Abandon du service de télévision analogique – La fin d’une époque pour CBC/Radio-Canada

John Lee

John Lee est le Directeur général des Services technologiques aux médias de CBC/Radio-Canada. Il occupe ce poste depuis 2009, après huit années passées comme Directeur, Réseaux de diffusion et de télécommunications, Technologies de Radio-Canada.

Le 31 juillet 2012 sera une date à marquer d’une pierre blanche pour CBC/Radio-Canada, car ce sera la fin du service français et anglais de télévision analogique hertzienne au pays.

Suivant l’exemple donné par les Pays-Bas en 2006, de nombreux pays européens sont déjà passés à la télévision numérique (TVN) et ont mis hors service leurs systèmes de transmission analogique. La Commission européenne avait recommandé à ses membres de terminer le passage au numérique au plus tard en janvier 2012. Les États-Unis ont mis fin à leur service analogique en juin 2009, bien que certaines stations émettrices de faible puissance aient été autorisées à demeurer en service.

L’épopée de la télévision analogique hertzienne, qui s’est échelonnée sur près de six décennies, a connu de nombreux rebondissements. La station CBFT-Montréal, alors à vocation bilingue, est entrée en service en septembre 1952, en même temps que la station de langue anglaise CBLT-Toronto. L’année suivante, la première station de télévision privée, CKSO-TV Sudbury, entrait en ondes. L’ouverture de CBMT-Montréal en 1953 a permis à CBFT de se consacrer uniquement à la programmation en français. En 1955, 66 % de la population canadienne pouvait capter la télévision en noir et blanc par voie hertzienne. C’est à cette époque que CBC/Radio-Canada a construit le premier réseau pancanadien à micro-ondes, lequel allait permettre à tous les Canadiens de vivre une expérience commune en même temps, grâce à des émissions comme Hockey Night in Canada (HNIC). La télévision couleur a fait ses débuts en 1966. En 1967, CBC/Radio-Canada a été le diffuseur hôte d’Expo 67 qui s’est tenue à Montréal ainsi que des Jeux panaméricains qui ont eu lieu à Winnipeg la même année.

Winlaw, Colombie-Britannique

C’est également en 1967 que sont apparus les télé-émetteurs d’avant-poste, technologie permettant à des émetteurs de télévision autonomes de relayer des émissions enregistrées à vingt et une communautés du Grand Nord. La location en 1972 de trois transpondeurs sur le premier satellite lancé par Telesat, Anik A1, a largement contribué à l’amélioration du service offert aux territoires du Nord et au reste du Canada, alors une nécessité. On a pu ainsi commencer à diffuser des émissions de télévision en direct dans le Nord en février 1973. En 1999, CBC/Radio-Canada a d’ailleurs reçu un prix Emmy soulignant le travail de pionnier qu’elle avait accompli en utilisant les installations de satellite pour distribuer de manière permanente ses signaux de télévision.

En 1974, reconnaissant que des centaines de communautés au pays n’étaient pas incluses dans la couverture des services de télévision et de radio, et qu’aucun autre moyen technique n’existait pour combler cette lacune, le gouvernement fédéral débloque une enveloppe pour financer la réalisation du Plan de rayonnement accéléré (PRA) de CBC/Radio-Canada, qui devait s’échelonner sur plusieurs années. En vertu de ce plan, les communautés d’une des deux langues officielles comptant au moins 500 habitants devenaient admissibles à la construction d’un nouveau réémetteur de radio ou de télévision relayant un signal dans leur langue. Tous les fonds affectés au Plan de rayonnement accéléré ont servi à étendre la couverture du service, puisqu’aucun autre financement n’avait été octroyé pour accroître les activités de production ou la construction de nouvelles installations de production.

Dans le cadre du PRA, réalisé de 1974 à 1984, CBC/Radio-Canada a considérablement étoffé les activités de l’Ingénierie, notamment par l’embauche massive de personnel, l’achat d’équipements en nombre, ainsi que la planification et la conception de nouveaux émetteurs de télévision et de radio destinés aux régions éloignées et du Grand Nord. La plupart de ces émetteurs étaient alimentés par des stations terriennes en bande C et des récepteurs de signaux de satellite analogiques. La conception des nouveaux émetteurs a commencé par des études de carte, qui ont été suivies par l’élaboration de diagrammes de couverture, le choix de sites, la préparation de devis détaillés et de mémoires techniques, puis l’installation, la mise en service et les essais d’équipement. La mise en service a rapidement suivi.

