Cardiologie et radio-oncologie, l’improbable collaboration
Pour traiter l’arythmie d'un patient, un radio-oncologiste et un cardiologue ont uni leurs forces. Voici comment M. Saad a évité l’opération à cœur ouvert.
![Centre universitaire de santé McGill](https://webarchiveweb.wayback.bac-lac.canada.ca/web/20191209011836im_/https://images.radio-canada.ca/q_auto,w_1250/v1/ici-info/16x9/hijal-bernier-cardiologue-radio-oncologie.jpg)
Le radio-oncologue Tarek Hijal et le cardiologue Martin Bernier
Photo : Radio-Canada
Cardiologie et radio-oncologie, voilà deux disciplines qui n’ont, à première vue, rien en commun. D’ailleurs, jamais elles ne collaborent. Or, cette frontière invisible, deux spécialistes québécois ont décidé de la franchir pour venir en aide à un patient gravement malade, nous raconte Danny Lemieux de Découverte.
Martin Bernier est cardiologue. Tarek Hijal, lui, est radio-oncologue. Ces deux médecins sont aussi des amis personnels. Mais cette fois, ce n’est pas autour d’un verre qu’ils vont se réunir, mais plutôt autour d’un projet dont l’enjeu est mille fois plus grand.
Nicky Saad, 65 ans, est mal en point. Il traîne un lourd historique de problèmes cardiaques. Son cœur subit des soubresauts qu’on appelle « orages rythmiques », et ce, jusqu’à 15 fois par jour.
Les arythmies ventriculaires comme celles de M. Saad sont mortelles si elles ne sont pas traitées.
Ces arythmies sont causées par des cicatrices présentes à la surface du cœur. Elles créent des courts-circuits qui empêchent le cœur de battre normalement. Plusieurs raisons expliquent leur présence.
La plus commune survient à la suite d’une maladie coronarienne. Les blocages dans les artères produisent des cicatrices, qui se développent dans le cœur
, explique le cardiologue Martin Bernier.
Aux limites de l'expérimentation
Comme la médication et les défibrillateurs ne parviennent pas à maîtriser l’arythmie, le Dr Bernier envisage de passer à l’étape suivante : l’ablation des cicatrices.
La chirurgie consiste à brûler les cicatrices par cathéter. On espère ainsi modifier la composition de la cicatrice pour qu’elle cesse de produire des courts-circuits.
Mais plusieurs cicatrices recouvrent le cœur de M. Saad. L’une d’elles est étendue et difficile d’accès. Impossible de la brûler. On doit envisager la transplantation cardiaque. Mais la liste d’attente est longue. Et M. Saad dispose de peu de temps. Il a une chance sur deux de survivre aux cinq prochaines années.
Confronté à cette réalité, le Dr Bernier songe à une solution moins invasive qu’une transplantation cardiaque. Sa solution est novatrice, car elle a été tentée moins d’une centaine de fois à travers le monde.
Si le Dr Bernier veut aller de l’avant avec celle-ci, il aura besoin de l’expertise de son ami Tarek, le radio-oncologue.
On a besoin d'une équipe en radio-oncologie prête à sortir de sa zone de confort et à faire des choses inhabituelles, nouvelles.
Pourquoi une équipe de radio-oncologues? Parce que brûler des tissus, pour la plupart tumoraux, c’est leur spécialité. Mais utiliser la radiothérapie pour brûler l’enveloppe du cœur, nous sommes ici à la limite de l'expérimentation.
Avant d’exposer le cœur à une dose de radiothérapie, les précautions doivent être nombreuses.
Il faut donner à nos collègues de la radio-oncologie la cible la plus précise possible. Donc, cibler la portion du cœur qui est la plus susceptible d'être responsable des courts circuits, des arythmies de monsieur Saad, tout cela en épargnant les tissus sains
, explique le cardiologue.
Cette cible est obtenue en cartographiant le cœur de M. Saad. La procédure est pratiquée sous anesthésie générale.
Pendant que le Dr Hijal est présent à titre d’observateur, le Dr Bernier accède au cœur en glissant un cathéter dans l’artère fémorale. Au bout, il y a des électrodes. Ils mesurent la conductibilité du tissu cardiaque.
Il faut savoir que le tissu cicatriciel conduit peu ou pas l’électricité. C’est ainsi qu’on détecte la présence ou non de cicatrice.
Grâce à cette cartographie cardiaque, on sait maintenant que le ventricule gauche est la cible à traiter.
Trois mois plus tard, c’est le jour J. Les rôles sont interchangés. Cette fois-ci, le Dr Hijal est aux commandes. Le Dr Bernier fait confiance à son ami radio-oncologue. La cible est identifiée. Le traitement débute. Le cœur de M. Saad reçoit de la radiothérapie.
Il ne ressent aucune douleur.
Une demi-heure plus tard, tout est terminé. M. Saad se lève en arborant son plus beau sourire. Il vient d’éviter l’opération à cœur ouvert.
Essais cliniques à venir
La collaboration entre la cardiologie et la radio-oncologie en est à ses débuts. Les essais cliniques à venir permettront d’évaluer la toxicité du traitement.
C'est un nouveau traitement. C'est une dose très élevée, plus élevée que d'habitude en oncologie. Et cette dose est donnée en un seul traitement. Habituellement, en radio-oncologie, les doses sont données sur des jours et des semaines parce qu'elles pourraient endommager certains organes. Mais il faut rappeler l’état de santé de monsieur Saad. Sa maladie peut lui être fatale à tout moment.
Est-ce que le duo de spécialistes s’attend à des résultats miraculeux? Non! Mais il a bon espoir que les arythmies de son patient seront moins fréquentes.
Il espère aussi que l’intervention aura un effet majeur sur la médication de M. Saad.
Il est traité avec de très fortes doses de médicaments, c'est probablement insoutenable à long terme. Donc, l'objectif est de pouvoir le sevrer de certains de ses médicaments
, explique Dr Bernier.
Une rencontre improbable. Une collaboration audacieuse. Réunir l’amitié et le savoir, toutes les façons sont bonnes pour que la science puisse avancer.
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Le reportage de Danny Lemieux et de France Desourdy sera diffusé à l'émission Découverte, sur ICI TÉLÉ dimanche à 18 h 30.