Articles d'intérêt

Nouveaux développements - Le critère de la qualité pour agir

par Monica Phillips, avocate
juillet 2005

Depuis le Communiqué de février-avril 1999, le Comité externe a publié des articles d'intérêt sur des questions importantes de relations de travail. Le premier de ces articles portait sur la qualité pour agir relativement au dépôt d'un grief, dont traite le paragraphe 31(1) de la Loi sur la GRC.

Plus de six ans plus tard et après bon nombre de conclusions et recommandations, de nouveaux principes importants régissant la qualité pour agir se sont façonnés, dont les plus notables portent sur la qualité pour agir des membres à la retraite et sur le moment où une décision a été rendue dans le cadre de la « gestion des affaires de la Gendarmerie ». En outre, certains principes clés ont été confirmés ou expliqués plus en profondeur, notamment l'effet d'un processus de rechange, l'absence de la nécessité de prouver le préjudice et le sens de « subir un préjudice »

Qualité pour agir des membres à la retraite

Le concept nouveau le plus important est peut-être celui de l'examen, par le Comité externe, de la qualité pour agir des membres à la retraite. Jusqu'à maintenant, le terme « membre », qui figure au paragraphe 31(1) de la Loi, a été interprété de façon large plutôt que restreinte, afin de respecter les objectifs de la Loi au chapitre des griefs.

Le Comité externe a rendu ses premières conclusions et recommandations à cet égard en mai 2004, dans le cadre du grief G-321 (résumé dans le Communiqué d'avril-juin 2004). En l'espèce, le requérant s'était plaint du fait que le comité de classification n'avait pas reclassifié son poste. Le CEE a recommandé d'accueillir le grief (G-219, résumé dans le Communiqué de septembre 1998-janvier 1999), mais le commissaire de la GRC a rejeté cette recommandation. La décision a été infirmée par la Cour fédérale, qui a ordonné un nouvel examen. L'examen en question a été effectué par un nouveau comité de classification, qui en est arrivé à la même conclusion que le premier comité. Entre-temps, le requérant a pris sa retraite. Il a déposé un grief à l'encontre de la décision du deuxième comité, mais son grief a été jugé irrecevable au niveau I puisqu'il n'était plus « membre » de la GRC.

En ce qui a trait à la question de la qualité pour agir, le Comité externe en a conclu que son grief était admissible puisque la décision contestée portait sur la classification du poste au moment où le membre en était titulaire. La Loi prévoit seulement que la décision porte sur les droits d'une personne à titre de membre de la GRC. Il n'est pas nécessaire que cette personne soit encore membre de la GRC lorsque le grief est présenté.

Le commissaire a souscrit à l'avis du Comité externe au chapitre de la qualité pour agir, en concluant que la décision du comité de classification constituait une continuité de la première décision (résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004).

Cette question a encore une fois été examinée dans une affaire plus récente : le grief G-332 (résumé dans le Communiqué de juillet-septembre 2004). Le requérant était membre de la GRC jusqu'au moment de sa retraite, en avril 1999. À ce moment, la Gendarmerie lui avait dit qu'il avait droit à une réinstallation n'importe où au Canada à l'intérieur d'une période de deux ans. En mars 2000, la Gendarmerie a informé le requérant qu'elle avait modifié sa politique sur la réinstallation et qu'il aurait droit au remboursement de ses frais de réinstallation seulement s'il déménageait à au moins 40 kilomètres de sa résidence actuelle.

Le requérant a par la suite déménagé à un endroit situé à moins de 40 kilomètres de sa résidence précédente. Il a présenté une demande de remboursement à la Gendarmerie, qui l'a rejetée pour le motif que sa réinstallation ne respectait pas les critères de remboursement prévus par les nouvelles règles. Il a déposé un grief à l'encontre de la décision, prise par la Gendarmerie, de modifier les avantages sociaux auxquels il avait droit lors de sa retraite sans son consentement. L'arbitre de niveau I n'a pas examiné le bien-fondé du grief parce qu'il estimait qu'un membre à la retraite ne pouvait se prévaloir du processus de règlement des griefs.