À plusieurs endroits, la logistique a été dictée par les contraintes du terrain et du climat :

  • Certains sites n’étaient accessibles que par embarcation, par hélicoptère ou par route de glace.
  • La majorité des sites étaient alimentés à l’électricité, sauf de très petites installations qui utilisaient le diesel, l’énergie solaire ou le propane.
  • À certains endroits exposés à des vents forts, il a fallu fixer les pylônes et les bâtiments au sol avec des haubans, ailleurs, on a dû aménager des sorties sur le toit des bâtiments pour permettre l’évacuation des occupants en cas d’accumulations importantes de neige.
Travailleurs Ste Adelme, Québec

En tout, le PRA a permis la mise en service de plus de 600 émetteurs de radio et de télévision dans les communautés admissibles, dont plus de 100 dans le Grand Nord, réalisant ainsi l’intégration de ces populations avec le reste du pays. La diffusion analogique par voie hertzienne était le principal moyen technologique utilisé par CBC/Radio-Canada pour offrir ses émissions de télévision à tous ses auditoires.

Pendant ces années, le parc d’abonnés du câble a pratiquement doublé au Canada, le taux de pénétration qui était d’environ 35 % en 1974 atteignait 60 % en 1984. Les services de télévision hertziens n’ont pas eu de véritable concurrence avant que la société Canadian Satellite Communications (CANCOM) n’obtienne une licence d’exploitation en 1981. CANCOM a alors commencé à distribuer aux systèmes de câblodistribution du Nord les services de radio et de télévision du Sud du pays, puis un peu plus tard, les services américains. Les Canadiens de partout au pays avaient enfin un éventail de choix.

Après plusieurs faux départs, les services de radiodiffusion directe (SRD) ont fait leur apparition au Canada en 1997, suivant le lancement des satellites Nimiq par Bell ExpressVu, aujourd’hui connue sous la dénomination de BellTV. Le service StarChoice de Shaw (aujourd’hui ShawDirect), couplé aux satellites Anik, a été lancé autour de la même période. La distribution par satellite livrait désormais concurrence à la distribution par câble et par voie hertzienne. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a officiellement ouvert l’ère de la télévision numérique en publiant l’avis CRTC 2002-311, puis l’avis CRTC 2003-612. À l’époque, on avait annoncé la fin de la diffusion analogique au Canada, mais rien de concret n’avait été arrêté avant la publication de l’avis CRTC 2007-533, qui fixait au 31 août 2011 l’abandon du service analogique.

Au terme de nombreuses années de planification, CBC/Radio-Canada a finalement achevé la construction de 27 émetteurs de télévision numérique en 2011 et en 2012. Grâce à ces émetteurs installés dans les grands marchés canadiens où elle produit de la programmation originale, la Société joint plus de 80 % de la population canadienne. Le signal numérique de 19,2 Mbps transmis par voie hertzienne offre une image d’une netteté exceptionnelle couplée à un signal audio multivoie, et est de loin plus robuste que le signal de télévision analogique qu’il remplace.

Murdochville, Québec

Aujourd’hui, au Canada, la distribution de la télévision est assurée par une diversité de moyens techniques. Le câble, à 55 %, demeure le plus populaire, suivi de la distribution par satellite (26 %), la télévision sur IP (8 %) et la télévision hertzienne (environ 5 %), seulement 6 % environ de la population ne recevant pas de services de télévision. Désormais, les radiodiffuseurs doivent alimenter quatre types d’écran : les grands écrans de télévision HD, les tablettes électroniques, les ordinateurs et les téléphones intelligents. Comme l’objectif demeure d’offrir aux Canadiens du contenu d’intérêt au gré de leurs besoins et des plateformes qu’ils utilisent, les radiodiffuseurs doivent composer avec le foisonnement de la technologie.

Il fut un temps où le service de télévision analogique hertzien remplissait ce rôle fédérateur auprès des Canadiens en leur permettant de participer au concert des voix à l’échelle du pays. Aujourd’hui, le dialogue s’avère une expérience beaucoup plus riche, mise en scène par une diversité de moyens de distribution, dans les médias sociaux ainsi que sur de nombreuses autres tribunes. Le service analogique hertzien est aujourd’hui largement dépassé sur le plan technique.

Nous nous apprêtons à tourner une page d’histoire, mais tous ceux qui ont contribué à bâtir et à entretenir le service de télévision analogique hertzien, et tous les Canadiens qui ont compté sur ce moyen de distribution pendant toutes ses années d’existence s’en souviendront


[1] http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2002/pb2002-31.htm

[2] http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2003/pb2003-61.htm

[3] http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2007/pb2007-53.ht

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