté de l'Atlantique ou des Grands Lacs. Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que les obstacles à l'union ne soient pas seulement venus de la barrière gigantesque des Rocheuses ou de la Prairie, pourtant les plus visibles.
Depuis 1869, soit depuis l'achèvement d'un chemin de fer en territoire américain jusqu'à San Francisco, la Colombie-Britannique disposait d'une route d'accès --- fort indirecte il est vrai --- vers le Canada. De San Francisco, désormais promue au rang de port principal et de grand centre ferroviaire de la côte, il était possible d'expédier passagers et marchandises vers la colonie en suivant celle-ci. À ceci près la Colombie-Britannique devait compter, pour son commerce avec l'Europe, sur les grands voiliers qui empruntaient la voie difficile et tourmentée du Cap Horn. Elle ne possédait guère pour son compte que quelques goélettes pour la pêche ou la chasse aux phoques et quelques rares vapeurs.
Au moment de l'adhésion de la Colombie-Britannique à la Confédération, le 20 juillet 1871, il n'y existait à peu près pas d'amers, juste assez pour marquer un unique atterrage dans les brumes et les courants du Pacifique ou pour permettre aux bâtiments de gagner la base navale d'Esquimalt à la manière d'un matelot accroché à une main courante. D'autre part, en eaux américaines on avait installé des phares au Cap Flattery et à New Dungeness dès 1857, la Colonie en ayant de son côté, un an plus tard, aménagé un à Fisgard et, en 1861, un autre à Race Rocks. Il y avait aussi un bateau-phare pour signaler les hauts-fonds de l'embouchure du Fraser.
Construit en 1864 pour le service des dragues du port de Victoria, le Sir James Douglas fut le premier vaisseau affecté à l'entretien des phares ou des balises de la côte ouest. C'était un tout petit bateau de bois à hélice, construit à Victoria et dont la machine venait d'Angleterre. À l'instar des premiers vapeurs du gouvernement qui naviguaient sur le Saint-Laurent le Sir James Douglas transportait la plupart du temps du courrier, des passagers ou des marchandises. Il servait également aux missions hydrographiques ou aux tournées d'inspection des fonctionnaires.
Au moment de la prise en charge par le département des phares et des bouées de la Colombie-Britannique, il lui était manifestement difficile d'intervenir efficacement d'aussi loin. Aussi bien, pour la première année, ce fut aux services des levers de la province qu'on demanda de suppléer le ministère fédéral, en attendant la désignation d'un agent maritime. Le gouvernement de la Colonie avait jusque-là en recours à un inspecteur des chaudières, mais il n'y avait pas eu d'inspection des vapeurs. Il n'en pouvait d'ailleurs être question avant la modification de la loi et son application à la province. Cela fait, l'argent maritime assuma le double rôle d'inspecteur des phares et d'inspecteur des vapeurs.
Devenu obligatoire avec l'extension de la loi canadienne en 1873, l'application des règlements visant l'inspection des vapeurs ne manqua pas de susciter certains problèmes aux autorités de la Colombie-Britannique. Il s'agissait d'une innovation, difficile à appliquer dans les circonstances. Si la province ne possédait pas beaucoup de navires océaniques, il y existait cependant un certain nombre de bâtiments fluviaux dont certains marchaient à pression relativement élevée. Bien que la plupart fussent impropres au service, aux termes des nouveaux règlements, il y en avait d'autres, plus récents, construits en fonction des exigences de la loi ou rénovés par les armateurs. Mais ceux-ci étaient trop peu nombreux pour assurer à eux seuls le service qu'aurait paralysé le retrait éventuel des autres. Agissant avec le réalisme plein de sagesse qui a depuis lors caractérisé l'administration de la chose maritime au Canada, le ministère choisit, donner raisonnablement, de différer d'un an l'application de la loi de façon à donner aux armateurs le temps d'adapter leurs bâtiments aux exigences sécuritaires nouvelles.
