L’atelier de recherche sur les revendications nationales

Présentation par Nancy Bélanger, avocate générale et directrice des Services juridiques, Commissariat à l’information du Canada

Vancouver, C.-B.
Le 4 octobre 2016

La version prononcée fait foi.

Merci de l’invitation, et à M. Di Gangi. Je suis ravie d’être ici. La présentation est en anglais, mais s’il y a des francophones, n’hésitez pas.

Introduction

Comme plusieurs d’entre vous le savent, la semaine dernière nous avons célébré la Semaine du droit à l’information. Le 28 septembre est traditionnellement reconnu comme la Journée internationale du droit à l’information. Cette journée a également été reconnue par l’UNESCO comme « Journée internationale de l’accès universel à l’information ». Cette année, nous célébrons le 250e anniversaire de la toute première loi sur l’accès à l’information, qui a été adoptée en Suède et en Finlande.

Il est établi depuis longtemps au Canada que l’accès à l’information est un droit quasi constitutionnel.

La Cour suprême du Canada, dans la cause Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23 conclut que, bien que la protection garantie par l’alinéa 2b) vise la liberté d’expression, l’accès à l’information « est un droit dérivé qui peut intervenir lorsqu’il constitue une condition qui doit nécessairement être réalisée pour qu’il soit possible de s’exprimer de manière significative sur le fonctionnement du gouvernement ».

Ce droit existe indépendamment et en plus des droits conférés par les régimes d’accès à l’information.

Le droit à l’accès à l’information est essentiel à une démocratie saine.

Comme l’a observé Alasdair Roberts dans un document soumis au Commissariat il y a quelques années, pour avoir un régime d’accès à l’information sain, il faut notamment la présence d’un groupe bien organisé d’intervenants non gouvernementaux qui sont en mesure de cerner et de communiquer les points faibles de la loi, de vérifier si le gouvernement régresse lorsqu’il est question d’assurer l’accès à l’information, et de recommander des éléments nouveaux, en vigueur dans d’autres régions, à adjoindre à la loi et aux pratiques exemplaires.

Bon nombre d’entre vous avez assumé ces fonctions pendant plusieurs années, tant au palier provincial que fédéral. Je note par exemple la présentation commune au Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique préparée par les directeurs canadiens des unités de recherche sur les revendications au sujet de l’expérience de l’accès à l’information par les Premières Nations.

Merci d’avoir préparé cette présentation. Il est important, voire crucial, que vous continuiez de prôner la transparence et la responsabilité. Charlie Angus, député de Timmins-Baie James, nous a parlé la semaine dernière du nombre de demandes qu’il présente en vertu de la Loi sur l’accès à l’information pour exiger des comptes au gouvernement sur les promesses que ce dernier a faites aux groupes autochtones, surtout en ce qui a trait à l’éducation des enfants. Son expérience incarne sans équivoque toute l’importance de l’accès à l’information au Canada.

Au Commissariat à l’information du Canada, notre travail consiste à protéger le droit des Canadiens à l’accès à l’information.

Et il y a plusieurs développements intéressants dans notre domaine de travail.

Je vais vous parler de certaines réussites récentes et des dossiers à venir qui sont à surveiller.

L’année qui vient de s’écouler et quelques réussites

Au cours des derniers mois, nous avons assurément vu de profonds changements se produire par rapport aux années précédentes.

En octobre 2015, nous avons été témoins de l’élection d’un nouveau gouvernement fédéral dont la plate-forme électorale était axée sur l’ouverture et la transparence.

Peu après, le nouveau gouvernement a publié les lettres de mandat de tous les nouveaux ministres, une première à l’échelle fédérale.

Le premier ministre a donné des directives claires à la ministre de la Justice et au président du Conseil du Trésor. Ces derniers doivent présenter un projet de loi visant à modifier la Loi sur l’accès à l’information afin d’étendre le champ d’application de la Loi aux cabinets des ministres ainsi qu’à l’administration du Parlement et des tribunaux, et conférer au commissaire le pouvoir d’émettre des ordonnances.

En mars 2016, M. Brison a annoncé que la réforme de la Loi se ferait en deux phases. La première phase consisterait à déposer au Parlement un projet de loi en accord avec les lettres de mandat, avec quelques ajouts mineurs. La deuxième phase, qui débuterait en 2018, comprendrait un examen plus approfondi de la Loi. Pas plus tard que la semaine dernière, lors d’une activité de la Semaine du droit à l’information, il a rappelé qu’un projet de loi serait déposé cet hiver et que celui-ci respecterait les lettres de mandat.

