Libertarianisme

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Ne doit pas être confondu avec Libertaire ou Libéralisme.
Charles Murray auteur du livre intitulé What It Means to be a Libertarian.

Le libertarianisme, aussi appelé libertarisme (à ne pas confondre avec libertarisme de gauche et libertaire), est une philosophie politique pour laquelle une société juste est une société dont les institutions respectent et protègent la liberté de chaque individu d’exercer son plein droit de propriété sur lui-même ainsi que les droits de propriété qu’il a légitimement acquis sur des objets extérieurs[1]. Issue du libéralisme, elle prône donc, au sein d'un système de propriété et de marché universel, la liberté individuelle[2] en tant que droit naturel. La liberté est conçue par le libertarianisme comme une valeur fondamentale des rapports sociaux, des échanges économiques et du système politique.

Les libertariens se fondent sur le principe de non-agression[3] qui affirme que nul ne peut prendre l'initiative de la force physique contre un individu, sa personne, sa liberté ou sa propriété. De fait, ses partisans, les libertariens, sont favorables à une réduction voire à la disparition de l'État (antiétatisme) en tant que système fondé sur la coercition, au profit d'une coopération libre et volontaire entre les individus, avec un État limité à des fonctions régaliennes.

Robert Nozick (1938-2002), Murray Rothbard (1926-1995) et Charles Murray[4] (1943-) font partie des principaux auteurs nourrissant cette doctrine.

Histoire et origines[modifier | modifier le code]

Gadsden flag, symbole des libertariens
Gadsden flag, symbole des libertariens.

Les idées défendues par les libertariens américains trouveraient leur origine en Europe : leur paternité est attribuée, notamment par Murray Rothbard, au belge Gustave de Molinari, lequel ne fit que pousser le raisonnement de l'État régalien de son maître à penser, le député libéral français Frédéric Bastiat, jusqu'à sa limite logique et cohérente concluant à une concurrence entre micro-communautés.

Le mot « libertarien » est l'adaptation en français de l'anglais « libertarian », lui-même traduction anglaise du français « libertaire ». Ce néologisme a été inventé afin de distinguer les libertariens des libéraux des États-Unis (lesquels sont estimés à gauche de l'échiquier politique des États-Unis, voir libéralisme contemporain aux États-Unis), le libertarianism se faisant le promoteur d'un marché sans entrave (voir libre marché) au nom de la liberté individuelle.

Le Parti libertarien, se réclamant de ce courant de pensée, est né en 1971 aux États-Unis, avec la publication du livre de Robert Nozick, Anarchie, État et utopie, qui critiquait la Théorie de la justice de John Rawls et notamment son « principe de différence » (difference principle (en))[5].

Au début du XXe siècle, le parti libéral britannique, au pouvoir, pratiquait des politiques de plus en plus étatistes. L'évolution se poursuivit dans les années 1920, au cours desquelles l'économiste John Maynard Keynes redéfinit un nouveau libéralisme. Dans les années 1950, à la suite de la répression politique opérée par le maccarthysme, les socialistes américains, dans la tradition de la social-démocratie, se sont massivement affirmés « liberals », reprenant la tradition keynésienne[6].

Le mot liberal, aux États-Unis en étant venu à désigner les progressistes favorables à l'intervention de l'État dans l'économie, des libéraux américains (au sens original du terme) ont repris à leur compte le mot libertarian, qui aux États-Unis n'avait pas la même connotation que libertaire en France (originellement, ce terme a été forgé par opposition au terme « libéral » par Joseph Déjacque[7]). Le mot libertarian s'est depuis implanté en Grande-Bretagne (où il avait des connotations d'anarchisme socialiste), fort de toute la littérature libertarian déjà existante.

Dans les années 1970, Henri Lepage, en traduisant le terme libertarian, et en l'absence de littérature libertarian francophone, n'a pas voulu risquer l'amalgame avec les libertaires, et a donc préféré utiliser « libertarien »[8]. Les libertarian francophones du Québec ont repris le terme « libertarien », phonétiquement proche de l'américain libertarian.

Certains libéraux/libertariens considèrent l'usage du terme comme un anglicisme et une erreur, puisqu'en France, le terme « libéral » ne prête pas à confusion (même s'il a pris un sens plus large) puisque ceux qui s'en réclament défendent bien le libre-échange et ceux qui s'y opposent le font sur cette base. Ils relèvent notamment la tradition de libéraux comme Frédéric Bastiat dont ils se réclament. Ils préfèrent donc se dire tout simplement libéraux.

