La création et les débuts de la Cour

L’histoire de la Cour suprême du Canada commence en 1875, plus d’un siècle après l’apparition des tribunaux sur le territoire qui forme aujourd’hui le Canada. Son rôle a beaucoup évolué depuis sa création, puisqu’elle n’était pas initialement une juridiction d’appel de dernier ressort, alors qu’elle est aujourd’hui la plus haute instance judiciaire du pays.

Au XVIIIe siècle, les cours de justice se multiplient dans les régions qui constituent aujourd’hui le Québec, l’Ontario et les provinces maritimes. Il subsiste au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse des dossiers judiciaires antérieurs à 1750. L’Acte de Québec de 1774, par son article 17, autorise la création, au Québec, de tribunaux criminels, civils et ecclésiastiques sur le modèle britannique, parallèlement aux tribunaux beaucoup plus anciens remontant au Régime français. L’Acte constitutionnel de 1791 crée le Haut-Canada et le Bas-Canada et établit de nouveaux tribunaux dans chaque province. L’Acte d’Union, 1840 constituera par la suite la première cour d’appel, celle du Haut-Canada, et fixera les salaires des juges des deux Canada.

C’est l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, maintenant appelée la Loi constitutionnelle de 1867, qui crée le Dominion du Canada et jette les bases du système judiciaire canadien actuel. En vertu de cette loi, le gouverneur en conseil nomme tous les juges des cours supérieures au Canada, y compris les juges de la Cour suprême du Canada. Ces juges sont nommés « à titre inamovible » et bénéficient à tous égards du principe de l’indépendance judiciaire. La limite d’âge pour l’exercice de leur charge est de 75 ans. Leurs salaires sont « fixés et assurés par le Parlement du Canada ». Au moment de la Confédération, les décisions des cours d’appel provinciales pouvaient être portées directement en appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé au Royaume-Uni.

La Loi constitutionnelle de 1867 autorise le nouveau parlement fédéral à créer « une cour générale d’appel pour le Canada ». Quelques années plus tard, le Parlement crée ainsi la Cour suprême du Canada. Les décisions de la nouvelle Cour suprême demeurent cependant susceptibles d’appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé. Cette situation ne changera qu’en 1933 pour les appels en matière criminelle et en 1949 pour les appels en matière civile.

La Cour suprême du Canada naît sous des auspices peu favorables. Après le retrait de projets de loi présentés au Parlement canadien en 1869 et 1870, la loi visant la création de la nouvelle cour est finalement adoptée le 8 avril 1875. Sir John A. Macdonald, Télesphore Fournier, Alexander Mackenzie et Edward Blake sont les hommes d’État qui ont le plus contribué à l’établissement de la Cour.

Le premier juge en chef, l’honorable William Buell Richards et le premier registraire, Robert Cassels ont prêté serment le 8 octobre 1875. Les autres juges ont signé leur serment d’office au Sénat le 8 novembre 1875. Un dîner d’État marque l’inauguration de la Cour le 18 novembre et, à la mi-janvier 1876, des règles de procédure sont déjà rédigées. À sa première séance, le 17 janvier 1876, la Cour n’a aucun litige à trancher. La première cause qu’elle entend, en avril, est un renvoi du Sénat qui lui demande son avis sur un projet de loi privé. Après avoir donné son avis sur ce renvoi, la Cour siège une semaine au mois de juin 1876 et statue sur trois litiges. Elle ne siège à nouveau qu’au mois de janvier 1877, moment à partir duquel elle tient des sessions régulières et chargées.

La Cour suprême se compose initialement de six juges, dont le juge en chef Richards et les juges suivants : William Johnstone Ritchie, Samuel Henry Strong, Jean-Thomas Taschereau, Télesphore Fournier et William Alexander Henry. Au départ, les juges de la Cour suprême siègent aussi à la Cour de l’Échiquier (l’ancêtre de la Cour fédérale), créée en même temps que la Cour suprême, mais cette situation ne perdurera pas.

En 1927, le nombre des juges de la Cour suprême est porté à sept et, en 1949, avec l’abolition de tous les appels au Comité judiciaire du Conseil privé, la Cour atteint son effectif actuel de neuf juges. La Loi sur la Cour suprême prévoit que trois des neuf juges doivent provenir du Québec. Traditionnellement, pour pourvoir les autres postes, le gouverneur en conseil nomme trois juges de l’Ontario, deux des provinces de l’Ouest ou du Nord canadien et un des provinces de l’Atlantique.

Les premières audiences de la Cour ont lieu au Parlement, dans la salle du Comité des chemins de fer, puis dans diverses salles, au gré de leur disponibilité. En 1882, elle s’installe dans un petit édifice de deux étages situé au pied de la colline du Parlement, rue Bank. Il faudra attendre 60 ans la mise en chantier de l’édifice actuel de la Cour. Le 20 mai 1939, la Reine Élizabeth pose la pierre angulaire du nouvel édifice en présence de son mari, le Roi George VI.

Après un retard imputable à la Seconde Guerre mondiale et à l’utilisation de l’édifice à des fins militaires, la Cour s’y installe enfin en janvier 1946 et, le 5 février 1946, y entend une première cause.