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La ministre Raybould-Wilson s'adresse aux étudiants à l'Université de la Colombie-Britannique

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Merci beaucoup. Gilakas'la.

Bonjour.

Je suis très honorée d'être ici parmi vous et de voir un si grand nombre de personnes rassemblées en territoire Musqueam. Je voudrais bien sûr remercier l'ancien Grant pour son accueil sur le territoire Salishes côtier, et en particulier le territoire Musqueam.

Je me sens très bien aujourd'hui - le soleil a fait son apparition. Je ne sais pas si c'est le fait de venir à l'UBC - ou peut-être est-ce le triathlon qui a lieu aujourd'hui - mais je tiens à exprimer ma reconnaissance à Mme Martha Piper pour cet accueil incroyable et pour avoir souligner la grandeur de cette institution qui célèbre ses cent ans et qui m'accueille de nouveau ici. Je tiens aussi à remercier Gordon Christie de son aimable présentation.

Je suis évidemment heureuse d'être ici et je reconnais certainement tous les chefs qui sont présents dans la salle, notamment mon homologue de la Colombie-Britannique, la ministre Suzanne Anton, et je voulais aussi ne pas manquer de rendre hommage à tous les étudiants et étudiantes qui sont ici et tous les membres qui vivent à Vancouver ou aux alentours. Comme on l'a dit, l'UBC est mon alma mater. Ma sœur et moi avons étudié à la faculté de droit. Nous avons obtenu notre diplôme en 1999. Cela semble bien loin - 16 ans, c'est bien loin je pense - et avant nous, mon père avait terminé ses études à la faculté de droit de l'UBC en 1973. La dernière fois que je suis passée à l'UBC était en fait après avoir obtenu mon diplôme. J'ai fait mes études dans ce qu'on appelait à l'époque le " bunker ". C'était un édifice en ciment où les arbres poussaient à travers les fenêtres et le ciment, mais la formation universitaire que j'y ai reçue a été exceptionnelle, et elle m'a certainement bien servie dans le travail que j'ai fait depuis.

Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis mon dernier passage ici durant la campagne électorale pour m'adresser aux étudiants et étudiantes en droit, et je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de revenir pour parler de ce que fait notre gouvernement et de certaines des priorités sur lesquelles je suis amenée à travailler dans le cadre de mes fonctions - des fonctions encore relativement nouvelles à titre de ministre de la Justice et procureur général du Canada.

C'était bien sûr un grand privilège pour moi d'être élue en tant que première députée dans cette superbe nouvelle circonscription de Vancouver Granville, et j'ai été tout aussi honorée que le premier ministre Trudeau m'ait demandé d'être ministre de la Justice et procureur général du Canada. Cette nomination en dit long sur le chemin que notre pays a parcouru et sur l'important travail qu'il nous reste à faire. Comme je l'ai déjà dit ailleurs, cette nomination est certainement pour moi une réalisation personnelle, mais ce ne sont pas, selon moi, les conséquences que cette nomination a eues sur moi personnellement qui sont importantes, mais plutôt son symbolisme dans un pays où une personne autochtone - qui, il n'y a pas si longtemps, ne pouvait pas voter, encore moins se présenter à des élections ou pratiquer le droit comme avocate - une personne qui faisait l'objet d'une discrimination prévue par la loi et qui, dans une certaine mesure, le fait encore, et qui a lutté pendant des années pour changer la loi - soit aujourd'hui l'avocate principale responsable d'administrer cette loi et de conseiller le gouvernement pour le compte de ce pays même. J'ai mis un peu de temps à le réaliser. Parfois, je me surprends encore à y réfléchir.

C'est donc sur cette réflexion que je voulais prendre le temps d'admirer cette magnifique salle où nous nous trouvons, la salle Jack Poole. Je pense que M. Poole - et je sais que certaines personnes présentes dans cette salle le connaissaient mieux que moi - aurait été ravi de me voir parler aujourd'hui dans le cadre de mes nouvelles fonctions. C'était certainement un homme qui comprenait fort bien la nécessité d'une réconciliation avec les peuples autochtones et qui a déployé des efforts exemplaires avec les quatre Premières nations hôtes durant les Jeux olympiques de 2010.