La doctrine[modifier | modifier le code]

Dans le domaine politique, les idées libertariennes ont été exprimées dès le XIXe siècle avec les œuvres de Wilhelm von Humboldt (Essai sur les limites de l'action de l'État), Herbert Spencer, Lysander Spooner et Gustave de Molinari[9].

Dans le domaine économique, elles ont été exprimées dès le XVIIIe siècle par les Physiocrates, notamment Vincent de Gournay et Turgot, et développées entre autres par Condillac (Le commerce et le gouvernement considérés relativement l'un l'autre) et Jean-Baptiste Say dans son Traité d’Économie Politique.

Au XXe siècle, elles ont été reprises et développées par l'école autrichienne d’économie, dont les auteurs principaux sont Carl Menger, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, et Murray Rothbard.

Le libéralisme libertarien semble échapper à la dichotomie politique classique gauche/droite de par ses thèses qui le situent à la fois à gauche au plan des libertés individuelles (dépénalisation des drogues, liberté d'expression, liberté d'immigration, liberté sexuelle, refus de la conscription...) et à droite au plan des libertés économiques (respect de la propriété privée, liberté d'entreprendre, libre-échange, réduction drastique de la fiscalité, rejet des politiques étatiques de redistribution...).

Certains libertariens – notamment les anarcho-capitalistes – refusent tout État. D'autres veulent, en vertu des théories minarchistes, le restreindre à un État minimal – à savoir Police, Justice et armée – permettant de garantir le droit à la propriété.

Le libertarianisme pose la liberté individuelle comme valeur suprême et fin en soi[10] plus encore qu'il n'est l'anti-Keynes.

David Nolan, fondateur du parti libertarien américain, a créé un diagramme pour démontrer sa doctrine, diagramme largement critiqué par les non-libertariens[réf. nécessaire] parce qu'il ne montre, selon eux, que les thèmes que défendent les libertariens (libéralisme économique et libertés individuelles au sens libéral), sans prendre en compte les idées défendues par les autres courants politiques.

Les quatre grands principes[modifier | modifier le code]

La liberté fondamentale du libertarisme est le droit de propriété, théorisé comme un droit absolu auquel l'intérêt particulier du propriétaire l'emporte sur l'intérêt social. Le libertarisme réunit quatre grands principes qui, en délimitant la propriété, permettent de circonscrire la liberté de chacun[1] :

  • La libre disposition de soi : Toute personne est pleinement propriétaire d’elle-même. L’indisponibilité du corps humain n’est pas reconnue. Par conséquent, toute marchandisation de son corps, telle que la prostitution, la vente du sang et d’organes humains, la gestation pour autrui et l’engagisme, serait parfaitement légale et illimitée.
  • La juste circulation : Toute personne peut devenir propriétaire légitime d’un bien par acquisition conventionnelle (vente, échange, troc ou donation) avec une autre personne qui en était jusque-là propriétaire légitime, ou en le fabriquant à partir d'objets acquis dans le respect de la juste circulation. La res communis, la collectivité et les restrictions dans l’intérêt public (telles la servitude publique, l’expropriation pour cause d'utilité publique, la nationalisation) ne sont pas reconnues. Peu de biens seraient classés hors commerce.
  • L'appropriation originelle : Toute personne peut devenir propriétaire légitime d’un bien sans maître, d’une res nullius ou terra nullius (y compris d’une ressource naturelle), qui n’était auparavant la propriété de personne. Différents critères distinguent les différentes versions du libertarianisme.
  • La réparation : En cas de violation du droit de propriété, restitution du bien ou dédommagement (dommages-intérêts).

Implications[modifier | modifier le code]

Du point de vue économique, la doctrine du libertarianisme se rapproche de celle de l'anarcho-capitalisme par le fait qu'aucun impôt n'est envisageable – excepté pour subvenir aux respects des droits de police et de justice – ni aucune loi relative au droit de la concurrence qui sanctionnerait les pratiques anticoncurrentielles ou anti-monopole.

Du point de vue sociétal, la doctrine libertarienne est en faveur d'une société permissive : sans service étatique (ni service militaire obligatoire ni fonction publique), sans prohibition concernant le blasphème, la discrimination, la consommation de drogue, les pratiques sexuelles entre adultes consentants, la pornographie et sans aucune réglementation étatique liée à la sécurité personnelle tel que le port du casque ou de la ceinture de sécurité.