En mai, le ministre a annoncé une nouvelle directive visant à éliminer tous les frais, à l’exception des droits initiaux de 5 $. Cette annonce fait suite à une décision de la Cour fédérale, Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Procureur général), 2015 CF 405, qui a souscrit à notre position et statué que le gouvernement fédéral ne pouvait plus exiger de droits pour donner accès à des documents électroniques en vertu du règlement actuel.

Au printemps de cette année, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes a entrepris un examen approfondi de la Loi. Le travail du Comité a été inspiré par le rapport spécial de la commissaire au Parlement, Viser juste pour la transparence, qui renfermait 85 recommandations pour moderniser la Loi

En juin, le Comité a publié un rapport sur la façon de moderniser la Loi qui comprenait 32 recommandations. Il a exhorté le gouvernement à donner suite à une importante série de recommandations dans la première phase, notamment :

  • Élargir la portée de la Loi
  • Établir une obligation légale de documenter, avec des sanctions appropriées en cas de non-conformité
  • Permettre aux institutions de refuser de traiter les demandes de nature frivole et vexatoire
  • Fournir des renseignements aux demandeurs dans un format ouvert, réutilisable et accessible
  • Mettre en œuvre des prorogations limitées dans le temps
  • Abolir les droits de 5 $, mais rétablir les droits pour les demandes volumineuses
  • Remplacer toutes les exclusions par des exceptions
  • Mettre en œuvre une dérogation au motif de l’intérêt public assortie d’une liste de critères non exhaustive
  • Ajouter une nouvelle disposition relative aux avis et aux recommandations
  • Modifier l’exclusion pour les documents confidentiels du Cabinet
  • Conférer au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances, avec un veto du ministre pour les questions de sécurité nationale, sous réserve d’un contrôle judiciaire

Le nouveau gouvernement a publié son troisième plan d’action dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement transparent; un de ses engagements était la modernisation de la Loi sur l’accès à l’information.

Concernant le problème des retards, le talon d’Achille du système fédéral d’accès à l’information, une décision de la Cour d’appel fédérale a établi un précédent; dans la cause Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2015 CAF 56, la disposition de la Loi portant sur les prorogations a enfin fait l’objet d’une interprétation.

Le concept de prorogation raisonnable a été clarifié par la Cour et a entraîné une meilleure discipline parmi les institutions. La Cour a clairement exprimé qu’une prorogation déraisonnable n’était pas valide et équivalait à un refus d’accès. Il y a donc maintenant une plus grande discipline dans la prise de prorogations.

L’enquête du Commissariat sur ces dossiers a été nettement simplifiée. À cette même date l’an dernier, nous avions fermé 226 dossiers, alors que cette année nous en sommes à 333.

Nous avons également obtenu une décision de la Cour fédérale qui se prononce sur l’exercice adéquat de la discrétion, Commissaire à l’information c. Ministre du Transport Canada, 2016 CF 338.

La Cour conclue que les institutions ne peuvent pas simplement indiquer qu’elles ont considéré tous les facteurs pertinents lors de leur exercice de la discrétion; elles doivent de façon concrète démontrer les facteurs considérés. Elles doivent également expliquer en détails qu’elles ont considéré les propositions et facteurs en faveur de la divulgation, et en particulier ceux proposés par la commissaire.

Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, le Commissariat a finalement reçu un financement supplémentaire pour le présent exercice afin de traiter le nombre considérable de plaintes. Jusqu’à présent, nous avons terminé plus d’enquêtes cette année que l’an dernier (997 comparativement à 507).

Il y a eu une évolution complète aux plans de la collaboration, du respect et de la volonté de résoudre les problèmes.

Ce sont là des éléments importants qui méritent d’être reconnus.

Qu’est-ce qui nous attend cette année?

La première chose à surveiller est la réponse du gouvernement fédéral au Comité, qui doit être déposée d’ici le 17 octobre. Cela préparera le terrain pour la première phase de modifications de la LAI.

Certaines causes importantes suivent également leur cours devant les tribunaux.

Tout d’abord, l’affaire Fontaine et al. c. Canada (Procureur général) et al. (CSC 37037).

Cette affaire influera sur certaines de nos enquêtes en cours.

Le 6 août 2014, dans son rôle de supervision de la mise en application de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI), le juge Paul Perell a déterminé que les documents et, en particulier, les descriptions circonstanciées des mauvais traitements qu’ont subis des survivants des pensionnats indiens utilisés dans le règlement des réclamations individuelles dans le cadre du processus d’évaluation indépendant (PEI) établi par la CRRPI n’étaient pas des documents gouvernementaux assujettis aux lois fédérales, notamment la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information.