En tant que ministre de la Justice et procureur général, je suis la gardienne du système de justice canadien. Je ne vois pas quel plus grand honneur pourrait m'être fait, et je suis très touchée par l'ampleur de la responsabilité qui m'est confiée et de l'obligation de rendre compte qui m'incombe, mais aussi de l'occasion exceptionnelle qui m'est offerte. Cette occasion ne peut être saisie que grâce à un travail acharné et ciblé, et la collaboration avec d'autres - beaucoup d'autres.

Pour celles et ceux qui me connaissent, j'ai prôné le changement pendant la plus grande partie de ma vie. La façon dont j'ai été élevée, ma formation universitaire, mon expérience professionnelle et personnelle m'ont toutes aidée à forger ma vision du monde, la façon dont je travaille, ainsi que la perspective que j'ai de mon rôle de ministre et de la manière d'exercer ce rôle.

Dans le système politique autochtone dans lequel j'ai été élevée, c'est dans la grande maison que sont adoptées les lois et que se prennent les décisions importantes. Ce système n'est pas fondé sur des partis politiques, mais plutôt sur l'idée de consensus. Les questions sont débattues, et bien que tous ne peuvent pas s'entendre sur tous les aspects d'une décision à prendre, on cherche à arriver à un consensus et au besoin à un compromis afin d'assurer un équilibre dans la société. Cela permet de veiller à ce que les décisions prises soient durables et résistent au passage du temps. Peut être est ce parce que nous vivions dans de petits villages et que les gens ne quittaient pas, mais je pense plutôt que c'est parce que nous attachons de l'importance à l'avis de chacun et que chaque voix doit être entendue, pas seulement l'avis et la voix de quelques uns.

Il est vrai qu'un tel système se démarque fortement de l'environnement partisan dans lequel je me trouve maintenant. En ce qui me concerne, je ne pense pas pouvoir jamais m'habituer au genre de politique ou d'étiquette à la Chambre des communes, en particulier durant la période des questions. C'est à ce moment là que la politique partisane semble être le mot d'ordre et qu'elle va certainement à l'encontre de l'idée d'atteindre un consensus.

Cela dit, je crois fermement que la plupart des parlementaires veulent travailler ensemble. Lorsque nous travaillons dans un but commun et avec la même vision, nous pouvons réaliser de grandes choses.

Il est évident que les Canadiens veulent que les politiciens de tous horizons travaillent ensemble dans un esprit moins partisan, pas seulement au Parlement, mais aussi entre les différents paliers de gouvernement et à l'intérieur de chaque palier. Ceci m'est apparu très clairement durant la campagne électorale de onze semaines, et c'est pourquoi la réunion des premiers ministres qui a eu lieu ici à Vancouver cette semaine était, selon moi, si importante. Pas seulement parce que les premiers ministres sont arrivés à un consensus sur l'étude future des mécanismes d'établissement du prix du carbone, mais plutôt parce qu'ils se sont tout simplement rencontrés. C'est la première fois en plus de sept ans qu'un premier ministre a rencontré les premiers ministres.

Le message qui émerge clairement est que nous ne pouvons pas bâtir le Canada sans travailler ensemble, un message qui est amplifié lorsque nous écoutons et prenons compte de multiples voix.

Cette idée est au cœur de la vision de notre premier ministre et de ce que notre gouvernement veut accomplir, ainsi que de ma propre vision - notamment, en tant que Canadiens, nous devons continuer à embrasser l'incroyable diversité que représente le Canada, et à en tirer parti. Nous en sortirons plus forts économiquement, mais surtout socialement. C'est une lueur d'espoir dans un monde autrement troublé et divisé. Je sais que nous pouvons mieux faire en tant que pays. Et comment pouvons-nous faire mieux? Depuis la formation du gouvernement, notre équipe, elle même diverse, a commencé à revoir ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et comment nous pouvons mesurer le succès. Nous cherchons à déterminer ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et comment nous pouvons mieux faire les choses. Il ne s'agit pas de changer uniquement pour changer.

