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Fortnite conçu pour créer une dépendance? Non, dit la psychologue derrière le jeu

Des personnages de Fortnite observent un paysage du haut d'une colline.

Le cabinet d’avocats CaLex allègue que Fortnite « a été conçu par une équipe de développement, incluant des psychologues, statisticiens, analystes, et coordonnateurs, qui ont travaillé [...] pour développer le jeu le plus addictif possible».

Photo : Epic Games

Nicholas De Rosa

« Notre but, ce n’est pas de rendre les gens addicts. Notre but, c’est de rendre les jeux fun. » La psychologue derrière Fortnite soutient que le populaire jeu vidéo n’a pas été expressément conçu pour créer une dépendance, mais concède que son système de coffres à butin (loot box) peut y contribuer. 

Celia Hodent a travaillé de 2013 à 2017 à titre de directrice de l’expérience utilisateur (EU) pour Epic Games, l’éditeur de ce jeu devenu phénomène mondial. En entrevue à Radio-Canada, elle a réagi à la demande d’action collective contre son ancien employeur déposée au début du mois par des avocats montréalais.

Dans sa requête, le cabinet d’avocats CaLex allègue que Fortnite a été conçu par une équipe de développement, incluant des psychologues, statisticiens, analystes, et coordonnateurs, qui ont travaillé [...] pour développer le jeu le plus addictif possible.

On reproche à l’équipe de développement d’avoir travaillé avec des cobayes pour s’assurer que leur attention était captée tout au long des essais, en traquant le moindre décrochage d’attention

Selon le cabinet, Epic Games savait non seulement que le jeu créerait une dépendance chez les joueurs et joueuses, mais l’entreprise a omis et/ou négligé de divulguer les risques et dangers associés à l'utilisation de Fortnite, ce qui enfreint la Loi sur la protection du consommateur.

Comment créer un jeu engageant

Pour Celia Hodent, les affirmations du cabinet d’avocats sont un peu détournées: il faut selon elle savoir saisir la nuance entre un jeu qui a pour but de créer une dépendance et un jeu engageant, qui sait retenir l’attention de son public.

Effectivement, on fait venir des personnes qui vont tester les jeux. L’idée est de tester un produit en développement pour s’assurer qu’il n’y a pas de problèmes. Oui, on va regarder si les gens y sont intéressés ou pas. Un jeu vidéo qui n’est pas engageant, on ne va pas y jouer! soutient celle qui a déjà travaillé pour d’autres grands studios, comme Ubisoft et LucasArts.

Ce processus d’essai, nommé playtest, fait partie intégrante de tout cycle de développement d’un jeu vidéo. Il est donc loin d’être exclusif à Fortnite. Celia Hodent précise qu’il sert entre autres à peaufiner les mécaniques de jeu et à s’assurer qu’elles fonctionnent de manière satisfaisante.

Photo studio de Celia Hodent.Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)

Après avoir travaillé chez Ubisoft, Epic Games et LucasArts, Celia Hodent est aujourd'hui consultante indépendante en expérience utilisateur.

Photo : Courtoisie

L’expérience utilisateur, c’est de faire en sorte que le logiciel soit utilisable, que vous compreniez comment l’utiliser, que vous n’ayez pas de frustration en l’utilisant et que vous puissiez faire ce que vous souhaitez faire en l’utilisant. Par exemple, l’iPhone est conçu non seulement pour être facilement utilisable, mais aussi pour qu’il soit agréable d’interagir avec lui, illustre la psychologue française.

La responsabilité des parents de fixer des limites

La consultante en EU évoque le concept psychologique de l’état de flux (flow), un état mental atteint par une personne lorsqu'elle est complètement absorbée dans une activité. Elle explique que le flux est ce qui peut faire manquer son arrêt d’autobus à une personne captivée par un livre, par exemple. Un jeu vidéo bien conçu peut bien sûr mettre un joueur ou une joueuse dans cet état d’esprit.

Selon Celia Hodent, il est plus facile d’être accroché aux jeux vidéo lorsqu’on est enfant qu’à l’âge adulte, parce que le cortex préfrontal, soit la partie du cerveau qui contrôle les impulsions et automatismes, n’est alors pas encore pleinement développé. 

