Marinette Pichon - Sauvée par le foot
« Mon père était alcoolique. Et quand il était sous l'emprise de l'alcool, c'était le démon incarné. »
J’ai toujours voulu avoir des enfants.
Le fait que mon père soit un homme violent n’a jamais interféré dans mon désir d’avoir une famille.
Je suis à l’opposé de lui et je l’ai toujours su. Une chose est sûre, par contre : mon fils, je lui dis au moins 50 fois par jour que je l’aime. Même que, parfois, il est presque agacé de l’entendre. Il me répond un peu nonchalamment : « Je sais Mamoune, je sais. »
Oui, mais je vais te le répéter quand même.
Moi, c’est Marinette, Marinette Pichon.
On dit de moi que je suis une pionnière et une icône du foot en France. C’est moi qui détiens toujours le record du plus grand nombre de buts en équipe nationale, alors j’imagine que c’est vrai.
Ici, vous dites plutôt soccer, je sais. Je m’habitue tranquillement.
Il y a deux mois, je me suis envolée vers une nouvelle vie au Canada avec ma femme et notre petit homme de 6 ans.
On m’a offert de venir transmettre ma passion aux jeunes de la région de Lac-Saint-Louis et je me suis dit que ce serait un nouveau défi intéressant.
« Ne jamais rien lâcher »
C’est le titre de ma biographie lancée en avril 2018. Dans ce livre, j’ai accepté de dévoiler une partie de ma vie qui a toujours été taboue, de rouvrir une faille douloureuse. Mon père était alcoolique. Et quand il était sous l’emprise de l’alcool, c’était le démon incarné.
Au début, quand la maison First Edition m’a approchée, je n’avais pas forcément envie de replonger dans ces années d’enfer. Je n’étais pas certaine de vouloir livrer ma vie à tout le monde. Mais j’ai décidé d’aller de l’avant, de faire de mon histoire quelque chose d’utile.
Je me suis dit qu’il y avait peut-être des enfants qui vivaient la même chose que moi, mais qui n’auront pas la chance de s’en sortir grâce à une mère formidable comme la mienne.
Je voulais que mon livre éduque sur l’alcool, sur la violence, sur le fait de renier ses enfants quand ils sont homosexuels.
Je me suis mise à nue et j’espère avoir pu aider certaines personnes.
Les gens m’ont toujours admirée en tant que joueuse. Mais après la publication de mon livre, ils ont commencé à m’admirer en tant que femme. Parce que j’ai engagé des combats. Parce que je n’ai pas eu peur de dire que mon père était alcoolique, violent et violeur.
Ce n’est pas facile de retourner dans des souvenirs extrêmement douloureux. Si ç’a pu aider ne serait-ce qu’une personne, ç’a valu la peine de le faire.
D’aussi loin que je me souvienne, il a toujours été violent. Ç’a commencé à être difficile dès que j'étais très jeune. Quand j’ai été assez vieille pour me rendre compte des choses, c’était déjà un cercle qui roulait depuis quelques années.
Même enfant, je ne crois pas qu’on puisse trouver normal de voir son père en boisson tous les soirs, violenter verbalement et physiquement sa mère. Je me suis donc vite rendu compte que mon milieu de vie n’était pas sain.
J’entendais les histoires des autres jeunes qui s'asseyaient à table en famille pour dîner. Chez moi, ce n’était pas ça. Jamais.
Mon père était sous l’emprise de l’alcool dès 17 h, quand il revenait du boulot. Il était là, tous les soirs de la semaine, avec son litron de vin.
Les rares fois où il ne prenait pas d’alcool, il n’emmerdait pas son monde. Du moins, c’était moins intense... jusqu’à ce que le manque se fasse sentir.
C’était comme un engrenage. Ma mère restait parce qu’elle avait peur de se retrouver dans un divorce et que ma soeur et moi soyons en garde partagée. Elle ne voulait pas qu’il ait notre garde.
Jusqu’à la parution de mon livre, peu de gens connaissaient mon histoire. Je pouvais les compter sur les doigts d’une main.
Je n’en parlais pas. J’avais honte en tant qu’enfant, honte de dire : « Mon père est un alcoolique violent. »
C’était difficile. J’avais peur du jugement. Ce n’était pas le genre d’histoire que je racontais, d’autant plus qu’en France, c’est une mentalité de juger les gens.
C’est pour tout ça que seule une poignée de personnes savaient ce qui se passait chez moi.
Il y en a qui ont voulu aider, d’autres qui sont partis. C’est comme ça. C’était lourd à porter pour la jeune fille que j’étais. J’avais le soutien de ma mère et de ma soeur. On était trois à être soudées et on l’est toujours aujourd’hui.
Le foot est entré dans ma vie à l’âge de 5 ans, et c’est ce qui m’a sauvée.