Pour commencer, nous élargissons le concept de réussite pour le porter au delà de la richesse économique afin d'y inclure le bien être physique et social, l'égalité et l'équité. En évaluant les résultats, nous cherchons à faire en sorte que tous les Canadiens partagent cette réussite. C'est très important.

Si une économie forte profite seulement à certains citoyens, on ne peut prétendre à une société juste. De plus, on sème ainsi les graines du mécontentement. Une économie forte doit toujours être considérée comme un moyen d'arriver à une fin, et non comme une fin en soi - et la fin, c'est d'obtenir une meilleure qualité de vie pour tous.

En ce qui concerne les priorités précises et la réalisation de la vision d'un Canada plus inclusif, mes priorités et celles de notre gouvernement ont été communiquées au public au moyen de la publication des lettres de mandat que le premier ministre a adressées à ses ministres. La communication au public des lettres de mandat des ministres fédéraux était sans précédent dans l'histoire du Canada. Cette communication reflète l'approche générale de notre gouvernement à l'égard des relations qu'il entretient avec les Canadiens, tout comme celles qu'il entretient avec d'autres paliers de gouvernements et au sein du gouvernement, soit d'être plus ouvert et transparent.

Pour contribuer à ces efforts, mon bureau cherche lui aussi à être plus ouvert et transparent, tout en étant efficace et efficient. Pour moi, ces concepts sont inséparables. En fait, il me semble évident que les Canadiens veulent prendre une part plus active à la manière dont leur pays est gouverné et tenir des discussions stratégiques de fond avec les décideurs sur les sujets qui les touchent ou les préoccupent. Je suis convaincue que le fait de travailler avec les Canadiens à mieux informer le Cabinet et à mieux informer le Parlement nous enrichira tous et nous permettra de concevoir de meilleures politiques.

Ainsi, dans l'ensemble du gouvernement, tant à l'externe qu'à l'interne, nous avons commencé à consulter et à écouter davantage. Les gens ne devraient pas assimiler le temps qui est consacré à la consultation ou à la réflexion à de l'inaction ou à de l'indécision, bien au contraire. Gouverner à l'ère moderne l'exige. Les gens peuvent participer de plusieurs façons différentes. De plus, l'accès à davantage d'informations leur permet de comprendre comment les décisions sont prises et de juger par eux mêmes si les décisions prises reflètent leurs valeurs. Ils peuvent aussi se demander ce qu'ils auraient fait dans la même situation et avec la même information.

Aussi, dans ma lettre de mandat, je suis chargée de veiller à ce que toutes les décisions prises par notre gouvernement et la législation proposée soient conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, à nos engagements et à nos valeurs en tant que Canadiens, et soient régies par eux.

Au Canada, comme nous le savons bien, l'expression juridique première de notre respect de la diversité est celle de la Charte, en vertu de laquelle, peu importe sa foi, son genre, son orientation sexuelle ou sa race, chaque personne est en mesure de se voir dans la constitution. Si vous travaillez fort et que vous vous conformez à la règle de droit, vous aurez toutes les chances de réussir, car vous saurez que vos institutions de bonne gouvernance vous protégeront et vous appuieront. À de nombreux égards, je vois mon rôle comme celui d'un ambassadeur de la Charte.

Dans ma lettre de mandat, je suis instruite également d'examiner la stratégie du Canada en matière de litiges. Dans le cadre de cet examen, j'ai déjà retiré des appels ou, encore, je remets en question la position de la Couronne dans plusieurs cas. Nous avons pris des mesures dans plusieurs affaires, y compris l'obligation pour le gouvernement de fournir des soins de santé aux réfugiés, le droit de porter le niqab lors des cérémonies de citoyenneté, les négociations collectives avec les syndicats du secteur public, l'abandon de l'appel de la décision d'accorder une libération sous caution à Omar Khadr et la décision de ne pas faire appel de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne concernant la discrimination dans les services de protection de l'enfance offerts aux enfants autochtones.