Quand vous voyez des enfants absorbés dans un jeu vidéo, ce n’est pas nécessairement mal en soi. Là où c’est un problème, c’est quand les enfants ne diversifient pas leurs activités. Il faut être là pour éviter que les enfants fassent ça. Le problème, c’est que les enfants n’ont pas encore un contrôle de soi très mature, avance la Dre Hodent. 

Ce que veulent faire la grande majorité des créateurs et créatrices de jeu, c’est rendre les gens heureux et non rendre les gens addicts.

Celia Hodent, ancienne directrice de l’expérience utilisateur pour Epic Games

D’après la psychologue, il revient aux parents d’imposer des limites à leurs enfants pour éviter des dérapages. Cela peut devenir difficile avec un jeu comme Fortnite, parce que les enfants jouent en ligne avec leurs camarades. « Si on n’est pas dans le jeu, on n’est pas avec nos amis », illustre-t-elle. 

Le psychologue et directeur du Centre international d’étude sur le jeu et les comportements à risque chez les jeunes, Jeff Derevensky, abonde dans le même sens. 

Je ne dirais pas que Fortnite crée une dépendance plus que d’autres jeux, explique-t-il. Par contre, ce qui le met sous les projecteurs est son énorme bassin de joueurs et de joueuses à l’international : plus il y a de monde qui y joue, plus il y aura de monde qui sera engagé et plus il y aura des gens qui auront de la difficulté à limiter leur temps de jeu.

Celia Hodent conseille aux parents de groupes d’amis d’organiser des séances de jeu contrôlées et de dire “Voilà, on déconnecte tous en même temps.”

Je ne suis pas en train de dire que c’est simple, mais c’est ce genre de règle qu’il faut établir, dit-elle, soulignant de passage que Fortnite est classé 13 ans et plus selon le système de classification de l’Entertainment Software Rating Board (ESRB), l’organisme qui estime à quel âge on peut jouer à chacun des jeux vidéo en Amérique du Nord. 

Les coffres à butin, un aspect problématique

Fortnite est gratuit, mais intègre un système de coffre à butin qui permet d’acheter avec de l’argent réel des boîtes virtuelles qui contiennent des éléments esthétiques (habillages, accessoires, etc.) choisis aléatoirement.

La demande d’action collective allègue que dans le feu de l’action, les joueurs dépensent sans compter sur ces coffres à butin et qu’en achetant des objets cosmétiques [...], le sens d’accomplissement des utilisateurs est nourri et leur désir de continuer à jouer augmente

La pression sociale est aussi un facteur important pour les enfants, qu’on juge et ridiculise selon les objets cosmétiques achetés dans le magasin virtuel, selon les avocats. 

Des objets dans le jeu Fortnite.Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)

Ouverture d'un coffre à butin dans Fortnite.

Photo : Capture d'écran YouTube / LFP Gaming

Célia Hodent trace une ligne entre les mécaniques du jeu et ses techniques de monnayage, qui ont été mises en place après son départ d’Epic Games.

Je suis très d’accord qu’il faut discuter avec des psychologues et des addictologues pour voir quels points sont problématiques. Il faut savoir où mettre la ligne et protéger les populations fragiles, affirme-t-elle, allant même jusqu’à dire qu’il y a des jeux qui utilisent ces mécaniques qui ne devraient pas être accessibles aux enfants.

La psychologue estime qu’il est intéressant de voir comment la Belgique et les Pays-Bas ont interdit les coffres à butin, qui sont comparés aux machines à sous dans la requête d’action collective.

Selon le Dr Derevensky, les coffres à butin sont en effet une forme de jeu comme on voit dans les casinos. Il croit que l’industrie du jeu vidéo devrait adopter des stratégies de réduction des méfaits pour mieux les encadrer.

Sur les sites de paris en ligne, il est possible d’établir des limites de dépenses. Il faudrait qu’on puisse faire la même chose dans des jeux qui ont des coffres à butin, estime-t-il.

Une mesure semblable pourrait aussi être mise en place pour limiter le temps de jeu en général et prévenir la dépendance, selon le psychologue.

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