Z (armée russe)

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Signes observés en Ukraine
2022 Russian Invasion vehicle marking Z.svg 2022 Russian Invasion vehicle marking V.svg 2022 Russian Invasion vehicle marking O.svg 2022 Russian Invasion vehicle marking Z (enclosed).svg

La lettre Z est l'un des symboles peints sur les blindés et hélicoptères militaires engagés dans l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022. Absente de l'alphabet cyrillique, cette lettre est largement utilisée par la communication du Kremlin comme mème de soutien à la guerre sur divers autres supports[1],[2],[3],[4].

Les signes suivants ont été utilisés par l'armée russe en Ukraine[5] :

Document de l'armée ukrainienne[5].
« Z » aux couleurs du ruban de Saint-Georges avec le hashtag officiel.

La signification précise de ce « Z » n'est cependant pas établie avec certitude. Il est généralement considéré comme une marque d'identification des différentes armées engagées par le Kremlin dans l'invasion de l'Ukraine, ce qui expliquerait la pluralité des signes observés, ainsi que pour éviter les tirs amis compte tenu de la relative similitude des matériels militaires russes et ukrainiens[9]. D'autres explications ont été avancées, par exemple pour identifier les troupes dirigées contre l'ouest (запад, en russe « zapad »), terme qui désigne également les exercices militaires de grande ampleur qui se déroulaient dans cette région avant l'invasion[10], ou encore des références aux termes demilitariZation et denaZification récurrents dans les discours de Vladimir Poutine justifiant l'invasion[9]. Le ministère russe de la défense a pour sa part expliqué sur son compte Instagram que « Z » représente За победу (« Pour la victoire ») tandis que « V » peut être lu comme Сила в правде (« La force est dans la vérité ») ou Задача будет выполнена (« On va finir le travail »)[11].

C'est un « Z » blanc sur le maillot du gymnaste russe Ivan Kuliak (en) lors de la Coupe du monde de gymnastique artistique début mars 2022 à Doha qui a fait connaître la signification politique attachée à ce signe hors contexte militaire[12]. Ce signe « Z » a été à l'origine d'une altercation au Conseil de sécurité des Nations unies le 7 mars 2022 entre Sergiy Kyslytsya et Vassili Nebenzia, représentants ukrainien et russe auprès des Nations unies, le premier indiquant qu'il désignait les Ukrainiens comme Звери (« animaux » en russe), ce à quoi le second répliqua que les Russes avaient leur opinion au sujet de qui étaient les animaux[13]. Cette lettre est ainsi rapidement sortie du cadre militaire pour devenir un symbole de la politique de Vladimir Poutine en Ukraine[14].

Comme outil de propagande[modifier | modifier le code]

Sur une voiture à Saint-Pétersbourg.

La lettre latine « Z » est abondamment utilisée par le gouvernement russe comme motif de propagande pro-guerre[15],[16],[17] et a été reprise par des civils pro-Poutine comme symbole de soutien à l'invasion de l'Ukraine[18]. Le gouverneur Sergueï Tsiviliov (en) de l'oblast de Kemerovo a ainsi changé la graphie du Kouzbass (Кузбасс en russe) en remplaçant la lettre cyrillique minuscule з par la lettre latine majuscule Z pour donner КуZбасс, romanisé en « KuZbass »[19],[20]. Le directeur général de Roscosmos, Dmitri Rogozine, a de même commencé à écrire son nom de famille РогоZин, c'est-à-dire RogoZine, donnant pour instruction au personnel du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, de marquer les équipements avec les symboles « Z » et « V »[21]. Des chaînes Telegram pro-Kremlin ont intégré la lettre Z dans leur nom depuis le début de l'invasion[22], ainsi que le Roskomnadzor, autorité russe de contrôle des médias et de l'information, qui affiche son nom Роскомнадзор avec un « Z » sur Telegram[23]. Les agences gouvernementales russes intègrent également le symbole « Z » dans les messages et les vidéos nationalistes sur le réseau VKontakte (VK)[24]. La lettre « Z » est par ailleurs arborée par des mercenaires syriens contractés par la Russie dans des vidéos publiées par des médias d'État russes[25].