Mon mandat consiste aussi à effectuer un examen complet du système de justice pénale, y compris la réforme de la détermination de la peine des dix dernières années. Ce n'est pas une mince tâche. Notre société a clairement évolué au cours des dernières décennies. Les enjeux auxquels est confronté le Canada aujourd'hui sont nettement différents de ceux auxquels nous étions confrontés il y a cinq ans ou dix ans. Par conséquent, nous devons trouver de nouvelles et meilleures approches pour répondre efficacement à ces enjeux nouveaux.

Je traiterai maintenant de deux questions qui font les manchettes : la légalisation de la marijuana et l'aide médicale à mourir. Comme vous le savez probablement, notre gouvernement s'est engagé à légaliser, à réglementer et à limiter l'accès à la marijuana de façon prudente et ordonnée. Conformément à notre approche d'inclusion, nous prendrons tout le temps nécessaire pour bien faire les choses. Au cours des prochains mois, notre gouvernement mettra sur pied un groupe de travail provincial et fédéral qui entendra les experts du domaine et recommandera une approche particulière au Canada. Je travaillerai avec mon secrétaire parlementaire, M. Bill Blair, épaulé des ministres de la Santé et de la Sécurité publique, à la mise au point d'un système de réglementation stricte assortie de sanctions sévères pour éviter que la marijuana ne se retrouve entre les mains d'enfants et qu'elle ne profite aux criminels.

Ensuite, l'aide médicale à mourir - une autre question sociale et juridique très complexe. C'est une question que nous devons aborder sans tarder étant donné l'échéancier que nous a imposé la Cour. Beaucoup de choses ont changé depuis l'affaire Sue Rodriguez au milieu des années 1990. La Cour suprême du Canada a tranché dans le cas de Kay Carter et Gloria Taylor. Certes, il sera toujours difficile d'en arriver à une entente complète sur ces questions ou sur les enjeux en cause, mais nous devons nous efforcer d'en arriver à un consensus sur la réponse à présenter au Parlement au cours des mois qui viennent. Bien que nous ayons réussi à faire reporter de quatre mois le délai imposé par la Cour, nous devons trouver une solution d'ici le 6 juin, et nous y travaillons avec diligence.

En dépit des délais serrés, nous avons fait beaucoup de progrès. L'année dernière, les deux groupes externes d'experts fédéraux et provinciaux ont réuni des éléments de preuve et écouté les points de vue d'un large éventail d'experts canadiens et mondiaux. À la fin du mois dernier, le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir a publié ses recommandations. Il s'agit d'un comité parlementaire composé de députés et de sénateurs qui a entendu plus de 60 parties intéressées et témoins, et qui a reçu les observations de milliers de Canadiens de partout au pays. En ce moment, la ministre de la Santé et moi travaillons avec notre caucus, nos fonctionnaires et nos collègues parlementaires à l'élaboration d'une solution efficace.

Il y a tellement de questions auxquelles nous devons trouver une réponse. Quel type de régime servira le mieux les Canadiens? Comment pouvons nous protéger l'autonomie des Canadiens de prendre des décisions au sujet de leurs corps, tout en protégeant les plus vulnérables d'entre nous? Comment pouvons nous assurer l'accès d'un océan à l'autre, tout en protégeant aussi la liberté de conscience des médecins? Quel type de partenariat pourrait on établir avec les provinces et les territoires, et avec d'autres intervenants?

Il est clair que la meilleure façon de répondre à ces questions, c'est par une collaboration prudente et ouverte entre des personnes aux opinions divergentes, c'est en faisant appel à ceux qui sont les mieux placés pour nous aider à résoudre ces questions, c'est en rendant les renseignements pertinents facilement accessibles aux Canadiens et en rendant compte de nos progrès. Nous pouvons créer un environnement qui nous permettra de trouver la meilleure solution possible pour le Canada à cette question extrêmement délicate.

Passons maintenant brièvement à une autre question sur laquelle on me demande mon avis assez régulièrement : comment allons nous trouver le bon équilibre entre la sécurité et les libertés individuelles? Cette question était bien sûr brûlante au cours des dernières élections et elle continue de l'être à en juger par le projet de loi C-51, la Loi antiterroriste. Cette question est sur le radar de notre gouvernement. Je travaille actuellement avec le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Ralph Goodale, à examiner les parties problématiques du projet de loi C-51, en m'efforçant en même temps d'assurer la surveillance et la responsabilisation qui s'imposent. Nous tiendrons des consultations pertinentes sur notre régime de sécurité nationale, dont l'objectif est d'assurer la sécurité des Canadiens tout en protégeant nos droits et nos libertés, afin de trouver le juste équilibre.