Cette décision a été portée en appel. La Cour d’appel a essentiellement souscrit à la décision du juge Perell.

Le 31 mai 2016, la procureure générale du Canada a déposé une demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada. Nous sommes en attente d’une décision.

Une autre cause importante est l’affaire Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta c. Conseil d’administration de l’Université de Calgary (CSC 36460).

Comme vous le savez, dans cette cause, l’Université de l’Alberta a contesté la capacité du Commissariat d’examiner des documents à l’égard desquels le privilège du secret professionnel de l’avocat a été revendiqué. La Cour d’appel de l’Alberta a souscrit à la position de l’Université.

La commissaire de l’Alberta a demandé et obtenu l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a entendu l’appel le 1er avril 2016 et l’affaire est en délibéré. Certains commissaires ont le statut d’intervenant dans cette affaire.

Nous savons que cette exception est régulièrement utilisée de façon exagérée. Sans la capacité d’examiner les documents, cette exception pourrait devenir la prochaine brèche importante dans nos lois sur l’accès à l’information.

Une autre affaire importante et intéressante est celle de Construction de Défense Canada c. UCANU (A-414-15), qui sera entendue par la Cour d’appel fédérale.

Construction de Défense souhaitait invoquer une exception obligatoire additionnelle en vertu de l’article 24 de la Loi qui renvoie à l’article 30 de la Loi sur la production de défense (LPD) cinq jours avant l’audience de la Cour fédérale. L’article 30 de la LPD dit que les renseignements recueillis sur une entreprise dans le cadre de la présente loi ne peuvent être communiqués sans le consentement de l’exploitant de l’entreprise.

Si l’exception soulevée était valide, elle permettrait de retenir tous les documents en question.

La Cour fédérale a conclu que Construction de Défense Canada (CDC) n’avait pas le droit d’invoquer l’exception obligatoire supplémentaire permettant de soustraire à la communication les autres documents.

En septembre 2015, le gouvernement a déposé un avis d’appel auprès de la Cour d’appel fédérale. En décembre 2015, la Cour d’appel fédérale a accordé au Commissariat le statut d’intervenant dans l’instance. La seule question en appel est de savoir si une institution devrait être autorisée à soulever des exceptions obligatoires supplémentaires après une enquête.

L’affaire sera entendue à Ottawa le 1er novembre 2016 devant la Cour d’appel fédérale.

Mot de la fin

Les Canadiens et la Canadiennes s’intéressent de plus en plus à ce que fait leur gouvernement et à la présentation de demandes d’accès à l’information. Le système change, comme en fait foi l’augmentation de demandes provenant du public. Nous constatons la même chose en ce qui concerne les plaintes. Le nombre de demandes a doublé au cours des dernières années.

Il est considéré qu’un bon accès à l’information augmente la compétitivité, l’innovation et l’efficacité en facilitant la communication de l’information entre le gouvernement, l’industrie et les citoyens.

Il est essentiel de se rappeler qu’il s’agit là de la base. C’est cette toile de fond qui nous aidera à mesurer le caractère adéquat de nos lois en matière d’accès à l’information, et la capacité de notre gouvernement à les administrer.

Tellement de choses ont changé depuis les débuts de nos lois sur l’accès. Nous disposons de nouvelles technologies : passant des supports papier aux ordinateurs centraux, aux messages textes et à l’infonuagique, entre autres choses.

Nous avons de nouvelles structures gouvernementales : nous sommes passés des gouvernements centralisés aux organismes de services spéciaux, aux entités semi-commerciales et aux sociétés d’État.

Nos lois actuelles ne protègent pas notre droit à l’information, et n’établissent pas un équilibre entre le droit du public à l’information et la nécessité pour le gouvernement de protéger l’information.

En cette nouvelle ère de « résultologie », nos gouvernements tiendront-ils leurs promesses? Verrons-nous des réformes concrètes s’attaquer réellement à des lacunes bien déterminées?  Tel le thème de votre conférence, s’agit-il d’une simple rhétorique ou aurons-nous une résolution?

Bien que nous ayons constaté des avancées majeures au cours des derniers mois, les véritables réformes doivent toujours être présentées au Parlement.

Le véritable test est à venir, et nous devons poursuivre notre engagement, notre vigilance, notre résilience, à obliger nos gouvernements à rendre des comptes et à insister pour qu’ils protègent adéquatement notre droit à l’information.

Les Canadiens et le Canadiennes en veulent davantage et ils le méritent.

Merci.