Flash mob au Platinum Arena de Khabarovsk le 11 mars 2022 dans le cadre de la campagne « #СвоихНеБросаем »[26].

Les autorités locales de plusieurs régions de Russie ont organisé des flash mobs pour soutenir l'invasion de l'Ukraine en mettant en avant la lettre « Z »[27]. Des vidéos ont été partagées sur les réseaux sociaux montrant des flash mobs composés de jeunes militants pro-guerre portant des chemises noires décorées de la lettre « Z » et criant « Pour la Russie, pour Poutine ! » à côté du hashtag #СвоихНеБросаем (« #Nous N'Oublions Pas Les Nôtres »)[28],[29]. Un flash mob a par exemple été organisé par les autorités de Khabarovsk le 11 mars 2022 au Platinum Arena dans le cadre de cette campagne[26]. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, la représentante Maria Boutina (en) de la Douma d'État trace un « Z » sur sa veste en soutien à l'invasion et encourage les autres membres de la Douma à faire de même[30]. La chaîne de télévision d'État russe RT a vendu des articles portant le symbole « Z » en soutien aux forces russes, souvent avec des motifs dérivés du ruban de Saint-Georges[27]. Des articles portant le signe « Z » ont été distribués par Amazon au Royaume-Uni[31] mais ont été retirés de la vente après des critiques du public et des réclamations des médias[32].

Des militants anti-guerre en Russie ont vu leurs biens dégradés par des graffitis contenant le symbole « Z ». Le critique de cinéma russe Anton Dolin (en), qui a vu la porte de sa demeure marquée d'un signe « Z », a rapproché cette lettre du film World War Z sorti en 2013 en décrivant l'armée russe et les militants pro-guerre comme « zombifiés »[33]. Des agents de police russes ont par ailleurs tracé des « Z » en saccageant les locaux de l'ONG russe Memorial de défense des droits de l'homme lors de leur fermeture ordonnée par le pouvoir russe[34]. Un membre du collectif russe Pussy Riot a également vu son appartement vandalisé avec ce symbole[34],[35]. L'usage de ce signe a rapidement dépassé les frontières russes et a été aperçu dès le 4 mars 2022 dans une manifestation de soutien à l'invasion de l'Ukraine organisée à Belgrade, en Serbie[36].

Signification politique[modifier | modifier le code]

Le philosophe et essayiste russe Mikhaïl Epstein (en), qui enseigne à l'Université Emory d'Atlanta, aux États-Unis, décrit l'état de la société russe contemporaine comme un « schizo-fascisme », qu'il définit comme « le fascisme se cachant sous le masque de la lutte contre le fascisme ». Il explique : « Le schizo-fascisme est une vision du monde fragmentée, une sorte de caricature du fascisme, mais c'est une caricature sérieuse, dangereuse et agressive. Le schizo-fascisme est une haine hystérique de la liberté, de la démocratie, de tout ce qui est étranger et des gens identifiés comme « autres ». Il est constamment à la recherche d'ennemis et de traîtres »[37].

Le politologue et avocat Vladimir Pastoukhov, qui a travaillé pour la Douma d'État et la Cour constitutionnelle de Russie avant de quitter le pays en 2008 pour raisons politiques et enseigne depuis lors à l'University College de Londres, considère la lettre « Z » comme « le symbole de cette guerre et l'idéologie qui l'alimente. (...) À Moscou, les gens se sont souvenus de l'importance des symboles dans une révolution. Lorsque la révolution orange a eu lieu en Ukraine au début du millénaire et s'est propagée à d'autres pays, les symboles ont joué un rôle important. » À présent, Moscou a besoin d'un symbole pour la guerre et la propagande associée. « Nous avons affaire à la renaissance d'une idéologie radicale d'extrême droite en Russie. Le « Z » représente cette idéologie. L'ironie de l'histoire est que ce « Z » rappelle en réalité beaucoup la désignation des divisions SS »[38].