Le Comité externe a recommandé que le grief soit rejeté en raison de l'absence de bienfondé, mais il en a conclu que le requérantavait qualité pour agir. Il en a également conclu que la Loi n'avait pas pour objet d'empêcher les membres à la retraite d'avoir recours au processus de règlement des griefs pour contester une décision ou une omission de la Gendarmerie au chapitre des questions soulevées en cours d'emploi. Par conséquent, si la Gendarmerie s'est engagée, auprès du requérant, alors qu'il était encore membre, à rembourser les frais de réinstallation de ce dernier une fois à la retraite, le processus de règlement des griefs constitue le recours à utiliser pour contester la violation de cet engagement.

Le commissaire était du même avis que le Comité externe, indiquant que les membres à la retraite peuvent avoir qualité pour agir dans certaines circonstances, mais les décisions doivent être prises selon les circonstances de chaque affaire. Le commissaire a notamment tenu compte, pour en arriver à sa décision, du fait que le grief portait sur un avantage social auquel avait droit le membre en raison de son service, que le recours au processus de règlement des griefs était logique, que l'avantage social demandé était un avantage offert après la retraite et que le membre avait demandé d'avoir accès au processus de règlement des griefs plutôt que d'intenter des poursuites au civil (décision du commissaire résumée dans le Communiqué de juillet-septembre 2005).

Un raisonnement semblable a été utilisé dans le grief G-324 (résumé dans le Communiqué de juillet-septembre 2004), où un membre à la retraite a déposé un grief à l'encontre d'une décision relative à du harcèlement découlant d'une plainte qu'il avait déposée avant de prendre sa retraite. Le Comité externe en avait conclu que le requérant avait qualité pour agir puisqu'il était membre de la Gendarmerie au moment où il avait déposé la plainte de harcèlement.

Le Comité externe a tenu à préciser qu'une interprétation étroite de la Loi n'entraînerait pas les résultats visés par le Parlement. Le libellé du paragraphe 31(1) prévoit simplement que le grief doit porter sur la relation employeur-employé. Il est d'application suffisamment large pour inclure les affaires dans lesquelles un membre a pris sa retraite entre le moment où il a sollicité une décision et celui où la décision a été rendue. Le président a souligné que le fait d'attendre le départ à la retraite d'un membre pour rendre une décision pourrait soustraire cette décision à l'examen, et que cela pourrait permettre de contourner une obligation importante de reddition de compte. Le commissaire n'a pas encore rendu de décision dans cette affaire.

« Gestion des affaires de la Gendarmerie »

Par le passé, le Comité externe a statué que l'expression «  gestion des affaires de la Gendarmerie », que l'on retrouve au paragraphe 31(1) de la Loi, vise la gestion, par la Gendarmerie, de ses propres affaires plutôt que les décisions prises à l'extérieur de la GRC. Cette interprétation de l'expression «  gestion des affaires de la Gendarmerie » a continué à être appliquée. C'est pourquoi le requérant a rarement qualité pour agir lorsqu'une décision, un acte ou une omission émane d'un pouvoir externe à la Gendarmerie - le plus souvent le Conseil du Trésor.

Récemment, ce raisonnement courant a été confirmé notamment dans le grief G-335 (résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004) : le requérant contestait une décision du Conseil du Trésor de refuser de déclarer « déprimé » le marché immobilier où il résidait, ce qui lui aurait permis d'obtenir un dédommagement plus important pour les pertes immobilières qu'il avait subies. Dans ce cas, le Comité externe en a conclu que le fait que l'indemnité de déménagement avait trait à l'exercice des fonctions du requérant n'était pas suffisant pour répondre au critère de la «  gestion des affaires de la Gendarmerie ». Le processus de règlement des conflits ne peut être utilisé pour contester les décisions prises par des entités autre que la Gendarmerie. Le commissaire a souscrit à cette analyse (décision du commissaire résumée dans le Communiqué de juillet-septembre 2005).