Toutefois, l'enjeu le plus complexe de politique publique que notre gouvernement cherche à résoudre - mais qui s'impose et est attendu depuis longtemps - est la réconciliation véritable avec les peuples autochtones. Édifier la relation de nation à nation est au cœur de ce qui fait un Canada fort, et c'est une tâche qui a été confiée à tous les ministres, dans nos ministères respectifs et nos lettres de mandat. Nous devons trouver des solutions à long terme à des problèmes vieux de plusieurs décennies tout en déconstruisant l'héritage colonial et en élaborant, en partenariat complet avec les peuples autochtones, un nouveau cadre pour une réconciliation fondée sur la reconnaissance. Avec notre gouvernement, nous disposons de la volonté et de la direction politiques pour faire en sorte que cela devienne une réalité.

À l'avenir, l'une des questions juridiques les plus importantes que nous devons étudier est celle de savoir comment appliquer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et, plus particulièrement, le concept de consentement préalable, libre et éclairé. Cette déclaration reconnaît que les Autochtones possèdent à la fois des droits individuels et des droits collectifs. En fait, elle a été rédigée avec la participation d'un grand nombre de détenteurs de ces droits eux-mêmes, dont certains se trouvent dans cette salle. La participation dans la véritable prise de décisions est au cœur du concept de consentement préalable, libre et éclairé de la déclaration - selon lequel les peuples autochtones doivent être en mesure de participer à la prise de décisions au sujet de questions qui touchent leurs propres vies.

Il y a de nombreux aspects à cette question, ainsi que des perspectives divergentes et un certain nombre d'options. Ils demandent tous la création d'une nouvelle relation, prenant sa source dans l'article 35 et reflétant nos exigences constitutionnelles uniques ainsi que notre fédéralisme en pleine évolution forgé par les tribunaux.

Ce travail ne sera pas facile, de quelque bord que l'on soit et quelle que soit la perspective que l'on ait. Mais les choses qui en valent vraiment la peine sont rarement aisées. Ce travail devra survivre à la durée d'un seul gouvernement et exigera un haut niveau de consensus non partisan. Ma bonne amie et collègue la ministre Bennett a un rôle de premier plan à jouer dans ce travail de réconciliation, mais c'est de toute évidence également un rôle important pour tous les ministères, le mien en particulier.

Par exemple, le Canada est actuellement partie à plus de 45 000 procès, dont plus de 10 pour cent portent directement sur des questions autochtones. Bon nombre d'entre eux se tiennent ici en Colombie-Britannique. Ces affaires concernent tous les paliers de gouvernement et de nombreux domaines de compétence, comme la gestion des terres, la protection de l'enfance, ou l'environnement. Ces affaires soulèvent d'importantes questions quant à la façon dont nous nous voyons comme société et comme démocratie constitutionnelle. La position qu'adopte la Couronne dans ces affaires a une incidence sur le rythme auquel la réconciliation peut avoir lieu.

Par conséquent, dans le cadre de mon mandat de revoir la stratégie en matière de litiges, j'ai donné des instructions à mes fonctionnaires pour qu'ils demandent un délai supplémentaire dans un certain nombre de dossiers autochtones importants afin que la Couronne puisse réévaluer sa position.

Au-delà des litiges, il est aussi essentiel que nous ne nous contentions pas de procéder à de simples ajustements au système de la Loi sur les Indiens de l'administration fédérale, qui est défaillant. Nous devons plutôt examiner de manière holistique les mesures qui nous ont menés au point où nous en sommes et, en se fondant sur la reconnaissance, concevoir de nouveaux mécanismes pour appuyer les groupes autochtones lorsqu'ils sont prêts, désireux et capables de se gouverner eux-mêmes.