Critiques[modifier | modifier le code]

Le libertarianisme est l'objet de nombreuses critiques, tant de la part des conservateurs que des socialistes et des anarchistes anticapitalistes.

Une des critiques fréquentes accuse le libertarianisme d'être une liberté faussée en particulier par l'argent. Pour Philippe Van Parijs, l'argumentation libertarienne poussée à ses limites conduit à adopter une position « réal-libertarienne », interventionniste (voir aussi Gerald Cohen, du courant du marxisme analytique et qui défend une position libertarienne de gauche), qui remplace la liberté formelle des auteurs libertariens classiques par le principe d'une liberté réelle maximale pour tous, ce qui le conduit à défendre le concept d'une allocation universelle et à autoriser les interférences de l'État dans des cas exceptionnels (par exemple lorsque des actes rationnellement motivés au niveau individuel conduisent à des irrationalités collectives, limitant la liberté réelle de chacun : l'État pourrait ainsi interdire, par exemple, aux agriculteurs d'utiliser des engrais dont le rejet dans la mer, par la prolifération d'algues, restreindrait la liberté des pêcheurs)[11].

Les libertariens rejettent cette critique en s'appuyant sur les importants fonds privés des associations caritatives qui financent des œuvres de bienfaisance comme l'éducation et la santé des démunis partout dans le monde, avec comme exemples courants le Fonds mondial pour la nature, la Fondation Rockefeller ou la fondation Bill-et-Melinda-Gates. Les libertariens estiment que le bénévolat privé est réduit d'autant plus qu'augmente la redistribution publique, et réciproquement[12].

Pour le linguiste Noam Chomsky, « la version américaine du “libertarisme” est une aberration – personne ne la prend vraiment au sérieux. Tout le monde sait qu'une société qui fonctionnerait selon les principes libertariens américains s'autodétruirait en quelques secondes. La seule raison pour laquelle certains font mine de la prendre au sérieux, c'est qu'ils peuvent s'en servir comme d'une arme. [...] C'est une aberration exclusivement américaine qui n'a rien de très sérieux »[13].

Tendances[modifier | modifier le code]

Il existe au sein de la mouvance libertarienne plusieurs tendances, s'opposant parfois entre pro-propriétés et anti-propriétés.

Cependant, toutes s'accordent sur le principe fondamental de souveraineté individuelle qu'elles partagent également avec le courant de l'anarchisme individualiste.

Organisations libertariennes[modifier | modifier le code]

Partis politiques[modifier | modifier le code]

France[modifier | modifier le code]

En France, il existe depuis 1991 une association du nom d'ADEL (Association des Étudiants Libéraux, puis Association des Libertariens), qui représente la tendance anarcho-capitaliste[16].

Les associations politiques Liberté Chérie et Alternative libérale, ainsi que le parti politique Parti Libéral Démocrate diffusent des analyses libertariennes ou proches du libertarianisme (minarchisme). Ils se distinguent du libéralisme économique traditionnel par leur promotion d'un « libéralisme grand angle » ou « libéralisme authentique ». Ils restent néanmoins des libéraux classiques, au sens où ils considèrent l'État comme un mal nécessaire : disant « Autant d’État que nécessaire, aussi peu que possible », le parti ne prétend pas supprimer l'État mais le réformer. Certaines propositions d'intervention dans le domaine de l'éducation (le chèque éducation) font des partisans d'Alternative libérale des libéraux classiques dans l'ensemble, les libertariens constituant une minorité. L'association SOS Éducation fait aussi partie de cette mouvance et a donné lieu à des critiques sévères, y compris de la part de personnalités de droite jacobine.

Le 1er février 2013 a été constitué le premier mouvement politique français à vocation électorale se réclamant officiellement des thèses libertariennes : le Mouvement des Libertariens[17]. Il participe à sa première élection lors de l'élection législative partielle du dans la 3e circonscription du Lot et Garonne où Stéphane Geyres (président du mouvement à cette époque) rassembla 56 voix, soit 0,17 % des suffrages exprimés[18]. Ce mouvement est relancé en avril 2017 sous le nom « Parti libertarien »[19].

Autres pays[modifier | modifier le code]

Le libertarianisme a une existence politique dans plusieurs pays, principalement de tradition anglo-saxonne :

Autres associations libertariennes[modifier | modifier le code]

Mise en pratique[modifier | modifier le code]

Il y a eu au cours de l'histoire plusieurs projets de mise en pratique des principes libertariens pour organiser une cité ou une nation.

