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Mathieu Ayotte soulève deux sacs réunis par un bâton de hockey.

Mathieu Ayotte - Toujours confiné en Italie

« Essayez de ne pas trop stresser, de ne pas vous inquiéter. Je vais revenir à la maison bientôt. En santé. J'ai hâte de vous revoir… après ma quarantaine, bien sûr. »

Signé par Mathieu Ayotte

L'auteur est attaquant pour le Cortina SG, dans la Ligue de hockey des Alpes, en Italie.

Allô maman, allô papa, allô Rosalie,

Comment ça va au Québec? J’arrive de l’épicerie ici à Cortina d’Ampezzo. J’avoue que ça me frappe chaque fois. À cette date-ci l’an passé, il y avait environ 50 000 personnes dans les rues et sur la montagne pour skier. C’est dix fois plus que la population normale.

Sauf que maintenant, on dirait une ville fantôme. Il n’y a pas un chat dans les rues.

De toute façon, il n’y a pas de lèche-vitrines permis. Tout ce que je peux faire, c'est me rendre à l’épicerie ou à la pharmacie. Les policiers patrouillent et s’ils se rendent compte que tu ne te diriges ni vers l’une ni vers l’autre, ils t’arrêtent. Et tu as tout intérêt à avoir ton autorisation sur toi. Honnêtement, je ne sais pas trop ce qui est écrit là-dessus. C’est en italien. Mais ça me sort du trouble.

Est-ce qu’à l’épicerie de Beloeil, c’est comme à Cortina? Ici, on ne peut pas entrer sans notre masque et nos gants. Et pas question d’être accompagné. Il faut y aller seul. Je vais vous dire : je rencontre peut-être une personne dans le magasin. C’est assez spécial.


Maman, tu imagines : ça fait presque un mois que la saison de hockey a été annulée ici avec le Cortina SG, dans la Ligue des Alpes.

Jamais je n'aurais pensé que ça se terminerait comme ça. Tu sais comment j’ai adoré ma première saison ici. Depuis que je suis tout petit que je rêve de voyager et de jouer au hockey en Europe.

Puis, le rêve s’est réalisé après mes cinq saisons juniors chez les Tigres de Victoriaville et les Remparts de Québec.

Disons que le réveil est pas mal moins cool.

On a eu le temps de disputer nos cinq derniers matchs de la saison à huis clos, sans spectateurs dans les gradins. Puis, tout s’est arrêté, le 11 mars précisément.

Tous mes coéquipiers étrangers (trois Canadiens et un Américain) sont rentrés à la maison. Le dernier, avant-hier.

Mathieu Ayotte s'apprête à prendre une mise en jeu pendant un match.

Mathieu Ayotte (droite) pendant un match du Cortina SG

Photo : Courtoisie Mathieu Ayotte

Je sais que ça vous inquiète que je sois encore ici.

Je voulais prendre quelques jours pour faire mes bagages et saluer mon monde. Mais vous savez bien que la veille de mon départ, mon vol de retour a été annulé.

Sur le coup, je ne trouvais pas ça si mal. Mais je ne pensais jamais que la suite allait être aussi compliquée.

Essayez, pour voir, de parler à quelqu’un au téléphone ici. C'est fou. Il n'y a pas grand monde qui répond ces temps-ci. C'est ça qui est le plus difficile. Et si tu achètes un vol en ligne, les trois quarts finissent par être annulés.

Ce qui est embêtant aussi, c’est de savoir si tu vas te faire rembourser ton vol ou non. Je ne peux pas commencer à m'acheter des billets en ligne un peu partout et me retrouver avec des voyages crédités par toutes les compagnies aériennes.


Moi, j'ai juste pas été chanceux.

J'ai appelé l'ambassade canadienne. Je leur ai dit que j'aimerais rentrer à la maison le plus vite possible. On m'a suggéré de prendre un vol de Milan. À sept heures de route d’ici.

Sauf que ce genre d’information-là peut changer le lendemain.

On s'est reparlé deux jours plus tard. Ils ont dit : « Finalement, il faudrait que tu ailles à Rome. »

Vous savez que ce n'est pas simple.

Mathieu Ayotte se tient debout sur la glace pendant un arrêt de jeu.

Mathieu Ayotte dans l'uniforme du Cortina SG

Photo : Courtoisie Mathieu Ayotte

Vous vous souvenez de la blonde de mon coéquipier canadien qui a eu un bébé en Italie? Eux sont repartis tout de suite le lendemain de la fin de la saison. Ils voulaient rentrer le plus tôt possible. Sauf qu’à l’atterrissage, ils ont appris qu’il y avait un cas de coronavirus à bord. Ils capotaient. Ils ont stressé comme ça ne se peut pas. Sauf qu’ils sont maintenant à la maison. Tout est correct.

