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Ottawa, le 18 mai 2000
2000-041

Discours prononcé devant le Comité des affaires étrangères et du commerce international

L'honorable Paul Martin,
ministre des Finances du Canada

Voir aussi :

Ottawa (Ontario)
Le 18 mai 2000

Le texte prononcé fait foi


Merci, Monsieur le Président.

Je tiens en premier lieu à vous remercier, vous et les autres membres du comité, de cette occasion qui m'est offerte de vous parler des défis soulevés par la mondialisation et du rôle du Groupe des Vingt (G-20) à cet égard.

Ce nouveau groupe réunit les ministres des Finances et les gouverneurs de banque centrale de pays représentant 87 % du produit intérieur brut mondial et 65 % de la population de la planète. Il a le mandat d'examiner pratiquement toutes les facettes des finances internationales, et il peut aborder certains des aspects les plus visibles et les plus troublants associés à l'intégration de l'économie mondiale actuelle, comme les effets dévastateurs des crises financières, l'écart de plus en plus prononcé entre les riches et les pauvres et un système de régie qui n'a pas su évoluer au rythme des changements que connaît l'économie mondiale.

Monsieur le Président, nous savons tous que notre univers rapetisse constamment, et que les liens qui nous unissent les uns aux autres sont de plus en plus étroits. La preuve nous en est donnée constamment tous les jours.

Pourtant, ce n'est pas la première fois que l'on assiste au phénomène de la mondialisation. L'économie mondiale a connu, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, une période d'intégration rapide. L'économie mondiale de cette époque était, à certains égards, plus intégrée que celle d'aujourd'hui.

Ceci dit, la mondialisation actuelle présente de grandes différences par rapport à celle d'alors, en raison de deux aspects exceptionnels. D'abord, l'innovation technologique n'a jamais atteint une telle ampleur dans toute l'histoire de l'humanité; elle agit sur l'assise même de l'économie mondiale, et ce, à un rythme sans cesse plus rapide. Ensuite, avec la fin du communisme et de la guerre froide, un large consensus semble s'être dégagé sur le fait que le meilleur moyen de prospérer consiste à canaliser l'énorme potentiel des marchés privés, de façon à rehausser le niveau de vie de tous.

L'évolution technologique et le triomphe de l'économie de libre marché sont les éléments fondamentaux de la mondialisation moderne, ce qui peut se traduire par des avantages énormes. D'ailleurs, certains de ces avantages se matérialisent déjà.

En outre, ces avantages ne sont pas l'apanage des économies occidentales avancées. La mondialisation a une portée plus universelle aujourd'hui que ce ne fut le cas au tournant du siècle précédent. Les pays qui se situaient à la périphérie de l'économie mondiale, il y a de cela 100 ans, participent maintenant avec dynamisme aux échanges commerciaux et s'intègrent de plus en plus aux marchés financiers internationaux.

D'un autre côté, la mondialisation, si elle crée bien des possibilités, soulève également de nouveaux défis. Les travailleurs, les travailleuses et les entreprises du Canada et d'ailleurs ont dû faire de grands efforts d'adaptation par suite de l'intensification de la concurrence entraînée par la mondialisation. Et il en est beaucoup, surtout dans les pays les plus pauvres, qui n'ont pas profité de toutes les retombées positives de la mondialisation. Ne possédant pas les compétences requises pour être en compétition à l'intérieur de l'économie moderne, et faisant face à de graves problèmes comme des maladies endémiques et la dégradation massive de l'environnement, les personnes les plus pauvres de la planète sont de plus en plus marginalisées. En Afrique, par exemple, non seulement le revenu par habitant n'a-t-il pas progressé au même rythme que dans le reste du monde, mais l'écart s'est encore accru. L'écart entre les riches et les pauvres se creuse donc de plus en plus, situation absolument impossible à défendre sur le plan moral, et qui pourrait exploser.