Peu avant 1890, le petit Sir James Douglas ne suffisait déjà plus aux tâches de plus en plus exigeantes que lui imposaient la construction ou l'entretien de nouveaux phares. On s'était beaucoup plaint de ce qu'il lui était demandé à la fois de ravitailler les phares et de transporter des passagers. En conséquence, il fut déchargé en grande partie de ses missions proprement commerciales. Malgré tout l'entretien de phares échelonnés de Nanaimo jusqu'au Cap Beale, en passant par les îles du Golfe et toutes sortes d'autres points intermédiaires exigeait la mise en place de services plus efficaces. Fort de l'expérience antérieurement acquise dans le St-Laurent on décida donc de construire un navire en acier parfaitement moderne et conçu spécialement pour le ravitaillement des phares. C'est alors qu'on vit apparaître le Quadra dont le souvenir s'est perpétué jusqu'à nous. Après une carrière longue et variée, il ne fut envoyé à la casse que vers 1930.
Le Quadra, le Newington et le Leebro, du ministère de la Marine et des Pêcheries, à l'agence de James Bay, Victoria, vers 1910.
Ce n'est cependant qu'avec l'achèvement du chemin de fer transcontinental que les affaires de la Colombie-Britannique allaient enfin prendre leur essor. C'est en 1885, en effet, avec l'entrée en gare de Vancouver du premier convoi parti de Montréal que le ministère des Chemins de fer et Canaux put voir se réaliser sa plus haute ambition. Du même coup un nouveau monde de développement économique s'ouvrait pour la province. Désormais celle-ci pourrait accueillir, de plus en plus nombreux, immigrants ou capitaux ou voir s'ouvrir pour elle de nouveaux marchés. Si on songe à la facilité des liaisons aériennes actuelles et au peu de temps qu'il faut aujourd'hui aux réactés pour gagner la côte du Pacifique et, en même temps, aux difficultés qui ne pouvaient manquer de se produire pendant les quinze ans qui ont séparé la création de l'Agence de Victoria du parachèvement du Pacifique-Canadien, on s'étonnera moins des défaillances inévitables de la surveillance que du simple fait qu'il ait été aux admirateurs d'Ottawa d'entretenir avec leurs représentants sur place des rapports dignes de ce nom.
Sur le Quadra, au début du siècle.
On peut distinguer ici des ecclésiastiques et des agents de la Gendarmerie du Nord-Ouest ainsi que des hommes et des jeunes garçons, venus rencontrer le capitaine Walbran au sujet d'une question d'intérêt général.
(Archives de la Colombie-Britannique)
C'est en janvier 1892 que le C.G.S.Quadra (capitaine John T. Walbran), venant d'Écosse, ralliait Esquimalt. La traversée avait duré quatre-vingts jours. Afin d'économiser du charbon, dont il consommait jusqu'à neuf tonnes par jour à sa vitesse maximum de onze noeuds ou un peu plus, son capitaine avait mis à la voile chaque fois qu'il avait pu. Mais il avait eu du gros temps et, malgré son gréement en goélette franche, qui aurait dû stabiliser sa marche, la traversée n'avait pas laissé d'être parfois assez pénible. Le capitaine Walbran, nouveau venu au ministère, avait été envoyé avec son chef mécanicien prendre livraison de son navire à Paisley. Il devait en conserver le commandement et connaître avec le ministère une carrière aussi longue qu'honorable. Comme son prédécesseur du St-Laurent, le docteur Pierre Fortin de la goélette La Canadienne, le capitaine Walbran allait être l'un des principaux représentants de l'ordre dans une région où les établissements humains étaient forts éloignés les uns des autres. Il arrivait souvent que le Quadra et son patron fussent dépêchés pour enquêter sur des affaires qui, aujourd'hui, relèveraient des autorités locales ou d'autres services officiels. Magistrat aussi bien que capitaine, Walbran avait dans son équipage un agent de police, son navire étant par ailleurs muni d'un véritable tribunal et de tout ce qu'il fallait pour l'administration de la justice, jusque et y compris des cellules pour le transfert des détenus. En dehors des navires de l'escadre du Pacifique de la base d'Esquimalt, à qui ne pouvait être confiées des missions civiles, le Quadra se trouvait être le seul bâtiment de haute mer de l'État sur la côte. À ce titre il servait souvent aux déplacements des personnalités officielles, comme aux besognes plus modestes de ravitaillement des phares, d'entretien des bouées ou de protection des pêcheries.