Notons par exemple le projet « La République de Minerve » de fondation d'une micro-nation anti-interventionniste dans les îles Tonga[23].

L'animateur de radio américain Glenn Beck a créé le projet « Independence » visant à réaliser une ville autonome fonctionnant selon les principes libertariens[23].

Au même moment, le projet « The Citadel » vise à construire une citadelle libertarienne dans les montagnes de l'Idaho[23].

Projet de ville flottante du Seasteading Institute dans laquelle on pourrait vivre selon les principes libertariens.

Créé à l'initiative de Patri Friedman, petit-fils de l'économiste américain Milton Friedman, l'institut Seasteading ambitionne de créer des îles artificielles dans les eaux internationales pour y vivre selon les principes libertariens. L'institut est notamment financé par Peter Thiel, fondateur de PayPal[24].

Libertariens célèbres et promoteurs du libertarianisme[modifier | modifier le code]

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Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Arnsperger et Van Parijs 2003, p. 29 à 42
  2. Dictionnaire Webster, "libertarianism"
  3. Murray Rothbard, Le Manifeste libertarien, 1973, For a new liberty: the libertarian manifesto
  4. Voir illustration
  5. Philippe Van Parijs, Qu'est-ce qu'une société juste? Introduction à la pratique de la philosophie politique, Le Seuil, 1991, p. 114-127 « L'ambivalence du libertarianisme »
  6. Sébastien Caré, La pensée libertarienne : Genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale, PUR, , 1re éd., 360 p. (ISBN 978-2-13-057359-3, présentation en ligne)
  7. Valentin Pelosse, « Joseph Déjacque et la création du néologisme « libertaire » », Économies et sociétés (Cahiers de l'institut de science économique appliquée), vol. 6, no 12,‎ (lire en ligne)
  8. Henri Lepage, Demain le capitalisme, 1978
  9. Alain Laurent dans La philosophie libérale les range ainsi parmi les libertariens, classification reprise par Yvan Blot dans Herbert Spencer, un révolutionnaire contre l'étatisme. Voir également Gérard Dréan, Qu'est ce que le libéralisme, Sociétal, 1er semestre 2008, p.22
  10. Selon Desai Meghnad, The Cambridge Companion to Hayek, ed. Edward Feser, Cambridge University Press, 2006
  11. Philippe Van Parijs, Qu'est-ce qu'une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie politique, Le Seuil, 1991, p. 211-239 (en particulier p. 211-216, "L'allocation universelle la plus élevée possible")
  12. Étude sociologique d'Edwin G. West et J. Stephen Ferris de l'Université de Carleton
  13. Noam Chomsky, Comprendre le pouvoir : Tome II, Aden, 2006, p. 174-175.
  14. Michael Otsuka, « Comment être libertarien sans être inégalitaire », Raisons politiques, Presses de Sciences Po, vol. 23, no 3,‎ , p. 9-22 (DOI 10.3917/rai.023.0009, lire en ligne)
  15. (en) kanopiadmin, « The Life and Work of Suzanne La Follette », sur Mises Institute, (consulté le 24 janvier 2019)
  16. http://libertariens.chez.com
  17. http://leslibertariens.fr site Internet du mouvement
  18. « Villeneuve-sur-Lot : les libertariens dans la campagne », sur sudouest.fr,
  19. « La renaissance du Parti Libertarien Français », sur contrepoints.org,
  20. Un nouveau parti dans le paysage politique genevois, Tribune de Genève, 22 septembre 2014.
  21. (de) Feuille de faits, Partei der Vernunft, 24 octobre 2011.
  22. (ru) « Либертарианская партия », sur Либертарианская партия (consulté le 28 mai 2019)
  23. a b et c Carole Boinet, « Communautés libertariennes : une utopie américaine ? », Les Inrockuptibles,‎ (lire en ligne)
  24. Gabriel Siméon, « Projet d’îles-cités dans les eaux internationales : utopie sociale ou libéralisme exacerbé ? », Les Inrockuptibles,‎ (lire en ligne)
  25. sources recensées sur theadvocate.org
  26. « entretien du  »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?)
  27. K. Rupert Murdoch - SourceWatch

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Il existe une catégorie consacrée à ce sujet : Libertarianisme.

Liens externes[modifier | modifier le code]