Nous ne pouvons pas refaire l'histoire, mais nous pouvons apprendre de celle ci, aller de l'avant et jeter les bases d'un avenir meilleur. Nous devons veiller à ce que les Autochtones puissent réaliser leur plein potentiel et contribuer pleinement à leurs collectivités, à l'économie et à la société dans son ensemble.

Pour moi, l'une des meilleures manières de comprendre le changement qui s'impose et d'appuyer la transition est d'affronter honnêtement et efficacement la tragédie nationale des femmes et des jeunes filles autochtones disparues et assassinées qui persiste.

De nombreuses femmes sont certainement victimes d'actes criminels, mais les problèmes s'étendent bien au delà de notre système de justice pénale. Pendant trop longtemps, les femmes et les jeunes filles autochtones ont été - et demeurent - un des groupes les plus vulnérables de la société. Et, assurément, c'est à la façon dont elle traite ses membres les plus vulnérables qu'on mesure à quel point une société est juste.

Notre gouvernement a maintenant tenu des réunions préliminaires partout au Canada avec des survivantes, des membres des familles et des proches des victimes, ainsi qu'avec des représentants des gouvernements provinciaux, territoriaux, et autochtones.

Ce travail sert maintenant à éclairer la nature et la portée de l'enquête, ainsi que les mesures à prendre par la suite, et celles que nous pouvons continuer de prendre maintenant. Ce que je peux vous dire c'est que l'enquête doit apporter une certaine mesure de justice aux familles et rendre hommage aux vies des femmes et des jeunes filles autochtones disparues et assassinées. De plus, elle étudiera les obstacles systémiques qui existent au sein de nos institutions tout en recherchant les causes profondes et les raisons d'une telle situation.

Alors que nous approchons du 150e anniversaire de la Confédération du Canada et du 35e anniversaire de la Charte, il n'y a pas de meilleure façon de célébrer l'esprit de ces jalons importants qu'en effectuant une réconciliation avec les Autochtones et en nous efforçant de terminer le travail inachevé de la Confédération. Nous pouvons et nous allons redéfinir notre relation de manière fondamentale. À vrai dire, la façon dont nous aborderons les questions autochtones dans ce pays fera partie, j'en suis convaincue, des réalisations mémorables de notre gouvernement.

Enfin, et dans le même ordre d'idées, j'aimerais parler des réformes du système de justice pénale que nous essayons de mettre en œuvre. Comme je l'ai mentionné auparavant, elles feront partie d'un réexamen global du système de justice pénale, lequel doit être fondé sur la preuve et les principes.

Dans ce contexte, nous allons nous pencher sur trois aspects de ces réformes.

Le premier est que notre système de justice pénale semble avoir davantage de répercussions sur les segments les plus vulnérables de notre population. Par exemple, et comme nous l'avons probablement tous lu dans le magazine Maclean's, nous savons que les Autochtones se heurtent au système de justice pénale en nombres incroyablement élevés.

Les Autochtones sont beaucoup plus à risque d'être arrêtés, poursuivis en justice et incarcérés que ne le sont le reste des Canadiens. L'an dernier, les Autochtones représentaient plus de 20 pour cent de la population carcérale fédérale, en dépit du fait qu'ils ne constituent seulement que 4 pour cent de la population du Canada.

Et le nombre ne fait qu'augmenter. Le nombre d'Autochtones placé sous les verrous a augmenté de 17 pour cent au cours des cinq dernières années - et de 112 pour cent pour les femmes. Selon les dernières données disponibles, plus de 36 pour cent des femmes adultes placées sous garde dans ce pays étaient autochtones. Il est clair que ce chiffre est neuf fois trop élevé.

En tant qu'ancienne procureur de la Couronne, je ne connais que trop bien cette histoire. Une jeune personne - trop souvent un jeune homme autochtone - commet un crime non violent contre les biens, met le pied dans le système de justice et n'en ressort jamais. Elle se fait prendre dans le cercle vicieux des comparutions devant les tribunaux, des ordonnances judiciaires, du non respect d'ordonnances et des retours en établissement de détention. Cette jeune personne finit par passer plus de temps derrière les barreaux que dans sa communauté, et elle a peu d'espoir de briser le cycle.