D'autres observateurs ont également reconnu une ressemblance de ce « Z » avec le symbolisme nazi[39],[40],[41], certains faisant le parallèle avec la croix gammée nazie[17],[42]. Pour Kerstin Holm (de), essayiste et journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung, il s'agit du « signe menaçant du nouveau totalitarisme russe »[43]. Arborer ce « Z » pourrait ainsi être réglementé dans certains pays à l'instar des symboles nazis, comme en Tchéquie[44],[45], tandis que l'affichage de ce symbole sur les véhicules est interdit dans l'espace public au Kazakhstan[11],[46] et au Kirghizistan[31].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Philippe Mathé, « Pourquoi la lettre Z est devenue un symbole de soutien à la Russie dans la guerre en Ukraine », sur https://www.ouest-france.fr/, Ouest-France, (consulté le ).
  2. Benoît Vitkine, « « Z », emblème d’un patriotisme russe exacerbé », sur https://www.lemonde.fr/, Le Monde, (consulté le ).
  3. (en) Matt Stieb et Chas Danner, « How the Letter Z Became a Pro-War Symbol in Russia », sur https://nymag.com/, New York, (consulté le ).
  4. (en) James Kilner, « Russia's terminally ill children line up in letter 'Z' stunt to show Kremlin support », sur https://www.telegraph.co.uk/, The Daily Telegraph, (consulté le ).
  5. a et b (uk) Софія Лазуркевич, « Українські військові показали, як ворог маркує свою техніку », sur https://zaxid.net/,‎ (consulté le ).
  6. (en) « Russian Federation vehicles seen crossing into Ukraine from Crimea », sur https://www.nbcnews.com/, NBC News, (consulté le ).
  7. (en) « Russian Federations with Z inside Box painted on them departing Belgorod heading for Kharkiv », sur https://www.youtube.com/, CNN News, (consulté le ).
  8. (en) « Russian Federation vehicles with white and black O seen at Senkivka Crossing, Ukraine », sur https://www.youtube.com/, CNN News, (consulté le ).
  9. a et b Foued Boukari, « D'où vient le "Z" blanc peint sur les chars russes en Ukraine? », sur https://www.rts.ch/, RTS, (consulté le ).
  10. (en) Michael Kofman, « Zapad 2021: What We Learned From Russia’s Massive Military Drills », sur https://www.themoscowtimes.com/, The Moscow Times, (consulté le ).
  11. a et b (ru) « Автомобили с буквой Z замечены в Уральске и Шымкенте », sur https://tengrinews.kz/,‎ (consulté le ).
  12. « Guerre en Ukraine : le gymnaste russe Ivan Kuliak, qui avait manifesté son soutien à Poutine, devrait être sanctionné », sur https://www.leparisien.fr/, Le Parisien, (consulté le ).
  13. (en) Neil MacFarquhar, « The letter ‘Z’ has become a symbol for Russians who support the invasion of Ukraine. », sur https://www.nytimes.com/, The New York Times, (consulté le ).
  14. Alain Barluet, « «Z», le nouveau signe de ralliement au Kremlin dans une société russe qui ne veut pas savoir », sur https://www.lefigaro.fr/, Le Figaro, (consulté le ).
  15. (en) Simmone Shah, « How 'Z' Fits Into the History of Russian Propaganda Efforts », sur https://time.com/, Time, (consulté le ).
  16. (en) « What do Russians see and hear about the war in Ukraine? », sur https://www.cbsnews.com/, CBS News, (consulté le ).
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  19. (en) Stephen McDermott, « How the letter 'Z' became a symbol of support for Russia's invasion of Ukraine », sur https://www.thejournal.ie/, TheJournal.ie (en), (consulté le ).
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