Les gouvernements souverains, agissant seuls, peuvent relever certains de ces défis dans leur pays. Mais la mondialisation soulève également des questions nouvelles et difficiles, qu'aucun gouvernement ne peut résoudre seul. La moindre importance des distances géographiques, la mobilité du capital, la rapidité et le volume des communications modernes, sans oublier l'ampleur des migrations, sont autant de raisons pour lesquelles il est peu judicieux que des pays prennent les mesures isolées caractéristiques de l'exercice traditionnel des pouvoirs souverains. Tout cela signifie que, si nous voulons relever les défis de la mondialisation, nous devons choisir des solutions qui s'inscrivent dans une perspective de coopération. C'est ce besoin d'une coopération internationale plus étroite et plus efficace qui donne à la réforme des institutions financières internationales un tel caractère d'urgence.

Monsieur le Président, il y a une raison expliquant pourquoi la plupart des institutions financières internationales actuelles ont été créées à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que les décideurs politiques avaient, encore frais à la mémoire, le souvenir de la crise de 1929 et des années qui ont suivie. Elles ont été mises sur pied à ce moment-là parce que les décideurs avaient peur que la fin de la guerre ne provoque le retour d'une autre récession. Ils savaient que celle-ci avait pris des proportions démesurées du fait que les gouvernements avaient choisi, consciemment ou non, de tourner le dos à l'intégration mondiale en érigeant des barrières au commerce international. Même si chaque pays souhaitait s'isoler des perturbations économiques internationales, l'absence de coopération internationale a rendu la situation encore plus désespérée. La principale leçon à tirer de l'histoire est que, pour bien fonctionner, l'économie mondiale doit s'appuyer sur des institutions internationales solides, afin de soutenir la coopération économique entre les pays.

C'est justement pour cette raison que les grandes puissances de l'époque ont établi le type d'institutions qu'ils ont jugé nécessaire pour permettre aux pays d'opter de nouveau, avec confiance, pour l'intégration mondiale et les avantages qui s'y rattachent. Le point charnière a été la conférence de Bretton Woods, en 1944, qui a créé le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Et il faut le dire : ces institutions ont été efficaces pendant des décennies. Elles ont mis en place les conditions propices à une expansion énorme des échanges commerciaux et à la prospérité économique et sociale du monde entier.

L'une des raisons pour lesquelles ces institutions ont été efficaces aussi longtemps est qu'elles ne sont pas demeurées statiques. Au contraire, elles ont su s'adapter à l'évolution de l'économie mondiale. Ainsi, le FMI, conçu au départ en vue de soutenir un régime de change fixe, a su s'adapter afin d'aider les pays ayant des taux de change flottants. Quant à elle, la Banque mondiale a été établie pour financer la reconstruction de l'Europe après la guerre. Une fois cette tâche accomplie, elle a décidé de promouvoir le développement des pays pauvres.

Aujourd'hui, à la lumière des défis posés par la mondialisation, la faculté de souplesse et d'adaptation est plus importante qu'elle ne l'a jamais été. À problèmes nouveaux, solutions nouvelles : les institutions internationales doivent évoluer au rythme de l'économie mondiale et de ses usages. Ceci représente un élément important du programme de réforme de l'ensemble de l'architecture internationale.

Considérons en particulier l'un des défis que doit relever le FMI.

L'un des changements les plus importants de l'économie mondiale est l'énorme croissance des flux de capitaux internationaux au cours des 10 dernières années. Dans le passé, seuls les emprunteurs situés dans les pays riches pouvaient faire appel aux marchés internationaux. Aujourd'hui, les emprunteurs tant publics que privés de nombreux pays – les marchés émergents – peuvent le faire aussi.

L'intégration aux marchés internationaux des capitaux, de même que les autres aspects de la mondialisation, est tout compte fait une bonne chose, puisque les pays en développement ont accès au capital dont ils ont besoin pour financer l'investissement et la croissance.