Le terrain, c’était ma bouffée d’oxygène. Ça me permettait de me dépenser et de prendre du plaisir à ce que je faisais. Ça me permettait d’être bien. Et une fois sortie du terrain, de mieux affronter ce qui m’attendait à la maison.
Je me souviens de la première fois que j’ai touché un ballon. Je me baladais avec ma mère dans les rues de Brienne-le-Château, la commune où j’ai grandi à 200 kilomètres de Paris, puis j’ai entendu des cris d’enfants. J’ai tiré le bras de ma maman et je suis entrée dans le stade.
C’est là que je les ai vus, les gamins qui jouaient. Ils avaient l’air heureux, ils s’éclataient. L’éducateur est aussitôt venu me voir, m’a remis un dossard et m’a invitée à essayer.
Le ballon m’est resté collé aux pieds. Ce jour-là, le foot est devenu ma source de liberté.
Je n’ai jamais reçu aucun compliment de la part de mon père. Jamais il n’a été fier de moi, même si, année après année, j’étais toujours parmi les meilleures. Même pas le jour où j’ai joué mon premier match en équipe de France.
C’est loin d’être ce qu’un enfant attend d’une figure paternelle. Un père, c’est supposé être fier, aimant. C’est dur de vivre des événements importants dans sa vie et ne pas avoir de reconnaissance d’un membre de sa famille.
J’ai tout de même été chanceuse dans ma malchance parce que ma mère était formidable. Elle, elle était fière. Il y avait des étoiles dans ses yeux quand elle me voyait dans mon maillot bleu. Elle était tellement contente pour moi.
Ma mère n’avait pas son permis de conduire. Alors avant que je puisse m’y rendre seule, c’est mon père qui me conduisait à mes matchs.
À l’aller, ça se passait quand même bien. Il devait être sobre ces soirs-là, car il prenait le volant. Mais au retour, le manque d’alcool se faisait sentir et ça devenait compliqué parce qu’il avait des paroles méchantes, violentes.
« Tu ne feras jamais rien de ta vie. »
« Tu es une mauvaise sportive. »
Ç’a été en quelque sorte un déclencheur pour moi. Je me suis battue pour le contredire. J’ai décidé que j’allais tout faire pour lui prouver le contraire.
Pour moi, la meilleure façon de réagir, c’était de me dire que j’allais lui montrer que j’étais la meilleure. Pas question de lui donner raison.
Et un jour, des années plus tard, j’ai été sélectionnée dans l’équipe de France. Moi, celle qui « ne ferait jamais rien de sa vie », la « mauvaise sportive », je faisais maintenant partie de l’équipe qui représentait mon pays. Je me souviendrai toujours du moment où j’ai entendu résonner ma première Marseillaise, notre hymne national, avant un match. C’est tellement une source de fierté.
J’ai battu le record du plus grand nombre de buts en sélection nationale pour mon pays. Puis, en 2001, je suis devenue joueuse professionnelle aux États-Unis.
Je lui ai montré jusqu’au bout que, malgré toute l’énergie qu’il avait mise à me dénigrer de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, il n’avait pas réussi à me mettre la tête sous l’eau.
C’est terminé maintenant, mais tout ça a laissé des traces. Encore à 43 ans, il y a des moments où je ressens les séquelles de ses attaques et de ses critiques.
On ne peut pas juste tourner la page, et voilà. Tu te dis tous les jours que ce chapitre est terminé, puis un événement, une parole, un souvenir te ramènent à ça.
Même si je le vis de mieux en mieux, il y a toujours quelque chose qui me ramène à cette période douloureuse de ma vie.
Des gens que je rencontre, des éléments… et il y a ce fameux flash-back qui m’arrive en plein visage.
La vie, elle est comme ça. Et je la vis plutôt bien. Ça fait partie de mon héritage et c’est à moi de le convertir de façon positive.
J’ai cette force en moi de toujours vouloir être positive et de profiter de la vie, des petites choses. Ce sont souvent les petites choses qui sont les plus significatives.
Le foot, c’est ce qui m’a permis d’être la femme que je suis aujourd’hui. Beaucoup de gens m’ont accompagnée dans mon parcours de joueuse et je ne peux que leur être reconnaissante.
Ils sont tellement importants ces éducateurs, ces entraîneurs… je parle encore d’eux aujourd’hui!
C’est pour ça que j’ai décidé de redonner à mon tour.
Je travaille maintenant avec le programme sport-études à Lac-Saint-Louis et je trouve ça vraiment excitant de pouvoir permettre aux jeunes d’avancer.
Je veux que mon expérience en tant que joueuse soit utile aux plus jeunes, comme mon expérience de vie a pu l’être pour ceux qui ont lu mon livre.
Si je peux leur transmettre ne serait-ce qu’une chose, j’aurai réussi ma mission. Pour avoir une belle vie, une belle carrière, il faut travailler et... ne jamais rien lâcher.
Photo en couverture: Radio-Canada/Myriam Lafrenière