Le Comité externe a également conclu qu'il n'existait aucune qualité pour agir lorsqu'il s'agit de déposer un grief portant sur la décision de la Gendarmerie de ne pas ouvrir une enquête criminelle sur une personne ne faisant pas partie de l'effectif de la Gendarmerie. Il a statué que, dans de telles circonstances, la question ne relevait pas de la « gestion des affaires de la Gendarmerie » puisqu'elle ne portait pas sur la relation employeur-employé pour laquelle le processus de règlement des griefs a été mis sur pied. (G-339, résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004).

En raison de la décision du commissaire intérimaire, le dossier a été renvoyé à l'arbitre de niveau I afin que ce dernier se prononce sur le bien-fondé du grief et qu'il examine la décision du point de vue de la qualité pour agir (décision du commissaire résumée dans le Communiqué de juillet-septembre 2005).

Cependant, une exception a récemment été instaurée pour les tierces parties agissant à titre de délégué de fait pour rendre une décision, lorsque la responsabilité demeure entière pour la GRC. Ces tierces parties peuvent agir dans le cadre « de la gestion des affaires de la GRC » dans le contexte d'une évaluation de la qualité pour agir.

Par exemple, dans le grief G-345 (résumé dans le Communiqué d'avril-juin 2005), le requérant prétendait qu'une tierce partie l'avait mal conseillé au sujet de son indemnité de déménagement parce qu'il lui avait conseillé d'accepter une offre d'achat pour sa résidence qui n'était pas avantageuse au plan financier.

Le Comité d'examen en a conclu que les conseils de la tierce partie s'inscrivaient dans « la gestion des affaires de la Gendarmerie » puisque La Gendarmerie était responsable de la mise en application et de la gestion de la politique de réinstallation. Malgré le fait qu'aucun membre ni employé de la Gendarmerie n'était responsable de l'omission à l'origine du grief, le Comité externe en a conclu que le requérant avait qualité pour agir.

Le commissaire n'a pas encore rendu de décision dans cette affaire.

Nécessité de prouver le préjudice/Sens de préjudice

Le Comité externe en est venu systématiquement à la même conclusion : le requérant n'est pas tenu, en vertu de la Loi, de prouver qu'il a subi un préjudice afin d'avoir qualité pour agir. Le simple fait d'avoir un droit individuel ou un intérêt personnel en jeu est suffisant. Toutefois, le Comité externe est d'avis, et ce, depuis longtemps, que le simple fait, pour un requérant, de ne pas souscrire à la politique de la Gendarmerie ne le fonde pas à présenter un grief. Un droit individuel ou un intérêt personnel doit intervenir dans l'affaire. En outre, le requérant devrait être informé qu'un manque de preuve ou un argument relatif à un préjudice pourrait en fait vouer le grief à l'échec dès l'étape de la détermination du bien-fondé, même si ce fait n'entraîne pas une conclusion d'absence de qualité pour agir.

Ce concept a récemment fait l'objet de quelques précisions. Dans le grief G-322/323 (résumé dans le Communiqué d'avril-juin 2004), le membre avait déposé deux griefs liés au harcèlement fondés sur des commentaires formulés à son égard par l'intimé. L'arbitre de niveau I a déclaré que le requérant n'avait pas qualité pour agir, statuant qu'il n'avait pas établi comment les commentaires avaient eu une incidence négative sur lui. Le Comité externe a rejeté cette analyse, concluant que l'arbitre de niveau I avait confondu la question de la qualité pour agir et celle du bien-fondé du grief. Pour avoir qualité pour agir, le requérant n'était pas tenu d'établir qu'il avait subit un préjudice en raison des commentaires. Il devait simplement prouver qu'il faisait directement l'objet des commentaires. Le commissaire a souscrit à l'analyse du Comité externe au sujet de la qualité pour agir (résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004).