Par contre, le fonctionnement des marchés financiers internationaux présente des carences, ce qui ressort clairement du fait que des crises financières graves surviennent avec une régularité surprenante. Ces crises, plus fréquentes, plus virulentes et plus contagieuses que par le passé, peuvent, on l'a vu, perturber le système financier international tout entier. Quiconque n'est pas convaincu de l'importance de ce risque n'a qu'à regarder la situation en Asie du Sud-Est. Des millions de gens ont vu s'estomper, en un instant, les gains obtenus au fil de longues années au chapitre du niveau de vie, et l'existence même des nouvelles classes moyennes a été mise en péril. Ce sont les marchés financiers qui sont à la source de ces crises – c'est-à-dire les fluctuations de la confiance des investisseurs et les flux massifs de capitaux transfrontaliers.

Monsieur le Président, depuis plus de 50 ans, nous comptons sur le FMI pour stabiliser le système international et aider les pays à traverser les crises. Cependant, lors de la création du FMI, les crises prenaient leur source dans la balance commerciale des pays, non dans les marchés internationaux de capitaux. Ces crises comportaient habituellement une baisse marquée des exportations et une hausse brusque des importations, ce qui avait pour résultat un déficit insoutenable de la balance des paiements. Lorsqu'une telle crise survenait, le FMI accordait des prêts d'un montant relativement modeste au pays pour l'aider à la surmonter. Le prêt était assorti d'une condition : que le pays adopte des politiques économiques d'austérité s'attaquant aux causes ayant conduit au problème de la balance des paiements.

Or, les crises financières modernes sont différentes. Elles ont lieu lorsque des capitaux très importants sont retirés d'un pays; le déficit de la balance des paiements peut alors être beaucoup plus élevé que ce à quoi on pouvait s'attendre à l'époque où le FMI a été mis sur pied. Le problème est que les outils dont dispose le FMI, pour composer avec l'expansion très forte des flux de capitaux privés et l'augmentation de la magnitude des crises internationales, n'ont pas changé. Le FMI a donc dû faire face à ces crises au moyen des outils existants. Il a fourni une aide financière beaucoup plus importante aux pays touchés par les crises, et a dû exiger que leurs gouvernements prennent des mesures d'austérité qui s'avéraient plus coûteuses. Cela a eu pour conséquence une détérioration marquée du niveau de vie dans les pays touchés. Ce phénomène a bien entendu soulevé un tollé à l'endroit du Fonds. Certains sont même allés jusqu'à demander son abolition.

Mais se débarrasser du FMI ne réglerait rien. Il faut plutôt améliorer les modes de fonctionnement du FMI afin qu'il soit plus à même de s'acquitter de son mandat, c'est-à-dire d'aider les pays et leur population à traverser les crises. À cette fin, nous devons doter le Fonds des outils requis pour faire face aux crises entraînées par des revirements soudains des flux de capitaux privés.

Ces améliorations sont nécessaires, du fait de l'importance cruciale des marchés de capitaux privés efficaces. Ces 10 dernières années, les investissements privés ont été le vecteur central du développement mondial, et il semble bien que cela demeurera le cas dans un avenir prévisible. On ne peut tout simplement pas tolérer que les marchés de capitaux internationaux continuent d'être une source de crises financières graves se propageant d'un pays à l'autre.

La solution à ce problème ne passe pas forcément par l'imposition d'un lourd fardeau réglementaire. Aucun d'entre nous ne croit vraiment que l'État devrait dicter au secteur privé où et comment investir au Canada. Ajoutons que les investisseurs privés doivent avoir toute liberté de décider à quel endroit et dans quels secteurs ils veulent investir au niveau international. Toutefois, le fait de laisser les investisseurs privés maîtres de leurs décisions d'investissement ne signifie pas que nous renonçons à la responsabilité que nous avons, à titre de gouvernement, de garantir la stabilité du système dans lequel s'inscrivent leurs décisions.

Monsieur le Président, on pourrait tracer ici un parallèle avec le hockey. C'est un sport merveilleux, qui se compare par bien des aspects aux finances internationales : le rythme est rapide, les joueurs sont libres de leurs mouvements et, parfois, les risques sont élevés. Ce sont les joueurs qui jouent la partie, non les arbitres. Néanmoins, sans règles du jeu et sans arbitres, le hockey ne serait pas ce qu'il est. Le rythme, l'enjeu et le risque seraient élevés, ainsi que le degré d'anarchie. Et malheureusement, c'est exactement à cela que ressemble trop souvent le système financier international.