Le CGS Estevan, à Collingwood, en 1912, flambant neuf se prépare à son long voyage jusqu'à Victoria (C.-B.). On peut aussi apercevoir le premier
Simcoe, qui devait se perdre corps et biens en 1917.
(Archives publiques)
Dans l'intervalle, l'entretien des amers dans le nord de la Colombie-Britannique imposait de lourdes tâches à l'Agence de Victoria. La flotte s'était agrandie du fait de l'achat du Newington en 1908 et de la construction de l'Estevan en 1912, mais l'éloignement de la base de l'Agence de Victoria des limites septentrionales de la province ---plus de cinq milles --- gênait beaucoup la bonne marche des opérations. Sans doute l'entrée en service de l'Estevan allait-elle être d'un grand secours. Ce bâtiment, qui navigue toujours à l'heure qu'il est, allait acquérir dès le début une réputation quasi légendaire. Construit à Collingwood (Ont.) il rallia la côte du Pacifique, comme le Quadra, en embouquant le détroit de Magellan. On trouve dans le rapport annuel du ministère pour 1913 l'observation suivante :
« Ses cabines sont cloisonnées en pin cambro, émaillé blanc; tous les postes d'officiers ou d'hommes d'équipages sont équipés de la façon la plus moderne... »
La mise en service de ces bâtiments nouveaux rendait indispensable l'agrandissement des bases. C'est pourquoi en 1913 était créé l'Agence auxiliaire de Prince-Rupert, détachée de Victoria sept ans plus tard.
La surveillance de la pêche dans les eaux du Pacifique allait de pair avec celle de la chasse au phoque pélagique. Dans le rapport annuel du ministère pour 1874, on pouvait relever la charmante observation que voici :
« On trouve à l'embouchure du Fraser une certaine espèce d'otarie qui, l'été, redescend le courant, installée sur des billes de bois. Une autre espèce fréquente la côte de l'Île de Vancouver où vont les tirer les Indiens qui font commerce de sa peau. »
C'est dans cette dernière espèce, de moeurs nettement pélagiques, qui allait susciter le plus vite l'intérêt. Rien n'aurait pu davantage faire appel au vieil instinct du chasseur que cette occasion de satisfaire à l'éternelle envie qu'on a de belles fourrures.
De même que la présence de la morue de l'Atlantique avait attiré sur ces côtes les aventuriers dès les premiers jours de la colonie, la présence du phoque pélagique allait faire affluer dans les eaux où il se reproduisait de rudes marins venus du Canada, des États-Unis, de la Russie ou du Japon. Ils allaient chercher leur proie un peu partout, jusqu'à la mer de Béring ou la côte du Japon. En raison de l'éloignement de ces lieux de chasse et du caractère international de cette activité, la protection de l'espèce dépassait de loin la compétence du ministère. Elle exigeait l'intervention des croiseurs de l'escadre du Pacifique de la Royal Navy et d'autres pays. Cela n'allait pas, parfois, sans risquer de provoquer des incidents sérieux, s'il arrivait par exemple qu'un navire prit à l'abordage la goélette d'un autre pays. L'année 1911 vit toutefois la signature du Traité international sur la chasse au phoque pélagique qui visait à empêcher la destruction complète de l'espèce. La chasse industrielle dans les eaux du Pacifique Nord était interdite aux navires des pays participants. Quant aux Indiens, ils devaient se concentrer de chasser en canoë et au harpon. De là, date la disparition plus ou moins totale de la flotte de chasse de Victoria qui, au beau temps de cette industrie, avait compté jusqu'à soixante-dix bâtiments. Ce fut alors le ministère de la Marine et des Pêcheries qu'on chargeât de la protection des phoques contre le braconnage par les pêcheurs commerciaux. À ce service furent souvent employés ses bâtiments, chargés également de l'application des règlements de la pêche au saumon ou au flétan, dont on sait la grande importance qu'elle peut avoir en Colombie-Britannique.
Le Northern Light pris dans les glaces du détroit de
Northumberland.
(Collection Webster Musée du Nouveau-Brunswick)
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