Il est évident que l'examen de notre système de justice pénale ne pas doit être uniquement centré sur la manière dont nous traitons les Autochtones. En vérité, de nombreux délinquants souffrent à la fois de problèmes de santé mentale et de toxicomanie; près de 80 pour cent des délinquants sous responsabilité fédérale ont eu ou ont des problèmes de toxicomanie. Certaines études indiquent que les deux tiers de tous les crimes sont commis sous l'influence de l'alcool ou de la drogue.

Alors, imaginons un Canada dans lequel le système de justice tient mieux compte des besoins de tous les Canadiens. Et si la première interaction d'un délinquant avec le système de justice pénale n'était pas la première d'une longue série? Et si cette interaction déclenchait plutôt des mécanismes conçus pour s'attaquer aux facteurs qui ont suscité les comportements criminels en premier lieu? Et si nous mettions en place de manière intentionnelle et délibérée des voies de sortie du système afin que la première interaction d'une personne avec le système de justice lui ouvre des solutions qui feraient en sorte que cette interaction soit aussi la dernière?

Il est évident que nous devons trouver des solutions novatrices, et ces solutions existent. L'une d'entre elles consisterait à recourir davantage à des mesures de justice réparatrice et à des mesures de rechange à l'incarcération, lorsque les circonstances le permettent, comme les cercles de détermination de la peine. Ces mesures cherchent à faire de la victime et du contrevenant des participants actifs dans la quête de justice. Elles mettent l'accent sur la réparation de la relation entre la victime et le contrevenant. Les victimes ont une voix puissante, et ce processus leur permet de guérir, sans perdre de vue le fait que le contrevenant doit absolument assumer la responsabilité de ses actes.

Ces mesures se sont montrées efficaces. En 2011, un rapport du ministère de la Justice a conclu que les Autochtones qui suivaient un programme communautaire comme solution de rechange au système de justice traditionnel étaient bien moins susceptibles de récidiver que ceux qui n'avaient pas suivi ce programme.

Une autre façon novatrice de briser le cycle peut aussi consister à avoir recours à des tribunaux spécialisés, comme les tribunaux des Premières Nations, les tribunaux communautaires et les tribunaux de traitement de la toxicomanie.

Les tribunaux communautaires utilisent la gestion des cas pour aider les contrevenants à effectuer des changements de comportement à long terme. Ici à Vancouver, le tribunal communautaire du centre-ville (ou Downtown Community Court) entend une grande variété d'affaires, sauf les plus graves, et adapte la peine au contrevenant et à l'infraction commise.

Des tribunaux comme les Tribunaux de traitement de la toxicomanie (ou Drug Treatment Courts), également établis ici à Vancouver intègrent les organismes offrant des services de justice, de santé et des services sociaux afin de tenter de modifier le comportement du contrevenant. Une étude de ces tribunaux a montré que le risque de récidive parmi les participants a été réduit de plus de cinquante pour cent.

Les mesures de justice réparatrice telles que les programmes de justice réparatrice et les tribunaux spécialisés travaillent davantage dans un esprit de collaboration et d'inclusion, tiennent compte davantage du facteur culturel et ont tendance à mieux répondre aux besoins des populations qu'ils servent. De plus, comme ils cherchent à résoudre le problème qui est à la source du comportement, plutôt que de chercher à punir, ils peuvent procurer aux contrevenants une voie de sortie du système, lorsque cela convient.

Le deuxième aspect que nous allons examiner soigneusement est ce que nous choisissons de définir comme une infraction criminelle, tout en restant vigilants à l'égard des infractions de nature grave, afin de veiller à ce que les ressources soient affectées aux bons endroits. Notre système continue d'être enlisé par des affaires concernant un comportement non violent relativement mineur et des infractions contre l'administration de la justice, souvent commises par un groupe de contrevenants prolifiques dont le comportement criminel est attribuable à plusieurs facteurs comme la toxicomanie ou des problèmes de santé et des problèmes sociaux. Il conviendra d'examiner soigneusement la manière dont le système de justice pénale réagit à ce genre de comportement.