Le fait est, Monsieur le Président, que les États et les institutions internationales ont un rôle important à jouer en vue d'établir des règles du jeu qui soient prévisibles, équitables et bien comprises de tous, puis de les faire respecter. Ces règles englobent la réglementation des banques et des titres, des normes comptables uniformes, des modes de régie d'entreprise éprouvés et des normes transparentes en matière de données économiques afin que les investisseurs puissent évaluer de façon rationnelle les risques auxquels ils s'exposent dans un pays donné.

Il est notamment urgent de faire des progrès au chapitre du régime des faillites, de façon à limiter les effets perturbateurs que peuvent exercer sur l'économie les difficultés financières des emprunteurs. Au niveau national, nous avons mis en place des règles qui donnent aux débiteurs une certaine marge de manœuvre pour remettre leurs affaires en ordre. Le but n'est pas de dégager les emprunteurs de leurs obligations, mais de limiter les répercussions économiques et sociales associées à la fuite de capitaux.

La communauté internationale a reconnu l'importance de fixer des règles financières dans d'autres domaines en élaborant des normes applicables aux principales activités ainsi que des mécanismes qui en favorisent l'adoption. Cependant, nous n'avons pas fait de progrès comparables au chapitre d'un régime international applicable aux faillites, un régime qui accorderait aux pays en difficulté et à leurs emprunteurs la protection que nous accordons aux débiteurs dans nos pays. C'est sur cette question que nous devons consacrer nos efforts, à un niveau international. Nous devons mettre en place des mécanismes permettant d'arrêter, de façon temporaire, les sorties massives de capitaux, qui sont souvent au coeur des crises financières modernes. Il faut des efforts concertés, au niveau international, pour régler ce problème. En effet, si un pays décidait d'agir seul, il risquerait de voir les investisseurs internationaux le fuir comme la peste.

C'est pourquoi certains ont lancé l'idée d'un tribunal international des faillites. Toutefois, même si la notion est intéressante, elle risque peu de devenir réalité à court terme. Heureusement, cela n'est pas nécessaire. Le but fondamental d'un tribunal de la faillite, sur le plan économique, est d'offrir une instance qui permette aux débiteurs et aux créanciers de régler leurs problèmes de façon coopérative. Deux idées ont été exprimées récemment pour atteindre ce but au niveau international. Il s'agit d'abord d'une « clause d'action collective » et, ensuite, d'une « clause d'arrêt ».

Une clause d'action collective, dans un contrat d'emprunt obligataire, stipule simplement que les créanciers obligataires, qui se comptent souvent par milliers, doivent nommer un représentant unique pour négocier en leur nom avec le débiteur si celui-ci a des problèmes de paiement. De toute évidence, cela faciliterait considérablement la négociation et la coopération.

Le Canada est un chef de file dans ce dossier. Au début de l'année, nous avons annoncé que nous inscririons des clauses d'action collective dans nos émissions de billets et d'obligations en devises étrangères. Nous l'avons fait non pas parce que nous aurons besoin un jour de négocier la restructuration d'un de nos emprunts, mais plutôt afin de contribuer à ce que cette clause devienne monnaie courante sur les marchés obligataires internationaux.

Une deuxième mesure qui faciliterait le règlement des problèmes de remboursement d'emprunt de façon coopérative est une clause d'arrêt. Elle suspendrait temporairement le remboursement d'une dette, donnant ainsi au débiteur le temps de négocier avec ses créanciers et de trouver une solution à ses problèmes fondamentaux. Comment peut-on mettre en œuvre cet arrêt? Il y a au moins trois façons d'y parvenir.

Une première possibilité est d'instaurer une « clause d'arrêt d'urgence », comme le Canada l'a proposé en 1998. Il s'agirait d'une clause qui, dans les contrats internationaux d'emprunt, donnerait au débiteur le droit de suspendre ses paiements pour une durée déterminée en cas d'urgence de nature financière – un peu à la façon des contrats hypothécaires qui permettent à l'emprunteur de « sauter » un paiement.