Dans le grief G-334 (résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004), le requérant a présenté des demandes de remboursement de repas sans expliquer les motifs de la réclamation. L'arbitre de niveau I en a conclu que le requérant n'avait pas qualité pour agir puisqu'il n'avait pas établi que ses droits n'avaient pas été respectés. Le Comité externe n'a pas souscrit à cette opinion, en concluant que le requérant n'avait pas à fournir des arguments sur son droit au remboursement pour satisfaire au critère de la qualité pour agir. Toutefois, le Comité externe a recommandé que le grief soit rejeté pour absence de bien-fondé en raison de la même absence d'explication ou d'argument de la part du requérant. Le commissaire, dans sa décision, n'a pas fait de commentaires explicites sur la qualité pour agir mais il a souscrit à la recommandation du Comité externe et a rejeté le grief sur le bien-fondé (décision du commissaire résumée dans le Communiqué de juillet-septembre 2005).

En outre, le fait que la situation a un effet sur le requérant pourrait ne pas être suffisant pour lui accorder la qualité pour agir. Dans le grief G-340 (résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004), le requérant a demandé l'autorisation d'engager des frais juridiques afin d'être partie à une affaire devant la Cour fédérale à titre de représentant divisionnaire des relations fonctionnelles (RDRF), puis a présenté une demande de remboursement de ces frais. Les demandes ont été rejetées. Le Comité externe en a conclu que l'effet sur le requérant était négatif seulement en ce qui avait trait à son travail à titre de RDRF. L'effet n'était pas lié à un droit individuel, c'est pourquoi il n'avait pas subi de « préjudice ». Le commissaire n'a pas encore rendu sa décision dans cette affaire.

Effet d'un processus de rechange

Pour terminer, deux affaires récentes ont permis de mieux définir le concept des circonstances dans lesquelles la qualité pour agir ne sera pas accordée en raison de l'existence d'un processus de rechange prévu par la Loi, le Règlement ou une Consigne du commissaire. L'existence d'un processus interne de rechange peut priver un membre de sa qualité pour agir, mais seulement si le processus a été créé en vertu de la Loi, du Règlement ou d'une Consigne du commissaire. Les processus mis en place par d'autres moyens n'entraîneront pas une absence de qualité pour agir, même si cette situation offre au requérant plusieurs recours.

Le Comité externe en a conclu que la qualité pour agir ne peut être refusée aux membres du seul fait qu'ils pourraient avoir d'autres recours en vertu d'une politique de la Gendarmerie. Dans le grief G-326 (résumé dans le Communiqué de juillet-septembre 2004), l'arbitre de niveau I n'a pas accordé au requérant la qualité de déposer un grief de harcèlement, invoquant l'existence d'une politique interne sur le harcèlement à titre de processus de rechange. Le Comité externe en a conclu que, puisque le recours n'était pas prévu par la Loi, le Règlement, ni une Consigne du commissaire, le requérant avait le droit d'avoir recours au processus de règlement des griefs. Le commissaire a souscrit aux conclusions et recommandations du Comité externe dans ce dossier, mais n'a pas fait de commentaires explicites sur la qualité pour agir (résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004).

Cependant, le Comité externe a statué que le requérant n'a pas qualité pour agir lorsqu'un recours est prévu par une Consigne du commissaire, comme c'était le cas dans un grief déposé récemment à l'égard d'une reclassification (G-336, résumé dans le Communiqué d'octobre-décembre 2004). Le Comité externe en est venu à la conclusion que le requérant avait, en l'espèce, accès à un nouveau recours créé en vertu d'une Consigne du commissaire et que, par conséquent, n'avait pas qualité pour agir en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi. Le commissaire a souscrit à cette opinion (résumé dans le Communiqué d'avril-juin 2005).

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