Ancienne prison d’Ottawa : « Ça ne surprend personne que ces fantômes soient ici »
Les détenus de la prison d'Ottawa avaient commis des délits entraînant une peine d'emprisonnement allant de deux ans à la perpétuité. Quelques-uns ont été condamnés à mort.
Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours
Le 75 de la rue Nicholas, à Ottawa - ici, des centaines d'hommes, de femmes et peut-être même quelques enfants ont été emprisonnés dans des conditions qualifiées « d’inhumaines ». La marche hantée d’Ottawa offre des visites guidées de l’ancienne prison où l’on peut (un peu trop facilement) s’imaginer entendre les lamentations des condamnés à mort, entre quelques cliquetis de portes qui grincent... toutes seules.
Avertissement : ce reportage contient des photos qui pourraient ébranler certaines personnes.
C’est dans ce décor tout ce qu’il y a de plus urbain, où elle est entourée de la Galerie d’art d’Ottawa fraîchement rénovée et d’un centre commercial aussi moderne que carré, que se découpe l’ancienne prison d’Ottawa.
En entrant, l’atmosphère est lourde. Ça sent l’humidité, le fer, la peur. On ne peut qu’imaginer les bruits qu’on y entendait autrefois : les lourdes portes de métal qui se referment, les pas sur le plancher de bois qui grince. Les sanglots, aussi.
Désormais, c’est le silence qui s’impose. Tout aussi pesant d’inhumanité.
Nous suivons la guide Catherine Raileanu à travers les couloirs de pierres, tantôt suintantes, tantôt ornées d’un graffiti. Ma collègue Jhade Montpetit et moi avançons à petits pas vers la cellule d’isolement avec la drôle d’impression de déranger on ne sait qui.
Le trou
La visite nous mène d’abord dans une « cellule noire », autrefois coupée de toute lumière par une porte de bois massive. Il n’y avait rien, dans ces espaces clos, sauf une chaudière destinée à recevoir les excréments des détenus désobéissants ou considérés comme des dangers pour eux-mêmes ou pour les autres.
Les pires punitions étaient quand les gens étaient attachés par terre avec des chaînes, peut-être même nus.
L’établissement carcéral, construit en 1862 et fermé en 1972 pour insalubrité, a depuis été converti en auberge jeunesse où les téméraires en quête de frissons peuvent passer la nuit.
C’est dans une cellule étroite comme celle-ci (claustrophobes, s’abstenir!) que les visiteurs s’endorment, à l’endroit exact où s’allongeait jadis un prisonnier.
Le couloir de la mort
L’ancienne prison d’Ottawa était située juste à côté du palais de justice (aujourd’hui la Cour des arts d’Ottawa). Après leur procès, les détenus passaient par un tunnel souterrain pour se rendre au pénitencier.
Les prisonniers n’avaient pas la chance de retourner dehors une dernière fois après avoir entendu leur jugement.
Certains y entraient pour quelques mois seulement. D’autres, pour le reste de leur vie.
Patrick James Whelan est l’un de ces condamnés. Accusé du meurtre du politicien Thomas D'Arcy McGee, il fut pendu le 11 février 1869. Encore aujourd’hui, certains historiens doutent de sa culpabilité.
Les tenanciers de l’auberge suspectent d’ailleurs son âme tourmentée d’épier les visiteurs et d’essayer d’interagir avec eux.
Souvent, les gens qui passent la nuit dans cette auberge vont dire voir quelqu’un dans leur chambre : la figure d’un homme, parfois assis au bout de leur lit, et cet homme semble parfois lire une bible.
En entrant dans le « couloir de la mort », la guide s’arrête brusquement. Il y a eu du bruit et je ne sais vraiment pas d'où ça vient
, dit-elle, hésitante. Riant nerveusement, Catherine Raileanu avoue qu’elle a eu le souffle coupé durant quelques secondes.
C’est seulement la deuxième fois que j’entends un bruit comme ça
, explique-t-elle en désignant un gros verrou de fer. On a entendu la porte de la cellule essayer de s’ouvrir.
La cellule numéro 4 était celle de Whelan. Il y a passé ses dernières heures. Acceptait-il son sort ou a-t-il vécu un supplice en attendant d’être exécuté? Juste d’y penser, j’ai la gorge serrée.
Ces petites alvéoles ont dû connaître toute la misère et le désespoir humains, la détresse d’êtres sur qui d’autres avaient pouvoir de vie… et de mort.
Un petit regard furtif et nous ressortons aussitôt, avant qu’un autre loquet de métal ne daigne nous saluer.
La potence
Empruntant le même trajet que les condamnés à mort, Jhade et moi suivons la guide dans un escalier entouré de grillages anti-suicides destinés à empêcher les détenus de sauter ou d’y pousser un garde.
Là, j’ai figé. À travers les barreaux, on entrevoit une corde. « La » corde.
Des frissons jusque dans les os, ma collègue et moi écoutons l’explication de la procédure. Bien que mécanique, elle impose des images.
Le prisonnier était attaché par le cou à une corde, les mains et les bras attachés pour l’empêcher de trop bouger durant son exécution. [...] Le bourreau pesait sur la pédale et la trappe s’ouvrait. Le corps tombait et c’était terminé.
« Dieu, sauvez l’Irlande et sauvez mon âme », ont été les derniers mots prononcés par Patrick James Whelan avant d’être mis à mort devant une foule de près de 5000 curieux massés malgré une importante tempête de neige sur la colline surplombant la cour extérieure de la prison.
Sur ces paroles, Jhade et moi en avons eu assez. Nous sommes sorties par la porte donnant directement sous la trappe de pendaison pour retrouver le soleil.
Bien heureuses de passer les grandes portes de l’enceinte pour quitter ces hauts murs, nous nous sommes retournées une dernière fois. Et nous avons eu une pensée pour tous les prisonniers oubliés qui, eux, n’en sont jamais ressortis.