Une deuxième solution consisterait à permettre le report d'une dette moyennant une pénalité (« UDROP » en jargon). Il s'agit essentiellement de la clause d'arrêt d'urgence proposée par le Canada, mais assortie d'un taux d'intérêt supérieur pour dédommager les prêteurs si l'emprunteur doit suspendre ses paiements.

Troisième possibilité, le FMI pourrait avaliser la décision souveraine d'un pays de suspendre ses paiements pendant un certain temps. En fait, les pouvoirs actuellement conférés au FMI lui permettent d'aller jusqu'à exiger une suspension de ce genre – encore qu'il n'ait jamais usé de ces pouvoirs. L'important est que l'aval du FMI donnerait une certaine légitimité à la décision du pays en question et le mettrait à l'abri de représailles de la part de ses créanciers.

Monsieur le Président, comme je l'ai déjà précisé, la réforme des institutions financières internationales et la mise en place d'un cadre judicieux applicable aux flux de capitaux privés feront en sorte que le système financier et économique international puisse améliorer la vie des gens sans mettre en péril leur sécurité économique. Toutefois, la responsabilité en incombe, et à juste titre, aux gouvernements nationaux. Les gouvernements sont comptables envers leur population, contrairement aux institutions internationales et au secteur privé. Le FMI peut recommander des politiques et accorder une aide financière afin d'inciter les gouvernements à accepter ses conseils. Toutefois, ce sont les parlements nationaux qui détiennent le pouvoir souverain d'instaurer ces politiques et qui doivent rendre des comptes à la population.

Au cours des deux dernières années, les gouvernements, afin de concilier des impératifs parfois opposés, de coopération et de reddition de comptes, ont créé deux institutions virtuelles, c'est-à-dire des institutions dont l'existence ne se manifeste pas sous la forme d'un immeuble bien concret où s'activent des bureaucrates internationaux, mais plutôt sous celle d'un réseau de capitales nationales.

Premièrement, en 1999, le Groupe des Sept (G-7) a créé le Forum sur la stabilité financière, qui réunit les ministres des Finances, les gouverneurs de banque centrale et les responsables de la surveillance du secteur financier. Son objectif est de renforcer les systèmes financiers dans les pays industrialisés et dans les économies de marché émergentes. Cette tâche revêt une importance cruciale, comme nous venons de le dire, car trop souvent, les institutions financières mal gérées et mal surveillées ont donné naissance à des crises financières. D'ailleurs, lorsque l'on examine les racines d'une crise financière, le mot d'ordre pourrait être « cherchez la banque ».

À ce jour, le Forum sur la stabilité financière a déjà étudié en détail cinq aspects cruciaux de la stabilité financière internationale : les flux de capitaux, les centres financiers extraterritoriaux, les fonds de couverture, les normes qui sous-tendent les règles financières, et l'assurance-dépôts. C'est John Palmer, surintendant des institutions financières du Canada, qui a dirigé l'examen portant sur les centres financiers extraterritoriaux. Et un autre Canadien, J.-P. Sabourin, président de la Société d'assurance-dépôts du Canada, a présidé le groupe de travail qui s'est penché sur l'assurance-dépôts.

La deuxième de ces institutions virtuelles est le G-20, qui constitue à mes yeux une étape importante sur la voie de la régie économique mondiale.

L'expérience acquise dans le cadre de programmes de développement international a montré que, peu importe la pureté de leurs intentions, ces programmes seront souvent voués à l'échec, à moins que les pays concernés n'aient un sentiment d'engagement à l'égard de leur propre développement. Cela vaut également pour la réforme de l'architecture financière internationale. Les pratiques exemplaires ne seront pas mises en œuvre et les normes et codes ne seront pas observés si les pays devant les adopter n'ont pas leur mot à dire dans le cadre de leur élaboration. C'est pourquoi le G-20 est si important : il permet aux principales économies de marché émergentes de dialoguer avec les pays du G-7.

