Notes sur la science et les politiques
Octobre 2007
L’importance des forêts dans le cycle global du carbone — l’échange de dioxyde de carbone entre l’atmosphère et la biosphère — est une des raisons pour lesquelles le Protocole de Kyoto a donné aux pays l’option d’intégrer l’aménagement forestier dans leur comptabilisation en ce qui touche à cet accord entre 2008 et 2012. Le Canada a fortement soutenu cette approche, car on croyait qu’elle encouragerait une gestion durable des ressources forestières. On croyait également que les forêts aménagées contribueraient à l’atteinte de l’objectif fixé pour le Canada en vertu du Protocole. Cependant, le gouvernement du Canada a refusé de se prononcer sur l’inclusion de l’aménagement des forêts dans sa comptabilisation jusqu’à ce qu’il doive répondre à cette question : En tenant compte des processus naturels, des activités humaines et des règles de comptabilisation du Protocole, la forêt canadienne agit-elle en tant que puits ou source de carbone, et en sera-t-il de même à l’avenir?
Les forêts emmagasinent des quantités considérables de carbone dans les arbres et le sol. Elles en accumulent davantage avec le temps, car elles absorbent le dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre, de l’atmosphère et stockent le carbone dans les arbres vivants et d’autres plantes. Parallèlement, une certaine partie de ce carbone est lentement relâchée dans l’atmosphère par les arbres en décomposition. De plus, les incendies de forêt accroissent l’émission du dioxyde de carbone et des deux plus puissants gaz à effet de serre, le méthane et l’oxyde nitreux. Une forêt est une source si, dans l’ensemble, elle libère davantage de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre qu’elle n’en stocke pour une période de temps donné et constitue un puits si elle en absorbe plus qu’elle n’en produit. L’émission et l’absorption de ces gaz ne sont pas seulement déterminées par des processus naturels — en effet, des activités d’aménagement forestier telles que l’exploitation forestière, la plantation d’arbres ainsi que les efforts destinés à combattre les incendies de forêt et les épidémies d’insectes ont aussi un impact sur ces dernières.
La forêt canadienne s’étend sur 310 millions d’hectares, et 236 millions d’entre eux constituent la forêt aménagée dans laquelle les activités humaines ont un effet sur le carbone forestier. Tous les ans, des scientifiques du Service canadien des forêts de Ressources naturelles Canada évaluent dans quelle proportion les forêts aménagées sont un puits ou une source afin d’en faire rapport dans l’inventaire annuel des émissions de gaz à effet de serre d’Environnement Canada. Ces données, représentées dans le graphique suivant, révèlent qu’entre 1990 et 2005 les forêts canadiennes aménagées ont agi comme puits dans l’ensemble, à l’exception de cinq années lors desquelles elles ont été une source dans l’ensemble en raison des émissions provenant d’importants incendies de forêt naturels. Également, depuis 1999, le dendroctone du pin ponderosa (Dendroctonus ponderosae) a causé la mort d’arbres sur près de 10 millions d’hectares au centre de la Colombie-Britannique, augmentant ainsi les émissions jusqu’à ce que les arbres soient complètement décomposés. Pendant la majeure partie de cette période, la superficie récoltée chaque année est demeurée relativement stable.
Avant d’inclure la forêt aménagée à l’objectif du Canada en vertu du Protocole de Kyoto, le gouvernement du Canada voulait déterminer si cette dernière était plus susceptible d’être un puits ou une source dans un proche avenir. Aux fins de cette analyse, le Service canadien des forêts a collaboré avec des scientifiques et avec des experts provinciaux et territoriaux afin de rassembler les meilleures information et hypothèses qui soient. À cet effet, un modèle élaboré de carbone forestier, qui avait d’abord été conçu par le Service canadien des forêts à la fin des années 1980, a été amélioré et a servi à l’évaluation.
Chaque année, c’est principalement l’étendue de la superficie touchée par l’incendie ou les insectes qui détermine si la forêt aménagée constitue un puits ou une source. C’est pourquoi l’établissement de projections requiert des hypothèses au sujet de la superficie qui risque d’être touchée par l’incendie et les insectes en s’appuyant sur des données scientifiques et historiques ainsi que sur l’état actuel de la forêt. Toutefois, étant donné qu’il est impossible de prévoir avec certitude l’étendue des futurs incendies ou infestations d’insectes, le modèle a été exécuté des centaines de fois en utilisant des scénarios d’avenir différents afin d’estimer les probabilités pour la forêt aménagée de devenir un puits ou une source.