Je sais que ça vous inquiète plus que moi tout ça. Surtout que l’Italie est vraiment le pays le plus touché par la COVID-19. Les morts se comptent par dizaines de milliers ici.

Alors on se texte tous les jours. On se fait des Facetimes régulièrement. Maman qui me demande : « Est-ce que tu te sens malade? Est-ce que t'es correct? » Oui, je suis correct, maman. 

Vous le savez, je n’ai pas l’habitude de stresser. Et ça ne change pas cette fois-ci. Ça ne me stresse pas trop.

Il faut pas.

Il faut dire qu’ici à Cortina, on a recensé les premiers cas la semaine dernière seulement. On est loin des gros centres comme Milan.

D’ailleurs, mon coloc et coéquipier Massimo, qui vient de Milan, est mieux ici que chez lui en ce moment. Et ça fait bien mon affaire, car c’est un excellent cuisinier. Mon chef personnel nous a fait des pâtes carbonara ce midi. Pas mal du tout!

Est-ce que je vous ai dit que mon autre coloc est resté à Cortina? En plus de jouer au hockey, il travaille aussi dans une banque. Et ça, c'est un service essentiel.

Alors, on reste toujours à trois dans la maison. C’est un peu moins ennuyant même si on ne sort pas, sauf pour l’épicerie.

On reste à la maison toute la journée. On s'entraîne dehors chaque jour.

Vous avez vu notre nouvelle barre pour faire des squats? On a pris deux bâtons de hockey, on les a tapés ensemble, puis on a mis un sac de sport à chaque extrémité. Deux sacs remplis de bouteilles de vins et d'assiettes. On peut faire pas mal de choses avec ça.

Les bouteilles étaient pleines au début. Mais la barre commence à être plus légère un peu, j’avoue :)

Mes soirées n’ont pas changé : je joue à la Playstation en ligne avec mes meilleurs chums du Canada, sur la Rive-Sud. Puis, je leur répète souvent : « Les boys, I’ll be back soon. » Je joue aussi avec mes coéquipiers de Cortina. Y a pas grand-chose d’autre à faire. Tout le monde reste en contact avec tout le monde. Et tout le monde va bien. Il n’y a pas de cas de coronavirus dans l’équipe.

Mathieu Ayotte pose devant les alpes italiennes enneigées.

Mathieu Ayotte

Photo : Courtoisie Mathieu Ayotte

Est-ce que j’ai peur de l’attraper, ce virus? Non.

Je suis correct ici. Il fait beau. Je suis comme en vacances. Je suis sur ma terrasse. J'essaie de ne pas trop m'en faire avec ça.

Pour tout vous dire, ce qui me touche le plus, c'est vous autres. Juste de vous voir stresser, j’aime pas ça.

Je le vois bien que vous n’êtes pas super à l'aise avec la situation. J'aimerais juste être à la maison avec vous.

Ça vous ferait du bien. À moi aussi.

J’ai hâte de vous revoir. Rosalie, ma soeur, tu me manques. J’ai hâte de te donner un gros câlin. Une fois rentré à Beloeil, avec vous, dans quelques jours, j'irai probablement m'entraîner au sous-sol vu que les gymnases ne seront pas rouverts.

Entre vous et moi, je ne sais pas si je vais revenir ici l'an prochain. Même si j’ai adoré mon parcours en Italie. J’ai tellement de bonnes histoires à vous raconter.

Mais je sais une chose : je continue. Je veux encore jouer.

Vous le savez, j'ai subi mon lot de blessures tout au long de ma carrière. L’épaule est fatiguée, mais elle n'est pas encore finie!

J’ai 23 ans et j’aime beaucoup trop la game, les boys et voyager. Pas question d’arrêter .


Mon plan de match, c'est de me rendre à Milan lundi qui vient. Lundi de Pâques. Et de là, m’acheter un billet d’avion. Mais il ne faut pas vous en faire : si jamais ça ne marche pas tout de suite, je peux aller dormir chez un ami là-bas.

Comme je vous dis chaque jour, essayez de ne pas trop stresser, de ne pas vous inquiéter. Je vais revenir à la maison bientôt. En santé. J'ai hâte de vous revoir… après ma quarantaine, bien sûr.

Je vous aime.

Propos recueillis par Diane Sauvé