Sur bien des points importants, le G-20 s'inspire du modèle du G-7. Ce dernier n'a pas de secrétariat ni de règles officielles. Pourtant, la plupart des gens conviendront que cette institution virtuelle, quoique mal aimée parfois, a été hautement efficace. De même que le G-7, le G-20 constitue une tribune informelle, où le dialogue se déroule directement et est axé sur les besoins au chapitre du capital, non sur les organisations internationales. Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des grands pays industrialisés et des économies de marché émergentes peuvent convenir d'un programme conjoint, puis le mettre en œuvre.

La première réunion du G-20 s'est déroulée en décembre dernier à Berlin. La prochaine aura lieu à Montréal en octobre.

Le groupe s'est entendu sur le fait que sa première tâche devait être de déterminer les points vulnérables au plan financier et de trouver des solutions. D'importants travaux se sont déroulés en vue de remplir ce mandat. Des discussions ont eu lieu au sujet de la façon de promouvoir la mise en œuvre des règles financières et de l'établissement d'un processus de consultation du secteur privé sur les moyens de minimiser les risques de crise et les dommages causés par les crises qui, inévitablement, surgissent à l'occasion.

Des progrès concrets ont été réalisés. Par exemple, chaque pays membre du G-20 a accepté de demander à la Banque mondiale et au FMI d'évaluer comment ses règles financières se comparent aux normes internationales et comment elles peuvent être améliorées. Il s'agit d'un jalon important en vue d'établir des principes de régie mondiale généralement reconnus. Afin de lancer le mouvement, le Canada a été au rang des premiers pays à faire l'objet de cette évaluation – en ce qui concerne la réglementation de ses institutions financières.

Cette tâche étant déjà bien entamée, le Canada estime que le temps est venu pour le G-20 de s'attaquer aux problèmes de portée plus générale associés à la mondialisation, et de trouver des moyens de les résoudre. Les consultations auprès de la société civile doivent être l'un des principaux points à aborder. Dès mon entrée sur la scène politique, j'ai compris que le dialogue avec les organisations non gouvernementales et les autres membres de la société civile pouvaient être extrêmement fructueux. D'ailleurs, ce processus de dialogue et de consultation devrait être encore élargi, et j'entends, en ma qualité de président du G-20, recommander que des mesures soient adoptées en ce sens.

Enfin, Monsieur le Président, j'aimerais en conclusion expliquer l'importance, pour les Canadiens, des questions financières internationales dont nous avons parlé, et l'importance des Canadiens pour le reste du monde.

D'abord, les Canadiennes et les Canadiens ont toujours fait preuve d'une grande compassion envers les plus pauvres de la planète. Ils ont appuyé, sans réserve, les efforts destinés à réduire l'écrasant fardeau de la dette des pays les plus pauvres et à garantir un niveau de vie convenable à leur population. Mais, les souffrances des pays pauvres ne se limite pas à l'insuffisance du revenu; elles se traduisent aussi par une plus grande vulnérabilité à des événements externes qui peuvent exercer des effets dévastateurs sur l'existence déjà précaire des gens. C'est pour cela qu'une économie mondiale qui fonctionne bien fait partie intégrante de nos initiatives de réduction de la pauvreté.

J'ajouterai ensuite qu'une économie mondiale efficace a une influence directe sur la prospérité des Canadiens et des Canadiennes.

Ici, le sceptique pourrait exprimer son désaccord et soutenir que les questions financières internationales ne sauraient influer sur le quotidien des gens ordinaires. Il est certain que, protégés au sein de l'Amérique du Nord, misant sur de saines finances publiques ainsi que sur un système financier solide et bien réglementé, nous avons des fois le sentiment d'être à l'abri des catastrophes économiques survenant à l'étranger.

Bien sûr, ce serait rassurant si c'était vrai. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Dès le départ, une telle affirmation ne tient pas compte de la mesure dans laquelle la prospérité du Canada dépend de la vigueur des échanges internationaux. Même si plus des quatre cinquièmes de nos exportations sont destinées aux États-Unis, le prix des biens que nous exportons est fonction des conditions économiques internationales. De plus, lorsque l'on considère le bilan de nos exportations, même si les produits de base sont moins importants qu'ils ne l'étaient auparavant, ils représentent encore le tiers du total. Quiconque est actif dans le domaine de la foresterie, des mines ou de l'agriculture pourra vous parler d'expérience de l'impact de la crise financière asiatique sur le bien-être économique des Canadiennes et des Canadiens.