Si l’analyse avait démontré que la forêt aménagée au Canada avait de très grandes chances d’être un puits entre 2008 et 2012, son inclusion dans la comptabilisation du Protocole de Kyoto aurait facilité l’atteinte de l’objectif du Canada à cet égard. D’après l’analyse, il y avait au contraire plus de neuf chances sur dix que la forêt aménagée devienne une source entre 2008 et 2012. En introduisant la forêt aménagée, on aurait fort probablement eu encore plus de difficulté à atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto. Compte tenu de ce risque élevé de source, le gouvernement n’a pas intégré la gestion des ressources forestières dans la comptabilisation du Protocole.
Le risque élevé s’explique en majeure partie par les incendies et les épidémies d’insectes actuelles et prévues dans plusieurs régions. En réalité, l’analyse ne tient pas compte des impacts potentiels des changements climatiques sur les incendies ou d’une possible propagation du dendroctone du pin ponderosa au-delà de la Colombie-Britannique; par conséquent, les résultats sous-estiment peut-être le risque d’obtenir une source. Le graphique démontre que les taux de récolte ne fluctuent pas beaucoup; les récoltes ne contribuent donc pas significativement au risque d’obtenir une source. Bien entendu, les récoltes réduisent la quantité de carbone présent en forêt; celui-ci est ensuite stocké dans les produits forestiers ou utilisé comme bioénergie.
Oui. Malgré le fait que nos forêts aménagées risquent fortement de devenir une source dans l’avenir, nous devons continuer de chercher des moyens pour réduire les émissions ou accroître l’absorption dans ces forêts. De plus, les activités de gestion peuvent diminuer les incendies et les épidémies d’insectes et assurer une régénération forestière rapide après exploitation, ce qui atténuerait la source. Nous pouvons également réduire le déboisement (l’élimination permanente d’une forêt) et augmenter le boisement (la création de nouvelles forêts); il nous fudra comptabiliser l’incidence de ces deux activités sur le carbone, conformément au Protocole de Kyoto. Nous devons aussi tenir compte de la contribution du bois récolté dans ce bilan. En effet, les produits ligneux contiennent des quantités considérables de carbone, et ce, même s’ils fournissent des services à la société et de l’énergie renouvelable dérivée de combustibles au bois qui peut remplacer les combustibles fossiles.
Les règles du Protocole de Kyoto ne font pas la distinction entre les impacts liés à l’aménagement forestier et l’incidence des perturbations naturelles qui est d’ailleurs très importante au Canada, et ce, même dans les forêts aménagées. Ces règles nous obligent à déterminer les superficies de la forêt qui sont aménagées (ce qui inclut les parcs, par exemple) et ensuite de comptabiliser la totalité des émissions et de l’absorption des gaz à effet de serre dans ces forêts, quelles qu’en soient les causes. Nos forêts sont victimes d’importants incendies naturels et infestations d’insectes, et, en vertu des règles, toutes les émissions qui en résultent doivent être incluses dans la comptabilisation. Même si les activités de gestion peuvent réduire les émissions (en combattant les incendies, par exemple) ou accroître l’absorption du carbone (en augmentant la vitesse de croissance des arbres, par exemple), les effets naturels pourraient la plupart du temps l’emporter largement sur ceux de l’aménagement forestier.
Tandis que les pays discutent des règles pour une intervention à l’échelle internationale au sujet des changements climatiques après 2012, le Canada et d’autres pays cherchent à trouver de meilleures règles sur la façon de mesurer le carbone forestier afin d’encourager une gestion durable des ressources forestières sans pénaliser ou récompenser les pays à propos des émissions et de l’absorption de carbone qui sont hors de leur contrôle.
Environnement Canada. 2007. Rapport d’inventaire national 1990–2005. Sources et puits de gaz à effet de serre au Canada.
Kurz, W.A.; Apps, M.J. 2006. Developing Canada’s National Forest Carbon Monitoring, Accounting and Reporting System to meet the reporting requirements of the Kyoto Protocol. Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change 11: 33–43.
Kurz, W.A.; Stinson, G.; Rampley, G.J.; Dymond, C.; Neilson, E.T. En préparation. Risk of natural disturbances makes future contribution of Canada’s forests to the global carbon cycle highly uncertain.
Courriel : cfs-scf@rncan.gc.ca
Recherche forestière, Changements climatiques