Pour ce faire, nous pourrions examiner la façon dont nous traitons les criminels ou, par exemple, notre manière de répondre sur le plan de la détermination de la peine. Il faudra aussi étudier le rôle important que joue le pouvoir discrétionnaire dans le système de justice pénale.

À l'heure actuelle, le système de justice consacre la majeure partie de ses ressources aux infractions contre l'administration de la justice, comme le défaut de comparaître devant le tribunal ou la violation des conditions de libération. En 2009, elles représentaient 21 pour cent de tous les cas et ont coûté aux contribuables environ 729 millions de dollars. Et la plupart d'entre elles concernaient des récidivistes chroniques pris dans le cercle vicieux dont j'ai parlé plus tôt. Il est évident que ce n'est pas une bonne situation.

Seul un examen attentif des infractions que nous rangeons dans la catégorie des infractions criminelles nous permettra de réorienter nos efforts et les ressources que consent le système de justice pour traiter des crimes graves. Cet examen pourrait avoir l'incidence la plus importante et produire les meilleurs résultats pour les Canadiens dans le cadre de la réforme de notre système de justice.

Le troisième et dernier aspect auquel nous devons réfléchir est la rapidité avec laquelle le monde change. Le système de justice pénale doit suivre le rythme de ce changement afin de répondre aux besoins de notre société.

Par exemple, les technologies offrent de nouvelles avenues pour les criminels. Les données statistiques suggèrent que la cybercriminalité est en hausse au Canada. Entre 2011 et 2013, la GRC a constaté une augmentation de 40 pour cent des signalements d'incidents de cybercriminalité. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, 1,75 million de Canadiens ont affirmé avoir été victimes de cyberintimidation, mais seulement 7 pour cent ont signalé l'incident à la police.

Les problèmes comme la cybercriminalité, la cyberfraude, les crimes en ligne contre les enfants et les mineurs, ainsi que la protection de la confidentialité en ligne n'ont jamais été aussi présents. Notre système de justice doit se pencher sur ces nouvelles réalités et être en mesure de réagir rapidement tout en demeurant fidèle aux valeurs canadiennes.

Avant de conclure, permettez-moi de dire ceci. Notre société en constante évolution repose sur notre système de justice. Le droit civil et la common law doivent continuer de traduire nos valeurs et doivent évoluer au même rythme que notre société. Il en est de même pour les lois adoptées par le Parlement et par les autres corps législatifs. Il nous faut un système vivant de gouvernance à plusieurs niveaux et de fédéralisme coopératif, parallèle à une magistrature indépendante.

Pour assurer le succès continu du Canada, nous devons inclure de multiples voix dans la conversation au sujet du genre de pays que nous voulons, et y faire participer toujours davantage ceux qui n'avaient peut-être pas pris part à cette conversation auparavant. Je suis convaincue que leur participation débouchera sur des résultats plus riches - des résultats éclairés, fondés sur la diversité des perspectives. C'est de cette manière que nous trouverons des solutions et bâtirons un Canada plus fort.

Comme je l'ai dit, c'est un véritable honneur pour moi d'être ministre de la Justice et procureur général du Canada en cette période extrêmement importante de notre histoire, et je suis ravie de pouvoir redonner à notre pays en exerçant une charge publique. À cet égard - et je regarde en ce moment M. Basran, notre directeur général régional de Colombie-Britannique - je voudrais exprimer ma reconnaissance aux milliers de fonctionnaires de mon ministère. Leur travail non seulement m'épaule dans mon rôle, mais aussi, et c'est plus important, protège l'intégrité du système de justice, lequel protège à son tour notre mode de vie.

J'ai de grandes ambitions pour notre pays. Je sais que ce pays n'a pas encore atteint son plein potentiel et que le travail n'est pas terminé. Je suis consciente de l'urgence d'agir rapidement et de produire dès aujourd'hui des résultats significatifs pour les Canadiens, mais nous devons nous assurer de bien faire les choses. C'est en travaillant ensemble que nous pouvons et nous allons faire une différence.

Gilakas'la. Je vous remercie de m'avoir accueillie ici aujourd'hui.

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