Dire que le Canada est à l'abri des événements se déroulant à l'étranger est faux pour une autre raison tout aussi importante. Nous dépendons autant de la stabilité des marchés financiers internationaux que de la stabilité des échanges commerciaux internationaux.

À l'automne de 1998, l'incapacité de la Russie de rembourser sa dette a donné lieu à une fuite de capitaux vers des prétendues « zones sûres », en particulier les États-Unis. Du coup, les frais d'emprunt ont grimpé partout ailleurs dans le monde, y compris au Canada. Quiconque voulait renouveler une hypothèque ou utiliser une marge de crédit pour lancer une entreprise a ressenti les répercussions directes et immédiates de ce phénomène.

En bref, les crises financières internationales ont des conséquences humaines bien réelles. La chute du cours des produits de base signifie qu'un éleveur de porcs du Manitoba peut voir s'envoler le labeur de toute une vie; une secrétaire de Montréal ne pourra obtenir un emprunt hypothécaire en raison de la hausse des taux d'intérêt. Enfin, un projet de film à Halifax sera abandonné avant même d'avoir débuté, faute de fonds.

Les questions financières internationales sont complexes, mais elles sont bien concrètes. Le système financier international exerce une influence directe sur le revenu dont disposeront les Canadiens en bout de ligne. Nous pourrons prospérer et tirer profit des occasions qui s'ouvrent à nous uniquement si nous sommes à même de créer un environnement international ouvert et stable.

Finalement, il y a encore une autre raison pour laquelle ces questions sont importantes pour le Canada.

Il existe en fin de compte un rapport étroit et constant entre la sécurité et la prospérité; l'une n'est pas possible sans l'autre. Dès lors, si les Canadiens tiennent à vivre dans un monde dénué de conflits armés – ce qui est indéniablement le cas – nous devons nous assurer que les assises financières de la prospérité internationale ont été mises en place comme il se doit.

En outre, la question de la sécurité dans l'économie mondiale ne se cantonne pas à une limitation des conflits armés. Prenons le problème des maladies tropicales. Il y a une génération à peine, cette question aurait eu une connotation strictement humanitaire; autrement dit, il est peu probable que cela aurait eu des répercussions sur notre vie de tous les jours au Canada. Or, cela n'est plus vrai. Il suffit de regarder la prolifération du sida pour voir une toute autre dimension du concept d'intégration mondiale. Les problèmes survenant à l'étranger ne doivent pas être ignorés par le Canada et ses citoyens, car l'expérience nous a appris que ces problèmes risquent fort de devenir bientôt les nôtres.

Monsieur le Président, j'aimerais souligner que le Canada est universellement respecté pour son honnêteté et son intégrité. Nous avons fait de la coopération, par l'entremise des institutions multilatérales, le noyau de notre politique étrangère, et il en a d'ailleurs toujours été ainsi.

Le Canada dispose de la capacité d'assurer un lien entre les grandes économies mondiales et les marchés émergents d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique.

Et surtout, le Canada obtient des résultats probants. Nos institutions, tant publiques que privées, sont vigoureuses. Les finances publiques, aussi bien à l'échelon fédéral que provincial, sont saines. En raison de tous les débats qui s'y déroulent, notre fédéralisme efficace et souple est un modèle de coopération offert à tous.

Ce sont là les raisons expliquant que le Canada a la capacité d'orienter les efforts déployés afin de créer un monde meilleur, d'améliorer le système financier international et de faire en sorte que ce dernier soit, non une menace, mais bien une source de possibilités à saisir.

J'ajouterai que nous avons la responsabilité de faire en sorte qu'il en soit ainsi.

Merci de votre attention.


Dernière mise à jour :  2003-01-13 Haut

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